Doit-on boycotter les fêtes nationales ?
Beaucoup de personnalités nationales parmi les femmes et des figures de la société civile tunisienne ont annoncé qu’elles boycottent cette année les festivités de la fête de la Femme, notamment la cérémonie donnée par la présidence de la République à cette occasion. Pourtant, la fête de la Femme cette année n’est pas une fête comme les autres. Elle coïncide avec la célébration du soixantième anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel.
Les raisons invoquées pour ce boycott vont des plus sérieuses aux plus farfelues. En effet, certaines annonces, toutes sur les réseaux sociaux, entrent dans le cadre du suivisme, du « m’as-tu-vu », du politiquement correct dans certaines sphères qui continuent depuis cinq ans de « pleurer » leur chère Tunisie et profitent d’un mécontentement général de l’attitude de l’ensemble de la classe politique, à commencer par le président de la République lui-même.
Par contre, d’autres annonces de boycott reposent sur des analyses très profondes et étayent des arguments très sérieux qui auraient pu constituer le socle et le point de départ d’un débat public enrichissant et fructueux sur la situation de la femme en général et sur les questions de la liberté, de la parité et de l’égalité. Cela n’a pas été le cas malheureusement, sauf quelques rares initiatives qui sont passées sous silence.
Mais quelles que soient les raisons de ce boycott, il est clair que ce qui se passe est extraordinaire. Cela démontre que notre pays est résolument en marche pour la liberté. Chaque citoyen, femme ou homme, peut exprimer librement ses opinions, afficher ses positions et agir selon ses propres convictions. Cela n’a pas été toujours le cas.
Pour simple rappel, tout le pays s’arrêtait et ses moyens réquisitionnés durant presque un mois pour célébrer l’anniversaire du Combattant suprême sans que personne ne trouve rien à redire. Sous Ben Ali, la date de son accession au pouvoir a été hissée au rang de fête nationale et célébrée avec faste durant plus de deux décennies sans que personne ne réagisse.
Parmi celles qui ont choisi de boycotter les festivités de la fête de la Femme cette année, on croit reconnaitre quelques-unes qui ne rataient aucune invitation émanant du palais et y voyaient même des occasions pour une éventuelle promotion politique ou sociale.
La question de fond que l’on doit poser ensemble est de savoir quelle attitude adopter dans de pareilles circonstances. Doit-on boycotter la fête de l’Indépendance sous prétexte que notre indépendance n’est que relative face aux puissances internationales et aux institutions financières mondiales ? Doit-on zapper la fête de la révolution compte tenu des atermoiements actuels du processus révolutionnaire ? Doit-on bouder la fête du Travail parce que les conditions de centaines de milliers de travailleurs continuent à être précaires ? Doit-on s’abstenir de commémorer la Journée de la terre puisque le peuple palestinien est toujours sous le joug de l’occupation israélienne ? Enfin doit-on plutôt célébrer toutes les fêtes, en faire des occasions pour invoquer l’Histoire, faire le point de la situation, déceler les carences et les difficultés, engager un débat national public autour des questions que l’on considère importantes pour l’avenir du pays et profiter des commémorations pour aller sans cesse vers l’avant ?
D’un autre côté, il est impératif aujourd’hui de reprendre la célébration des fêtes importantes pour notre pays des mains de l’Etat. Seuls les régimes de dictature continuent de monopoliser la mémoire de leurs pays et seules les sociétés résignées et assistées continuent d’accepter ce monopole de l’Etat. Il échoit donc aux partis politiques, aux organisations, aux associations et aux différentes composantes de la société civile d’organiser les festivités nationales en y associant le plus grand nombre de citoyens et en inventant toutes les modalités possibles de célébration. C’est à ce prix que les fêtes nationales retrouveront leur vocation de catalyseur de cohésion et de solidarité sociale et que les cas de boycott seront de moins en moins nombreux.