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Chroniques
Faites la guerre, pas l’amour
28/09/2018 | 16:59
4 min

 

Par Ikhlas Latif


Estomaquée ! L’information m’est parvenue, mais je n’y ai vraiment pas cru. Ça semblait trop gros pour être vrai. Cela ne pouvait l’être, ou alors nous avions été happés par un trou de ver et atterri à une époque qui se rapproche plus du Moyen-âge que du XXIe siècle. Il ne pouvait s’agir que d’une intox de mauvais goût, mais ce n’en était pas une ! Deux ados, deux jeunes lycéens, ont commis un crime immonde qui a nécessité de mobiliser l’appareil judiciaire afin de prononcer une sanction. Il le fallait, une telle atrocité ne devait pas rester impunie. Il fallait qu’ils paient pour leur délit, qu’ils assument leur responsabilité, qu’ils rendent des comptes à la société.

 

En Tunisie de l’an 2018, c’est un crime que des jeunes s’aiment et le montrent. C’est une atteinte à la sacrosainte morale et aux bonnes mœurs que de se donner des bisous. Oui. Des ados ont été surpris par le gardien du lycée en train de s’embrasser. Un scandale rapidement rapporté à la direction de l’établissement qui s’est empressée de rédiger un rapport et de le soumettre à la direction régionale. Au final, le Tribunal de première instance de Tunis a prononcé un verdict exemplaire, 6 mois d’emprisonnement et une amende de mille dinars. Les lycéens ont porté atteinte à la pudeur, ils ont commis un acte de débauche. Ils devaient être châtiés. Il fallait que leur année scolaire soit chamboulée, que leur avenir soit détruit, que leurs rêves et premiers émois soient entachés par le sceau de la honte.

 

Qu’est ce qui fait qu’une direction d’un établissement scolaire défère une affaire, si tant est on pouvait la qualifier comme telle, devant la justice ? Un bisou échangé dans l’enceinte d’un lycée requière-t-il une réaction aussi extrême des responsables de l’établissement ? Ne pouvaient-ils réunir un conseil de discipline pour traiter « le scandale » en interne ! Mais non, ils devaient se poser en gardiens de la morale, en protecteurs des jeunes gens contre la débauche et les tentations. Ils se devaient d’endosser le rôle d’une police des mœurs à cheval sur une éducation marquée par la pudibonderie. Il fallait aussi donner l’exemple ; saper toute velléité à exprimer une marque d’amour aux autres ados. Une marque d’amour la plus naturelle au monde, celle d’étreindre son amoureux ou son amoureuse à un âge où l’on se cherche et où l’on découvre les premiers émois.

 

Les deux lycéens ont été jugés sur la base des articles 226 et 226bis du code pénal tunisien. Un code bourré de dispositions arbitraires, liberticides, contraires à la nouvelle Constitution et aux libertés individuelles qu’elle est censée protéger et garantir. Ce fameux article qui évoque les sanctions prévues en cas d’atteintes aux bonnes mœurs, n’interdit pourtant pas explicitement les baisers. Un texte assez vague qui ouvre une brèche à toutes les interprétations possibles. « Est puni de six mois d'emprisonnement quiconque se sera, sciemment, rendu coupable d'outrage public à la pudeur, ou porte publiquement atteinte aux bonnes mœurs ou à la morale publique ». Qui définit donc la notion de bonnes mœurs ? Sachant que tout est relatif, la loi laisse dans ce sens une marge de manœuvre et d’interprétation assez large à toute une ribambelle de personnes, allant du policier qui arrête les « coupables », au procureur et en passant par le juge.

 

L’administration du lycée a jeté en pâture deux ados à une société qui se gargarise des détails coquins d’autrui, qui se nourrit des potins d’ordre personnel. Ce ne sont pas des délinquants, ils n’ont rien volé, ils n’ont agressé personne et pourtant ils se retrouvent sur le banc des accusés pour un simple bisou. En même temps, on tolère toutes sortes d’incivilités dans l’espace public. Bagarres, agressions, harcèlements, insultes, racket, désordre, corruption – la liste est bien longue- sont monnaie courante. Mais un baiser échangé entre deux jeunes, le fait de manifester son amour, c’est l’horreur absolue, ça ne peut que menacer l’ordre public et la sérénité des citoyens.

 

Le malheur de ces ados nous renvoie face aux tabous qui gangrènent notre société. Une société plongée dans les méandres d’une culture sclérosée où les traditions s’entremêlent à une religiosité qui exclut toute expression du corps ou de la sexualité, où s’embrasser en public s’apparente à un sacrilège et où la frustration et la répression des désirs les plus naturels sont la norme. Alors faites la guerre, pas l’amour !

 

 

28/09/2018 | 16:59
4 min
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Commentaires (16)

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Tarak
| 07-10-2018 11:46
Mme Iklas Latif.
Je n'ai pas les mots pour exprimer ma colère aussi bien que vous. Cet article que je recommende a lire par tous, est en effet un signe d'intolérance maximum, qui ne fera qu'augmenter la haine et l'indifférence envers la société.j'apelle a limoger l'administration de l'établissement a relaxer les élèves quelques soient les faits accomplis au plus vite.sinon je vous garantis que ces gamins seront des futurs délinquants ou terroristes.
En ce sui me concerne je pense que la Tunisie n'est plus une terre de tolérance et je n'inciterais plus mes proches a y rester.
Dommage.

NickLam
| 05-10-2018 13:02
Bravo ! Votre article doit se lire et relire par autant de personnes que possibles. Mais qu'en est-il de ceux et celles qui ne peuvent pas lire ? Comment faire parvenir et passer votre message à ceux et celles qui ont vraiment besoin de lire votre article. Les droits de l'Homme au Maghreb sont encore, et malheureusement, une chimère ; même oser y croire vous compromet aux yeux des « autorités ». C'est bien malheureux mais vrai et les choses ne changent que très peu, voire pas, (surtout) dans la sphère maghrébine. Mais voyager un peu vers le sud et les gouvernements sont moins strictes pour ce qui du sujet dont vous traitez. Je m'excuse de garder l'anonymat et vous remercie encore une fois pour votre superbe article.
N.

LE NOMADE
| 04-10-2018 23:12
Je suis ravi de vous relire de nouveau.Vos chroniques m'ont manquées.ET pour tout vous dire,je me suis inquiété de votre absence,même courte!
Ceci dit,je suis persuadé que les conséquences auraient été plus scandaleuses, si ce frustré de gardien,un rural surement,avait pu prouver que c'était un un baiser avec la langue!!
Cordialement,

Pan
| 30-09-2018 16:58
"...une époque qui se rapproche plus du Moyen-âge.."
Paradoxalement, chère Ikhlas, le Moyen '?ge arabe était plus libérale quant à la sexualité et l'amour, c'était un moyen âge libertin même pervers.
Je vais vous donner un seul exemple: trois décennies après la mort de Mahomet, il y avait un poète appelé Omar b. Rabiaa, ce poète draguait les fille tout près de la Kaaba, voilà un extrait d'un poème qui raconte ses aventures à la Kaaba: trois filles qui discutent à propos de Omar

La Grande a dit: qui est ce jeune homme!
La seconde a répondu: c'est Omar
La petite a répondu, celle que j'ai rendu esclave de mon amour: vous ne voyez pas la lune!

Gg
| 29-09-2018 13:08
Je ne crois pas du tout à cette nouvelle version, parce qu'elle arrive trop opportunément pour répondre au tollé suscité par la condamnation.
D'autre part, 6 mois avec sursis pour un baiser correspond tout à fait à l'histoire des jeunes gens surpris par une police voyeuse en train de faire câlin dans leur voiture, et condamnés à de la prison. C'était il y a 1 an ou 2...
Enfin, ce serait bien une rare fois ou une jeune fille menacée de viol est prise au sérieux.
Et cette façon de prendre l'ensemble du corps des journalistes pour des imbéciles incapables de vérifier des faits avant de les relater, est typique des islamistes.
Allez basta, cette nouvelle version est une manipulation de plus!

Mounir H.
| 29-09-2018 10:23
http://www.businessnews.com.tn/sofiene-selliti--il-ne-sagit-pas-dun-simple-baiser,520,82821,3

Gg
| 29-09-2018 10:04
Merci, Madame Latif, pour votre douceur...

Gg
| 29-09-2018 09:50
A tous les amoureux je dédie ce poème magnifique :
https://youtu.be/EFvTgiTh9_o

Mon premier baiser est un diamant dans mon coeur, il brille d'un éclat inaltérable et n'a jamais cessé d'éclairer ma vie.
Oui Zohra, je hais cette idéologie qui brise le bonheur à la source, et ceux qui la portent.
Et si je n'avais à mes côtés, chaque jour, l'antidote vivante à cette haine, c'est toute cette religion que je haïrais...

G&G
| 29-09-2018 08:00
Vive Ben Ali l'Homme des miracles
G&G
RCDiste et fier

le déçu
| 29-09-2018 07:23
La meilleure réponse à cette condamnation inique est d'inviter les lycéens et lycéennes à organiser une journée nationale au cours de laquelle à 10h du matin tous les éléves s' embrassent dans les cours de récréations