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Tribunes
Entre révolte et anarchie !
28/05/2019 | 10:25
7 min
Entre révolte et anarchie !

 

 

Les Révolutions se perdent entre révolte et anarchie. Tous ceux qui ont, peu ou prou, compris quels sont les fondamentaux sur lesquels reposent, l’Etat, la société, l’économie ne peuvent que se rendre à l’évidence de l’avènement d’une nouvelle révolte et son corollaire, cette fois-ci, l’anarchie. D’aucuns diront qu’encore une fois, on exagère, on fait du catastrophisme, on est pessimiste. Ces qualificatifs résonnent comme une forme de fuite qui n’est autre que l’expression de la Méthode Coué, d’un refus de voir le réel et de le traiter.

Il est inutile d’aborder la question économique tant elle est évidente. Il suffit de voir la souffrance des gens et leur désolation dès qu’ils abordent les étals du marché pour comprendre que la Tunisie a atteint le point de non-retour. Ni la propagande des mercenaires politiques et journalistiques, ni les fausses promesses ne peuvent leurrer les Tunisiens. La catastrophe n’est plus à venir on y est déjà.

Je ne vais pas non plus aborder la dislocation du tissu social et la rupture quasi-totale de tous les liens. Il suffit là encore, d’observer le comportement des gens dans la rue pour vite s’en rendre compte.

Je ne vais pas non plus traiter de la question de la sécurité qu’elle soit en relation avec l’intégrité physique des personnes et du territoire ou la sécurité au sens large du terme (alimentaire, santé, environnement).

Je vais aborder la question de l’effondrement de l’Etat, lequel Etat est censé être le garant de toutes les formes de sécurité.

Je m’explique. L’Etat repose sur des institutions, lesquelles institutions sont censées garantir son fonctionnement. Ce fonctionnement repose à son tour sur un système de représentation à travers tous les corps intermédiaires (élus locaux et nationaux, partenaires sociaux, société civile) pour ne citer que les plus représentatifs. Le pacte social fait en sorte que ces corps intermédiaires, appelés du temps de la Grèce antique les « proxènes », soient investis d’une mission de représentation pour parler aux noms d’un groupe beaucoup plus important. Ainsi, on appelle les élus du peuple, tous ceux à qui ce peuple a délégué son pouvoir pour qu’il puisse porter sa parole qui n’est autre que l’expression de sa volonté.

Cette brève présentation, schématise de manière grossière le fonctionnement du système de représentation tel qu’il a été conçu pour assurer le fonctionnement de l’Etat et donc des institutions. C’est la démocratie représentative telle qu’elle a toujours fonctionné, dans sa forme moderne, depuis le milieu du 19e siècle.

En Tunisie, depuis 2012, nous nous sommes engagés dans ce système dit représentatif, à travers lequel on était censé élire les meilleurs d’entre nous en termes de compétence et de qualités morales pour assurer le lien entre l’Etat et la population. On a, bien entendu, cru naïvement que le rituel des urnes, et l’acte d’élire était lui-même performatif. C’est-à-dire, qu’il suffisait d’élire quelqu’un pour que la représentation soit effective en espérant, dans le meilleur des mondes, qu’elle soit efficace aussi. Pour ce faire, il y a des critères à respecter pour s’assurer de cette efficacité. Parmi ces critères, il y a la compétence, la probité, la responsabilité, l’exemplarité, le sens de l’Etat et de l’intérêt général. Afin de s’assurer du fait que ceux à qui on a confié notre parole, et donc notre pouvoir de décision soient à la hauteur de cette mission, on est censé leur demander de manière régulière de rendre des comptes et d’être comptables devant leurs électeurs. Tout cela est bien entendu en théorie. Quelle est la réalité des choses 9 années après cette douloureuse transition démocratique en Tunisie ?

Les premiers des corps intermédiaires qui sont les élus et par extension, les gouvernants ont failli et ce selon tous les critères. Il suffit de les reprendre un par un (compétence, probité, responsabilité, exemplarité, sens de l’Etat et de l’intérêt général et reddition des comptes) et de passer en revue l’ensemble de ses représentants pour se rendre compte qu’aucun ne répond à ses critères pour ne pas dire l’inverse !

Que se passe-t-il alors quand les représentants ne remplissent plus leurs rôles ? Au-delà de la perte de confiance dans ces corps, il y a la perte de confiance dans le système de représentation dans son ensemble. Voilà que dans ce petit pays qui entame à peine l’expérience de la démocratie représentative, qu’en un temps record, ces représentants ont fini par créer une irrémédiable fracture entre le peuple et les institutions, donc l’Etat.

Je ne crois pas que les gouvernants actuels mesurent la gravité et la dangerosité de la situation et les conséquences qu’elle peut/va engendrer ? Selon toute vraie semblance, et au vu de leurs agissements et leurs discours, ils n’ont absolument rien saisi et ils concourent à leur propre perte et à l’effondrement de l’Etat.

Les appels au retour de Ben Ali, la violence que les gouvernants font subir au corps social, la perte totale de confiance entre gouvernants et gouvernés, le rejet de la politique, des politiciens et des partis politiques de tous bords sont les symptômes de cette rupture manifeste. Le délabrement est tel, qu’un riche financier français a décidé d’offrir « la Tunisie » à son épouse tunisienne comme quand on offre un bijou à sa bien-aimée. Qu’importe si elle répond aux critères indispensables à la prise de responsabilités publiques, du moment où tout est perverti par l’argent, tout devient possible. D’où cette perte de confiance dans le système de représentation et cette fracture.

Il en résultera la confrontation corps à corps entre le peuple et l’oligarchie politico-mafieuse (voir mon article intitulé Oligarchie bicéphale, La Presse, 15 août 2015). Cette confrontation ne peut que prendre la forme d’une révolte qui se soldera par l’anarchie. Pourquoi l’anarchie ? C’est justement, parce que le système de représentation a failli et que les Tunisiens ne sont plus disposés à confier leur destin aux mains d’une oligarchie qui ne répond à aucun critère rassurant. La nostalgie, même apparente, pour le retour de la dictature agit ici comme un palliatif pour marquer une nouvelle pause dans cette course folle vers l’effondrement total du système. Le Tunisien comprend et maîtrise les mécanismes de la dictature, en revanche de cette démocratie encore méconnue, il n’a vu que corruption et incompétence. N’ayant aucun projet collectif, les Tunisiens se replient sur les solutions de survie individuelle en dehors de tout système et selon le principe du chacun pour soi et la guerre de tous contre tous.

Régis Debray nous apprend que « la révolution est une promesse, et une révolte c’est une colère ». Cette promesse n’ayant pas été tenue, il en résulte une rupture dans le processus de transition démocratique. Raison pour laquelle cette rupture constitue le fond de commerce de la candidate dite destourienne, chantre du retour à l’ordre ancien, l’ordre dictatorial. Le désordre actuel appelle à l’ordre et dans les deux cas c’est la démocratie qui en pâtit.    

Que faire dans cette situation ? Dans le cas de notre pays, à la veille de la nouvelle échéance électorale, la réponse réside dans le rétablissement de l’agenda révolutionnaire et la recherche d’un autre modèle de représentation.

Il est donc impératif de se saisir de l’échéance électorale à venir, pour interpeller les nombreux prétendants sur leur conception de l’Etat et leur projet politique. Qui parmi eux est disposé à proposer un nouveau modèle de prise réelle et effective du pouvoir par le peuple lui-même ? Qui est prêt à renouer avec la « promesse » de la Révolution et prêt à poursuivre le travail ?

Les mécanismes et les solutions techniques pour une démocratie participative existent (modèles : suisse, italien, néo-zélandais, canadien) avec toutes les nuances entre ces différents modèles. On peut bien imaginer un modèle tunisien qui tient compte de nos spécificités culturelles tout en propulsant la Tunisie dans le 21e siècle, au-delà du système de représentation actuelle, déjà obsolète dans les vieilles démocraties.

Nos jeunes peuvent jouer un rôle de premier plan, pour aider notre pays à imaginer un tel modèle inclusif et mettre un terme à la dérive actuelle. Il est temps de remplacer la verticalité oligarchique par l’horizontalité démocratique. Il est grand temps qu’on sorte de l’idée de l’homme unique et du sauveur qui va tout résoudre. Il est grand temps de s’engager sur la voie de la responsabilité individuelle et collective pour construire l’avenir de notre pays. Les « peuples enfants » cherchent « l’homme providence », les « peuples adultes » assument leurs responsabilités. Assumons alors nos responsabilités.

28/05/2019 | 10:25
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Commentaires (8)

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PIT
| 07-06-2019 11:56
Nos députés sont à notre image et représentent parfaitement ce que nous sommes, hélas, devenus (pour la plupart d'entre nous)...
Egoïstes, cupides, inciviques, menteurs, sales ou plutôt crasseux (dans nos actes et nos mentalités), hypocrites, indifférents, arrogants, intolérants, sournois, inconscients et stupides (de croire que demain tout va s'arranger par la grâce d'un dieu qui a bien d'autres chats à fouetter)...Aid Mabrouk !

Léon
| 04-06-2019 19:36
Comme tout tunisien qui se respecte, tu nous arroses d'un savoir, puis tu conclues par ce qui t'arranges. C'est ce que j'appelle depuis le début de la catastrophe, les perroquets, ou les "intellectuels tunisiens".
Globalement, ceci se résume par "Regardez combien j'en sais. Donc j'ai raison". Ou encore "Le ciel est bleu donc Ben Ali est un méchant".
Ce type de raisonnement ne te rappelle rien, toi le féru de sciences helléniques? Cela ne s'apparente-t-il pas un peu au sophisme?
D'ailleurs, tu as démarré dans les règles de l'art en revenant aux origines étymologiques du mot "proxénète" ou "entremetteur". Mais il fallait bien poursuivre au lieu d'errer dans des schémas douteux.
L'entremetteur entre les atlantistes et le pays ruiné, ont été les intellectuels et les instruits. Ces proxénètes qui auraient peut-être mieux fait de se prêter aux pratiques helléniques plutôt qu'à leurs sciences. Le proxénète n'est pas Ben Ali; les proxénètes, c'est vous autres.
D'autre part, la première expression de la "Rjoulia" est d'assumer ses positions (pas forcément helléniques) et ses actes. Le tout du cru des intellectuels que vous êtes, conclue toujours par cette certitude qui leur dicte que "Ben Ali a causé l'effondrement de l'état".
Vous oubliez toujours un mot dans votre affirmation; alors ajoutez-le svp! Dites plutôt "Le départ de Ben Ali a causé l'effondrement de l'état". Vous a-t-il laissé un état effondré? Bande d'hypocrites et sophistes! N'est-ce pas vous autres, entremetteurs de l'occident atlantiste, "civilisationneur" et "démocratiseur", qui aviez demandé, appelé, et applaudi son départ forcé?

Léon, Min Joundi Tounis Al Awfiya;
Résistant.

VERSET 112 de la SOURATE des ABEILLES.

CEQARIOS
| 03-06-2019 15:23
A qui vous criez , ya chrait ?,'lichkoun taaat , ya chrait"? , nos décideurs politiques s'en fouttent éperdument de vos cris au secours, de vos analyses, leur SEUL ET UNIQUE souci est de profiter au maximum, d'assurer leur bien étre, de ramasser tant qu'ils ont l'occasion et avant de se voir dépasser par les événements, qui à savoir comment vont étre survenir et se dérouler? aucun entendant!! incapacité et incompétence d'avoir le courage , le culot, la créativité, l'innovation de faire face à la dérive, à la banqueroute qui guette notre bien aimée TERRE NOURRICIERE, chacun pour soi et notre chére TUNISIE se balance dans des terribles vagues ,de conséquences inconues, notre BOURGUIBA et notre FARHAT HACHED ET DES MILLIERS DE NOS VAILLANTS MILITANTS ET MARTYRS ONT LES LARMES CHAUDES QUI RUISSELLENT SUR LEURS JOUES ET LEURS BOUCHES BEES DEVANT LA SITUATION CHAOTIQUE DE CE QU'ONT PU ACCOMPLIR, leur loyauté, leur fidélité, leur probité sont en train der se bafouer à gauche et à droite, quand viendra le moment propice et les oiseaux rares d arréter cet engouement de l'égoisme , de l'indifférence et de la lacheté

Tunisino
| 28-05-2019 15:09
modèles : suisse, italien, néo-zélandais, canadien

Ya Si Hédi, on se compare au premier de la classe et non au dernier. Le pays modèle pour BCE est la France (inférieure aux Etats-Unis, Japon, et Allemagne, au mois) et le modèle de RG est la Malaisie (inférieure à la France, l'Italie, et la Corée, au moins). Pourquoi dénigrer les tunisiens, les successeurs des carthaginois, des Aghlabites, des Fatimides, etc. Les modèles de la crème de la crème sont les pays les plus avancés du monde (dans l'ordre: Etats-Unis, Japon, et Allemagne), d'où cette histoire de se débarrasser des faibles et d'exploiter les forts pour faire décoller ce pays, une fois pour toute!

Rina
| 28-05-2019 12:26
C'est encore une fois une excellente analyse avec un sens aigu de l'Etat et de l'intérêt général. Mais vous avez oublié que la solution doit passer par l'installation d'un '?tat laïque qui met un terme à l'existence de partis religieux comme Nahdha. Pire que Nahdha ce sont les mercenaires qui les soutiennent qui ont vendu le pays comme Marzouki, Chahed, et maintenant Karoui qui n'ont aucune compétence à part lécher les bottes de Nahdha.
Vous avez raison d'appeler les jeunes à bouger et
Je crois que vous êtes trop modeste pour leur dire de s'inspirer de votre livre et de votre vision

Roger Rabitt
| 28-05-2019 11:39
Dans la Grèce antique, le « proxène » (ou « pro-xenos », littéralement « pour l'étranger ») était une sorte de consul chargé de protéger et assister les citoyens :
il s'agissait d'un titre honorifique décerné à des Grecs ou des étrangers ayant rendu service à une cité ; citoyen s'occupant dans sa patrie des intérêts ou des ressortissants d'une autre patrie ; et enfin, plus tardivement mais pas forcément dévalorisé : patron, protecteur.

Puis est venu le mot bas-grec proxenetès, pour « entremetteur », « courtier ».

Votre comparatif est pour une fois pertinent ; de représentants de l'Etat chargés de veiller à l'intérêt général on est passé à des hommes de pailles chargés de défendre des intérêts privés au détriment de l'intérêt général.

Depuis Bourguiba , nous n'avons plus eu de Proxènes.

Ben Ali était lui un véritable proxénète. Un souteneur-président qui a provoqué non seulement l'effondrement de l'Etat mais celui de la société toute entière.

Cette tradition de proxénétisme et de prostitution semblé s'être durablement ancrée dans ce pauvre pays. Le mot "pornocrate" désignait d'ailleurs à l'origine "la direction d'une maison de passe".

A méditer. On a la classe politique et la société que l'on mérite.

MFH
| 28-05-2019 11:03
Excellente analyse. Le mouvement de janvier 2011 était une promesse qui, progressivement, s'est transformé en une colère. Il faut être bête pour croire au contraire.

DHEJ
| 28-05-2019 10:38
C'est un travail négatif...

Mécanique d3s institutions mais hélas tu passes à côté du rôle du POUVOIR JUDICIAIRE qui a lâché les autres pouvoirs engendrant l'effondrement de l'état!

Alors quand un bel article sur le pouvoir judiciaire?