Entre l'investissement et la consommation, le gouvernement a choisi !
Pour le gouvernement, accroître les revenus par de la création d’emploi via une augmentation conséquente du budget d’investissement serait préférable à une augmentation des salaires par un gonflement du budget des rémunérations.
A lire le projet de budget général de l’Etat, la première impression qu’on en dégage est qu’il cloue réellement le bec à ceux qui soupçonnaient le gouvernement de vouloir engager une politique d’austérité, se préparant déjà à sonner, à leur manière, le glas de l’équipe gouvernementale. Youssef Chahed demeure dans le droit fil de ce qu’il a déclaré dans la foulée de sa prise de fonction de chef de gouvernement : si la situation économique et financière du pays ne s’améliore pas au cours de l’année 2017, il faudra fatalement introduire des mesures d’austérité économique.
Le total des dépenses du budget de l’Etat pour l’exercice 2017 dépasserait les 32 milliards de dinars, soit une augmentation de 11% par rapport aux estimations des dépenses pour l’année 2016. Manifestement, on est bien loin de la politique de rigueur, a fortiori de la politique d’austérité.
Il faut remonter aux années de la Troïka, 2012 et 2013, pour constater un accroissement similaire des dépenses du budget de l’Etat. Ces années de folies dépensières dont on subit les contrecoups aujourd’hui. A l’époque, les gouvernements de Hamadi Jebali puis de Ali Laârayedh avaient vidé les caisses de l’Etat pour satisfaire les demandes et revendications de toute sorte, même les plus extravagantes. Et lorsque cela n’a pas suffit, ils ont eu recours à l’endettement. L’emprunt qatari de 500 millions de dollars allait inaugurer un processus qui demeure toujours un cas d’école, celui de la spirale infernale de l’endettement pouvant aboutir à la banqueroute. Les recrutements à tout va et les augmentations de salaires et les promotions de carrière, en veux-tu en voilà, ont débouché sur une dangereuse dégradation des finances publiques, sans avoir pour autant dynamisé la croissance économique. En lieu et place, on a creusé les déficits, gonflé inconsidérément l’encours de la dette et laissé filer l’inflation.
Investissement vs consommation
Le gouvernement Chahed serait-il en train d’emprunter le même chemin ? Apparemment, cela ne fait pas de doute. Youssef Chahed prend, lui aussi, le pari d’une relance budgétaire – certains diront une stabilisation du cadre macro financier - pour stimuler la croissance économique. Toutefois, il agit dans un esprit totalement autre que celui qui a guidé la Troïka. Il s’engage dans une démarche qui vise non pas à stimuler la consommation mais à fouetter l’investissement pour doper la croissance. Au niveau du budget, cela se traduit par une stabilisation du budget des rémunérations qui n’augmente que d’un peu plus de 4%, d’une année à l’autre, alors que le budget d’investissement enregistre une envolée de plus de 17%. L’investissement de l’Etat pour l’exercice 2017 atteindrait 6,2 milliards de dinars : un record.
Ainsi, le gouvernement fait le choix de l’accroissement des revenus par de la création d’emploi - la plus importante urgence - à travers l’investissement contre des augmentations salariales. Il espère, en outre, que cette approche aura un effet entraînant sur l’investissement privé à la faveur des nouvelles législations sur l’investissement, le partenariat public-privé ou encore la batterie de mesures fiscales d’incitation à l’investissement contenue dans le projet de Loi de finances 2017 et la tenue, à la fin du mois de novembre 2016, de la Conférence internationale sur l’investissement.
Un endettement viable ?
Cela étant, le prix à payer ne changera pas. L’effort que devra consentir la communauté nationale est conséquent. En effet, la pression fiscale va s’alourdir passant de 20,6% prévu en 2016 à 22,1% en 2017. Encore que, sur ce point, une nuance mérite d’être relevée. Il est pour le moins curieux que le montant de la « contribution exceptionnelle » ait été inscrit en tant que recette fiscale dans le projet de budget de l’Etat et non en tant que recette non fiscale compte tenu de son caractère « exceptionnel ». Certes, le critère de calcul de la contribution exceptionnelle se fonde sur une base fiscale. Cela ne donne pas nécessairement à cette ressource un caractère fiscal, à moins que le gouvernement n’envisage, le cas échéant, de proroger cette mesure pour les futurs exercices budgétaires. Dans le cas contraire, la pression fiscale ne serait plus de 22,1% mais chuterait à 19,25%. Avis aux exégètes.
Quoi qu’il en soit, la structure du budget de l’Etat ne subira pas de changement significatif en 2017. Les ressources propres ne constitueront que 73,7% du total des ressources du budget de l’Etat, ne gagnant que 0,5 point de pourcentage et le déficit budgétaire équivaudra à 5,4% du PIB contre 5,7% prévu pour 2016.
Reste une ombre ou un point noir dans le tableau budgétaire du gouvernement : les ressources d’emprunt. Elles devraient atteindre 8,5 milliards de dinars environ devant servir à financer le déficit budgétaire et à honorer le service de la dette. Du coup, l’endettement net de l’Etat serait de l’ordre de 4,9 milliards de dinars qui s’ajouteraient à l’encours de la dette publique pour la porter à 62,7 milliards de dinars, soit 63,8% du PIB. Compte tenu d’une prévision de croissance économique de 2,5% en termes réels, la viabilité de la dette se situe à la frontière du supportable. Là, le gouvernement Chahed marche sur des œufs. Aurait-il d’autres choix ?