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Chroniques
Au marché des droits de l'Homme
23/07/2014 | 15:59
3 min
Par Marouen Achouri

Le terrorisme a encore fait des victimes en Tunisie. Quinze de nos valeureux soldats sont morts pour défendre ce pays. Paix à leur âme. La grandeur de ce sacrifice n'empêchera pas, cependant, un marché des droits de l'Homme de se mettre en place.
A l'image des vendeurs à la sauvette, les commerçants des droits de l'Homme ont vite fait d'installer leurs bric-à-brac pour essayer d'en tirer quelque profit. Evidemment, les droits de l'Homme sont l'un des plus hauts principes auxquels l'Humanité est parvenue. Toutefois, dans notre difficile apprentissage depuis la révolution, des apprentis défenseurs des droits de l'Homme s'emparent des causes les plus nobles pour les maltraiter, les défigurer et en rebuter les Tunisiens.

Plusieurs voix parmi les tenants de l'appareil sécuritaire en Tunisie ont crié l'urgence de voter la loi anti-terroriste qui traîne depuis des mois dans les tiroirs de l'assemblée. Lors des discussions de ce projet de loi, l'accent a été mis sur la protection des droits des accusés de terrorisme et sur la définition même des crimes terroristes. On pourrait dire que cela est parfaitement louable. On se pose des questions cependant lorsqu’on voit qui est en train de tenir cette défense. Quand on sait que ce sont les élus d'Ennahdha qui entravent cette loi depuis des mois et qu'on fait le lien sur le rendement gouvernemental de ce même parti, on a de quoi nourrir certains doutes. Ceci donne lieu à une réelle surenchère de l'autre côté. C'est ainsi que le gouvernement y va à l'emporte-pièce en fermant les mosquées et en poursuivant les vendeurs ambulants. C'est comme si l'on vous volait votre téléphone dans un café et que le gouvernement décide de fermer le café…
Quoi qu'il en soit, la défense des droits de l'Homme devrait échoir à des personnes respectées, qui font l'unanimité et qui savent de quoi il en retourne. Radhia Nasraoui, qui a toujours lutté contre la torture, est quand même beaucoup plus crédible qu'un Sadok Chourou participant à une marche contre le terrorisme. La première a été torturée dans les sous-sols du ministère de l’Intérieur, alors que le dernier a appelé au meurtre au sein même de l’hémicycle qu’il représente.

Si l'on passe à l'international, on peut faire des analogies intéressantes. Prenons la tragédie qui a lieu actuellement à Gaza. On peut, sans nul doute, qualifier les meurtres quotidiens perpétrés en Palestine de terrorisme. La cause de la défense de Gaza est des plus nobles et mérite que l'on s'y attelle sérieusement. Cet enthousiasme peut cependant être pour le moins émoussé quand on voit Moncef Marzouki en réunion avec Abderraouf Ayedi "cristallisant des idées pour préparer une initiative nationale de solidarité avec Gaza". De là à dire que Moncef Marzouki exploite ce qui se passe à Gaza pour reconquérir une certaine popularité, il n'y a qu'un pas. En plus, il est coutumier du fait. On se rappellera sa sortie tonitruante sur les essais nucléaires effectués en…Corée du Nord au lendemain de l’assassinat de Chokri Belaïd !

Si l'on considère cet état de fait et que l'on y ajoute la tendance tunisienne à personnifier les causes, on obtient un mélange dangereux. En effet, les Tunisiens ont cette fâcheuse tendance à se détourner de certaines causes justes, uniquement lorsque celles ou ceux qui les défendent ne sont pas à leur goût. On pourrait ranger cela dans la case de l'apprentissage, dire que les Tunisiens sont encore en train d'apprendre à s'impliquer dans la vie publique et à s'intéresser à la défense des droits de l'Homme. Pourtant, le risque immédiat est de dégouter définitivement les citoyens tunisiens de ce type d'initiative. Pour exemple, quand Sahbi Jouini a été convoqué par la justice militaire, on s'inquiétait sur les réseaux sociaux de voir une autre campagne #Free. C'est dire si le chemin sera long avant que l'opinion publique ne se saisisse de ce genre de problématiques.

Le commerce des droits de l'Homme a décidément de beaux jours devant lui. C'est un commerce lucratif qui peut vous faire arriver à la présidence d'une instance constitutionnelle voire à la présidence de la République. Rien d'étonnant si cette activité attire de plus en plus de monde!

Tout ceci ne fait que traduire l'état de délabrement de la société tunisienne. Une société où les principes sont une monnaie d'échange, où la défense des droits de l'Homme est perçue comme une lointaine préoccupation de banlieusards huppés. Il est clair que les politiciens tunisiens ne contribuent nullement à élever le niveau général.
23/07/2014 | 15:59
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