Par Nizar BAHLOUL

Besmellah Arrahmane Arrahim
On était malade, bien malade. 23 ans de maladie, diront les uns. 50 ans renchériront les autres. A entendre certains analystes, la situation du Jarbouûestan* serait pire qu’en Somalie. Il fallait un traitement de choc pour éradiquer le mal là où il est. La corruption, le clientélisme, les malversations, tout ce qui ronge la Tunisie doit être éradiqué.
Il faut donc de bons toubibs pour soigner la maladie et un bon ingénieur pour montrer le chemin de ce pays qu’on va reconstruire. Tous doivent porter des lunettes pour bien voir l’avenir.
Hors de question bien sûr que le choix du gouvernement du Jarbouûestan passe par le vote, les électeurs ne comprennent que dalle à ces choses-là. C’est dans les salons et dans les coulisses que tout se confectionne. Deux candidats se présentent au poste de la présidence de la République jarbouûestanienne. Lequel choisir ?

Ams, tram, gram: Pic et pic et colégram. On a trouvé notre toubib pour diriger la République du Jarbouûestan ! Il nous vient droit de France, notre « mère patrie » la France (mes excuses pour les âmes sensibles), premier partenaire, premier client, premier fournisseur. Et premier refuge quand on a de gros problèmes.
Notre toubib s’appelle « Mon Chef », un nom parfait pour occuper la magistrature suprême et soigner la maladie du Jarbouûestan. On le préfère à l’autre candidat beldi et marsois qui, avec son air narquois, n’inspire pas la masse.
Allez hop ! Mon Chef estcatapulté président de la République du Jarbouûestan.

Reste maintenant à savoir ce que l’on va faire de l’autre toubib, Stoufa Jaâfreyya. Il n’était même pas capable de se classer parmi les trois premiers aux dernières élections celui-là et il revendique un siège à sa mesure !
Mais au nom de l’intérêt national du Jarbouûestan, on doit lui en trouver un. Il nous garantira les voix des bourgeois et de l’intelligentsia. De plus, il a d’excellents rapports avec les Français et leur BB ambassadeur. Garder de bons rapports avec la « mère patrie » est impératif pour construire l’avenir.
Allez hop ! Stoufa Jaâfreyya est catapulté président de l’Assemblée des élus.

Si les deux présidences exigent des soignants, le chef du gouvernement, lui, doit être un bon ingénieur.
Dans le cahier des charges de cet appel à candidatures, ce poste de Premier ministre doit être réservé à quelqu’un du Sahel pour respecter les traditions ancestrales. C’est qu’au Jarbouûestan, on adore les traditions ancestrales. Il doit aussi satisfaire les masses, être adulé et encensé.
L’autre condition sine qua non du cahier des charges est que le candidat soit adoubé par nos autres partenaires, maitres et amis, les Américains et les Qataris.
Le candidat idéal s’est présenté et il s’appelle Iznogoud. Comme le célèbre personnage BD de Goscinny et Tabary. Il est magnifique l’Iznogoud du Jarbouûestan, non seulement il va plaire à la masse islamisée, aux Sahéliens mais aussi à la ménagère de moins de 50 ans qu’il pourra faire pleurer en lui racontant ses terribles années de prison. Cerise sur le gâteau, on l’a envoyé à Washington et il a obtenu son satisfecit.
Allez hop ! Iznogoud est catapulté Premier ministre avec tous les pouvoirs dignes de ce poste.

Tout n’est pas résolu pour autant, car il nous reste encore un candidat à placer. Il s’agit de Sidi Cheikh qui est rentré de son asile londonien pour fêter la révolution jarbouûestanienne. Il faut bien lui trouver un siège à sa mesure. Que direz-vous du poste du guide suprême à l’instar de ce que font nos amis et frères iraniens ?
Allez hop, Sidi Cheikh au poste du guide suprême de Jarbouûestan …
Stop !!
Il y a un hic. C’est que les habitants du Jarbouûestan n’ont pas encore digéré tout ce qu’on vient de leur administrer.
Un poste de guide suprême ressemble vachement au titre que s’était autoproclamé un certain combattant suprême il y a cinquante ans. Il faut d’abord effacer des mémoires l’Histoire avant de leur proposer un mollah (synonyme de guide suprême) pour les guider. Sinon, il y a risque de complications.
On va donc attendre quelques mois avant d’offrir un poste de mollah à maouley Sidi Cheikh. Il saura attendre le gentil papi. De ses années d’exil londonien, il a su devenir patient.

Maintenant, il va falloir faire apprendre aux Jarbouûestaniens cette patience, notamment aux plus turbulents.
Les médecins et l’ingénieur vont commencer à travailler et ils ont besoin de tranquillité pour effacer de nos mémoires notre Histoire et notre modèle social.
Ils n’ont pas besoin d’être perturbés par ces artistes, cinéastes, journalistes, humoristes ou syndicalistes. Tout le monde doit avaler les pilules gouvernementales sans broncher. C’est pour notre bien paraît-il. Tout le monde est donc invité à se taire.
Toute critique sera assimilée à une tentative de saboter la marche théocratique (démocratique, pardon) du Jarbouûestan et un manifeste contre la volonté du peuple.

Oyez ! Oyez ! Ô habitants du Jarbouûestan, le moment est historique, l’instant est divin. On a mis 30 jours pour vous composer ce gouvernement, mais ne vous inquiétez pas, il vous faudra 30 ans pour le décomposer.
Dans ce nouveau Jarbouûestan, on sera le meilleur pays du monde arabo-islamique. Eux, ils vivent encore au XVème siècle. Nous, nous vivrons au XVIème siècle.
Vous êtes prévenus ô habitants du Jarbouûestan, vous êtes entre de bonnes mains, ne vous inquiétez pas, on s’occupe bien de vous et Allah en témoigne. On décidera pour vous dans nos salons et on vous dira ce que vous devez lire, ce que vous devez écrire, ce que vous devez voir. On vous dira, surtout, ce que vous ne devez pas lire, ce que vous ne devez pas écrire et ce que vous ne devez pas voir. Maintenant silence et obéissance, car l’instant est divin et Allah est aux côtés des patients !

N.B 1 : Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
N.B 2 : Le terme Jarbouûestan (tiré du mot rat) est emprunté au célèbre blogueur-facebooker Big Trap Boy (Extravaganza) que je remercie d’avoir cédé ses droits d’auteur pour cette chronique.
N.B 3 : Cette chronique n’a pas été envoyée au futur président de Jarbouûestan qui exige, désormais, de voir tout ce qui s’écrit sur lui avant publication.