Habib Essid, Chedly Ayari vous ment et vous trompe !
Par Moez JOUDI*
Monsieur le Chef du gouvernement, certainement vous êtes au courant de la dernière sortie de la Tunisie sur le marché financier international. Avec un taux d’endettement global de 52 % (il était à 40 % en 2010), avec des cumuls de déficits à tous les niveaux (13.7 milliards de dinars de déficit commercial en 2014 !), avec une croissance molle (2.5 % au plus en 2014 !), avec un déficit budgétaire abyssal (8 milliards de dinars en 2014 !), avec des notations souveraines en forte dégradation au niveau de l’ensemble des agences de notation internationales, avec un financement du FMI inachevé assorti d’un plan de réforme inachevé, avec tous ces risques et avec cette situation incertaine, le gouvernement Jomâa sous la houlette de la BCT et de son Gouverneur ont décidé d’entraîner la Tunisie dans un accroissement de l’endettement extérieur. Cette fois-ci, le risque additionnel est très compromettant : une sortie sur les marchés financiers internationaux moyennant un spread de plus de 400 points de base et un coût de la dette exorbitant et spéculatif !
Cette sortie et même si elle va procurer à la Tunisie des moyens de financements de son budget fortement déficitaire, ne doit en aucun cas être considéré comme un succès ou une consécration d’un parcours. C’est une sortie périlleuse et coûteuse qui accablera encore plus le budget de l’Etat avec un net accroissement du service de la dette qui est de l’ordre de 5.7 milliards de dinars en 2015. Cet emprunt obligataire d’un milliard de dollars d’après les dernières informations, coûtera annuellement au budget de l’Etat plus de 200 millions de dinars en service de la dette! En 2017, cette rubrique du budget de l’Etat dépassera même les 8 milliards de dinars ! La situation devient et deviendra encore plus insoutenable, il en va même des équilibres financiers et des fondamentaux économiques du pays qui sont déjà bien touchés !
Le plus préoccupant Monsieur le Chef du gouvernement, c’est que cet endettement additionnel ne servira pas à l’investissement et au développement, mais à la consommation et au « colmatage » des brèches qui deviennent bien profondes ! A rappeler qu’en 2007 lors de la dernière sortie de la Tunisie sur le marché financier international, le spread était de 75 points de base avec des délais de remboursement de 20 ans ! Aujourd’hui avec les modalités présentées, les obligations peuvent être assimilées à des « obligations pourries », ce que les américains appellent des Junk bonds !
Conscients de la nécessité de procurer des financements au budget de l’Etat, nous ne sommes pas dans la contestation systématique mais plutôt dans la nuance, l’objectivité et l’avertissement ! L’avertissement qui devient conséquent aujourd’hui et qui nous pousse à tirer la sonnette d’alarme concernant l’endettement de la Tunisie et les risques sur la souveraineté et la solvabilité financière du pays.
A notre avis, cette sortie n’était pas indispensable surtout avec de pareilles conditions qui compromettent les équilibres financiers de la Tunisie et qui entraînent le pays dans une spirale dangereuse et contreproductive.
Nous appelons donc les autorités financières du pays à plus de prudence et de retenue, et nous profitons de l’occasion pour vous prier d’accélérer la composition du nouveau gouvernement et de procéder urgemment à la mise en œuvre d’un plan de sauvetage et de relance économique de la Tunisie. Ce plan pourrait tourner autour de dix axes majeurs :
- Reprise de la confiance et consolidation de la stabilité,
- Stopper l’hémorragie des déficits publics,
- Lancer un train de réformes (fiscales, financières, bancaires, compensation…),
- Sauver le tissu de PME dont des centaines sont en fortes difficultés,
- Relance économique par l’investissement et une politique de grands projets,
- Renforcement des règles de gouvernance et de transparence,
- Assainir le climat des affaires,
- Lutter contre l’économie parallèle,
- Alléger les formalités administratives au niveau des investisseurs,
- Libérer encore plus l’initiative et l’entreprenariat.
Vous souhaitant Monsieur le Chef du gouvernement, un bon courage et une bonne continuation pour le bien de la Tunisie.
*Dr Moez JOUDI est le président de l’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG)