Par Sofiene Ben Hamida
Le parti islamiste Ennahdha a finalement annoncé ses véritables intentions. Le conseil de la Choura d’Ennahdha a rendu public sa position concernant deux points essentiels pour les islamistes, en l’occurrence la présidence du conseil des ministres et la présidence de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Les islamistes présentent donc leur chef Rached Ghannouchi à la présidence de l’ARP et ne semblent plus hostiles à l’idée d’un chef de gouvernement en dehors de leurs structures. Des noms ont même été mentionnés durant les débats du conseil de la Choura.
Dans ces décisions, il n’y a aucune surprise. Ceux qui observent la scène politique tunisienne savent que dès l’instant de la présentation de la candidature de Rached Ghannouchi pour les élections législatives, le parti islamiste a décidé de s’accaparer la présidence du parlement. Bien entendu, sur le plan théorique, rien n’empêche Ennahdha de présenter son chef comme chef de gouvernement par la suite, qu’il soit député ou pas. Mais dans la pratique, cette option est écartée dés le départ pour au moins trois raisons.
La première est en rapport avec la volonté des islamistes d’éviter une surexposition de leur patron et de lui épargner les flots des critiques qui ne tarderont pas à fuser de toute part contre le prochain gouvernement.
La seconde est en rapport avec l’incompétence évidente de Rached Ghannouchi pour un tel poste. En effet le chef des islamistes tunisiens n’a jamais connu l’administration et semble ignorer tout des questions économiques qui seront au centre de l’action gouvernementale au cours des années qui suivront.
Quant à la troisième raison, elle concerne l’âge avancé de Ghannouchi et son état de santé, incompatibles avec les charges d’un chef de gouvernement dynamique dont le pays a besoin. D’ailleurs, citer le nom de l’octogénaire ancien président de la constituante, Mustapha Ben Jaâfar, comme chef de gouvernement probable par les islamistes est incongru, sauf s’ils veulent l’utiliser comme paravent pour cacher leur véritable candidat dont l’identité ne sera dévoilée qu’au dernier moment.
Le problème pour Ennahdha, c’est que le chemin de Ghannouchi pour la plus haute marche du parlement est semé d’embûches. Il ne dispose réellement que des voix des députés de son parti et de ceux de la coalition Al Karama, ce qui est trop peu et ne dépasse pas les 69 voix. Les quarante à cinquante voix restantes doivent être âprement négociées avec Attayar qui serait tenté par la présentation de la candidature de Samia Abbou à la présidence du parlement, ce qui lui donnerait des atouts supplémentaires dans ses négociations avec les islamistes concernant le prochain gouvernement.
Ces voix manquantes seront aussi très difficiles à collecter dans le camp de Qalb tounes qui, lui aussi, cherche à améliorer les conditions de négociation avec les islamistes concernant le prochain gouvernement et a avancé le pion Ridha Charfeddine, comme candidat surprise à la présidence de l’ARP, dans une manœuvre, tout aussi incongrue, mais qui peut s’avérer efficace.
Le mouvement Echâab est tenté, pour sa part, de présenter un concurrent à Ghannouchi en la personne de Safi Saïd. Mais quoi qu’il en soit, il serait surprenant de voir les députés unionistes arabes voter pour le candidat des islamistes sans de lourdes concessions de la part d’Ennahdha, qui dépassent de loin le simple retour de Salem Labiadh à la tête du département de l’éducation.
Quant à Tahya Tounes, son chef est depuis longtemps en parfaite harmonie avec les islamistes. Mais cela est presque insignifiant pour les islamistes du fait que les députés du groupe parlementaire Tahya Tounes ne sont pas nombreux et que nul ne peut garantir la discipline au sein de ce groupe.
Pour la première fois donc, le parti islamiste qui a toujours décidé de la cadence de ses manœuvres et avait gagné ses adversaires à l’usure, se trouve traqué par le temps et acculé à faire des concessions à ses partenaires.