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Chroniques
Et si la bulle immobilière éclatait en Tunisie ?
27/02/2014 | 15:59
5 min
Par Mourad El Hattab*

L’éclatement d’une bulle immobilière renvoie à une problématique combinant trois facteurs à savoir : l’inadéquation entre l’offre et la demande du stock de logements, la spéculation anticipative sur les tarifs et l’incapacité des établissements de crédit à financer le marché faute de liquidité et en raison des fluctuations des taux d’intérêt. Certains indicateurs alertent quant à l’existence de plusieurs dysfonctionnements et risques à ces niveaux.

La débâcle qui a suivi les événements du 14 janvier 2011 a entraîné une grande anarchie en ce qui concerne la configuration de l’effectif global des logements au pays qui est estimé selon les derniers chiffres de l’Institut National de Statistique à 2 886 800 unités avec une évolution moyenne de 77 200 logements bâtis durant les cinq dernières années.
Rappelons que durant les deux dernières années et suite à la dissolution des structures municipales, une mutation profonde a affecté le paysage urbain désormais caractérisé par le désordre sur le plan de la construction de quartiers entiers sans respect des plans d’aménagement, des extensions des habitations et de la prolifération de pseudos promoteurs immobiliers.

Pour ce qui est du secteur réglementé qui compte 600 établissements actifs, l’inflation galopante des coûts des matériaux de construction, l’accroissement de la charge du crédit et le manque de main d’œuvre les ont mis face à plusieurs risques de mévente.

Les nouvelles mesures fiscales concernant les droits d’enregistrement révisés à la hausse par la loi de Finance au titre de l’exercice 2014 impacteraient, certainement, la commercialisation des logements neufs.

Vue globale sur le marché de l’immobilier
La filière génère 9% du produit intérieur brut, assure 400 mille postes d’emploi, et soutient un effet de levier sur diverses activités. Ses effets sont tant souhaités en tant que garant de dignité que pour l’intégration de larges franges de la société.

Sur le plan financier, les besoins pour l’instauration des infrastructures dépassent les capacités budgétaires des établissements de crédit. Le financement de l’habitat bénéficie, particulièrement, aux ménages à revenus moyens et élevés, l’éligibilité des faibles revenus pose souvent de gros problèmes au niveau des bailleurs de fonds.
L’aspect fiscal constitue un frein au développement de la filière au vu d’une pression atteignant les 20%. Quant aux investissements, ils sont de l’ordre de 14% des investissements globaux se rapprochant ainsi de la formation brute du capital fixe du secteur des industries manufacturières.

Néanmoins, avec une augmentation des prix du logement de l’ordre de 9% par an durant les dix dernières années, l’immobilier en Tunisie est entré dans une véritable spirale inflationniste. Contrairement aux attentes des promoteurs et des banques, la dégradation du pouvoir d’achat de larges couches sociales n’a pas influencé la consécration d’une partie consistante de leurs revenus à la satisfaction de leurs besoins en acquisitions ou en constructions de logements. Il s’agit de l’un des contrastes épineux de l’immobilier en Tunisie.

Par ailleurs, le marché se caractérise, généralement, par la pénurie des terrains, la concentration excessive de la population dans les grandes villes et l’existence d’intervenants privés qui font aujourd’hui le marché en prenant la relève aux opérateurs publics qui l’ont dominé durant plusieurs décennies.
Les seules données qui renseignent sur la réalité des prix sont celles qui sont éditées par les agents immobiliers, ainsi, il est difficile de tracer une matrice globale pour constituer les séries d’évolution des tarifications.
Ce qui est certain, c’est que le marché vit actuellement des accroissements vertigineux des prix qui ont frôlé, dans certains cas, les 70%, en particulier, sur les zones à forte demande et ce, eu égard à des considérations liées à la carence des lotissements et aux pratiques spéculatives.

Conséquences de la formation d’une bulle immobilière
Les causes qui peuvent donner lieu à la formation d’une bulle spéculative immobilière et la probabilité de son éclatement sont multiples. Elles se basent, essentiellement, sur une anticipation des agents économiques des hausses des prix des logements, sur les flottements importants des taux d’intérêt et la crainte de l’érosion monétaire qui s’illustre par un déficit structurel de la liquidité bancaire centrale.
A cela s’ajoute l’absence d’une gouvernance urbaine normalisée et la non-maîtrise de la tarification des loyers ainsi qu’un comportement suiviste des parties intervenant au niveau de la filière.

L’explosion des prix dans un contexte de stabilité de la demande se répercuterait, d’après les expériences vécues dans plusieurs pays, sur la valeur des biens fonciers pour que les hausses rejoignent dans certains cas des niveaux de 100%.
Cet effet de levier entraînerait une volatilité incontrôlable des prix et du financement pour mettre à plat la filière, mais d’une façon brusque et inattendue. On évoque, à cet effet, un Krach immobilier ou foncier au sens large du terme.

L’inquiétude quant au devenir de la filière dans notre pays se justifie par la constatation de complexes d’immeubles achevés sans aucune intention d’acquisition. Paradoxalement et malgré les signes d’une crise qui pourrait affecter la filière même à court terme, les promoteurs nient la survenance de tout choc.

Les choix limités d’affaires composent les piliers d’action des promoteurs appuyés par les banques qui pourraient contribuer, indirectement et sans peut-être le vouloir, à l’émergence des mouvements de spéculation et d’exploitation de la situation déséquilibrée entre clients emprunteurs et investisseurs. Ceci n’est qu’une facette des difficultés du financement de la filière ce qui pourrait éclater, à court voire à moyen terme, en bulle dont les effets désastreux n’épargnent aucune partie impliquée.

La filière de l’habitat en Tunisie, dominée par l’anarchie, finira, fort probablement, par connaître le même sort de crises et de chocs à l’instar de plusieurs pays qui ont vécu ces phénomènes. A cet effet, L’État devrait avoir un rôle d'arbitrage et de veilleur, on évoque donc la nécessité de régulation homologuée des prix selon la nature du logement qui peut être classé en logement social, logement économique et logement de luxe. La dernière catégorie aura bien sûr un prix libre qui répond aux enjeux normaux de l'offre et la demande.

L'État peut aussi, étant présent dans les conseils d'administration de tous les établissements de crédits, modifier sa vision du marché de l'immobilier afin d'établir une politique claire et équilibrée du logement. Les pouvoirs publics peuvent, de cette façon, amorcer une nouvelle action basée sur l’accessibilité des différentes classes sociales au logement et immuniser l’économie nationale contre les risques liés aux turbulences du marché du foncier.

*Spécialiste en gestion des risques financiers
27/02/2014 | 15:59
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