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Tribunes
Le départ d'Ennahdha sera-t-il imminent ?
12/08/2013 | 1
min
Le départ d'Ennahdha sera-t-il imminent ?
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Par Mustapha Mezghani

Lors de nombreux échanges que j’ai eus ces derniers jours, avec la famille, à l’occasion de l’Aïd, ou avec des amis ou tout simplement au Bardo, une question revient souvent : Quand est-ce qu’Ennahdha va accéder à la demande populaire et quitter le gouvernement ?

Cette question dénote d’une impatience pour en finir au plus tôt et voir ce pays tant aimé, la Tunisie, concrétiser les objectifs de la révolution, « travail, liberté et dignité », instaurer une Démocratie digne de ce nom et confirmer les libertés universelles afin que tout un chacun puisse mener sa vie et pratiquer sa religion et ses croyances comme il l’entend et comme il en est convaincu.
Ceci confirme aussi que pour nombre de citoyens, le gouvernement et l’ANC ont échoué dans leur mission : (1) une ANC dont la majorité « troïkiste » a, quelque part, « délégué » ses pouvoirs au parti hégémonique d’Ennahdha et dont le président demande au gouvernement de trouver une solution à la crise actuelle alors que c’est le gouvernement qui est supposé travailler sous le contrôle de l’ANC et (2) un gouvernement qui a échoué dans sa mission de reprise économique et dans celle d’assurer la sécurité du pays, pire encore, un gouvernement qui n’a cessé, depuis qu’il est aux commandes du pays, de fermer les yeux sur les activités des terroristes en Tunisie, voire de les encourager. Tout cela est largement confirmé par les déclarations de certains membres du gouvernement qu’ils soient démissionnaires ou en exercice.
Cependant, force est de constater qu’Ennahdha, ne peut se permettre officiellement de voir la situation du pays avec le même œil que les participants à la manifestation « Errahil » au Bardo et ne peut surtout pas se permettre de préconiser le même remède, à savoir démettre ce gouvernement et le remplacer par un gouvernement de salut national (GSN) composé de technocrates (par opposition à un gouvernement d’union nationale, composé de membres de partis) ainsi que de dissoudre l’ANC. Ceci ne peut avoir lieu aussi facilement même si certains de ses membres sont conscients de cet échec flagrant et ce pour différentes raisons.
La raison la plus importante serait une reconnaissance d’échec de la part d’Ennahdha. Un échec flagrant dans la gestion des affaires du pays d’autant plus que le gouvernement qui lui succédera risque de mettre à nu toutes les erreurs commises qu’elles soient d’appréciation ou d’action, même si ces erreurs étaient prévisibles dès le départ. En effet, les ministres et leurs conseillers n’ont pas d’expérience et de savoir-faire en termes de stratégies et de politiques. Rares sont ceux qui disposent d’une expérience professionnelle adéquate, y compris ceux qui sont venus de l’étranger, bardés de diplômes mais ayant plutôt occupé des postes techniques. Enfin, pour certains d’entre eux, leur première expérience professionnelle a été ministre, dixit Hamma Hammami. Je ne veux en rien diminuer de leur éventuel militantisme, cependant il y a une réalité qui ne doit être masquée.
La deuxième raison est que si Ennahdha venait à libérer le poste de chef du gouvernement, toutes les nominations de ses partisans risqueraient d’être remises en cause et cela aurait deux conséquences majeures : (1) une perte de pouvoir au niveau de l’administration centrale et des régions, pouvoir pouvant être exploité lors des élections et des campagnes électorales, pouvoir lui permettant de fermer les yeux sur les activités de certains groupes usant de violence à l’instar des LPR, voire des terroristes,… mais aussi et surtout, (2) la suppression de la récompense et de la gratification de nombre de ses militants, non seulement ses militants d’aujourd’hui, mais aussi ceux des dernières décennies, qui ont été recrutés et/ou nommés à des postes de responsabilité.
La troisième raison est la peur d’être tenu pour responsable (mouhassaba), voire d’être jugé pour des faits et actes commis de bonne ou de mauvaise foi, de voir les choses mises à nu. Certains procès sont déjà en cours et d’autres risquent de suivre. Si cela a été fait sur la base de fuites alors même qu’Ennahdha est au pouvoir (ministère des Affaires étrangères, ministère de la Femme,…), qu’en sera-t-il une fois qu’elle aura quitté le pouvoir, que les langues se délieront encore plus et que les archives et autres documents seront rendus publics ? Qu’arrivera-t-il si l’Opengov était effectivement mis en œuvre par ce nouveau gouvernement, ce GSN ?
Quatrième raison, et pas des moindres, l’Internationale islamiste ne peut se permettre de lâcher la Tunisie surtout après ce qui s’est passé en Egypte. Cela fait longtemps que les islamistes attendent de prendre quelques pays en main et ce n’est pas aujourd’hui, une fois arrivés à la source, qu’ils accepteront de partir sans en boire, aussi facilement. Tout comme la révolution en Tunisie a montré aux autres pays arabes que c’était faisable, l’échec islamiste en Tunisie, après ce qui s’est passé en Egypte, confirmera qu’il est possible de les « dégager » et sera considéré comme un échec des islamistes au niveau international.

Pour toutes ces raisons et bien d’autres, Ennahdha ne quittera pas le pouvoir et surtout ne l’abandonnera pas aussi facilement que certains le voudraient, il y tiendra des pieds et des mains car, pour elle, le risque est gros, trop gros !
Et après tout, pourquoi voulez-vous qu’il abandonne le pouvoir aussi facilement puisque tout l’arsenal juridique en place est en sa faveur. Mettez-vous un seul instant à la place d’Ennahdha pour comprendre sa réaction, et surtout ne dites pas que si vous étiez à sa place vous auriez agi autrement car si les membres d’Ennahdha pensaient comme vous, ils ne seraient pas nahdhaouis. Cependant, considérez que vous êtes nahdhaoui à cet instant précis de l’histoire de la Tunisie.
Il est vrai que la légitimité, d’après le décret appelant aux élections, est terminée depuis longtemps. Cependant, Ennahdha ne le voit pas de cet œil et la petite constitution rédigée après les élections n’a pas défini une durée à l’ANC, elle a tout simplement considéré que l’ANC prendra fin avec l’entrée en fonction du futur parlement. Ainsi, pour Ennahdha, l’ANC est toujours légitime et elle devra le rester ne serait-ce qu’en apparence.
La légitimité d’Ennahdha et de son gouvernement est d’autant plus importante que cette même petite constitution stipule que le chef du gouvernement doit obligatoirement être le candidat du plus grand parti représenté à l’ANC, soit Ennahdha, ceci ayant été largement approuvé par la majorité troïkiste avec la bénédiction du CPR et d’Ettakatol. D’après la petite constitution, le seul cas où le chef du gouvernement peut ne pas être issu d’Ennahdha est quand le candidat proposé par Ennahdha n’arrive à pas composer un gouvernement, auquel cas, le président de la République est « autorisé » à désigner un autre candidat. Cependant, le président de la République étant en poste grâce à la bénédiction d’Ennahdha, je le verrais mal aller à son encontre, tout comme cela est le cas du président de l’ANC.
A la petite constitution, vient s’ajouter l’arsenal juridique mis en place par Ben Ali pour installer et exercer sa dictature. Cet arsenal juridique existe encore et est toujours d’actualité car aucune action n’a été intentée pour le démanteler. Cet arsenal pourra être utile en cas de besoin pour contrer toute manifestation ou réaction hostile au gouvernement et à la majorité en exercice. D’ailleurs, Ali Laârayedh n’a-t-il pas réactivé la loi de 2003 sur le terrorisme alors que son gouvernement a longtemps nourri ce même terrorisme ?
Enfin, Ennahdha détient aujourd’hui les commandes du pays, lui seul peut l’engager et parler officiellement en son nom, il a placé plusieurs de ses hommes pour justement atteindre cet objectif.

Le départ d’Ennahdha n’aura pas lieu de si tôt et ne sera pas aussi simple que certains le pensent. Quand vous vissez une vis dans une planche de bois, cette vis laissera des traces en s’enlevant, maintenant l’importance de la trace, des séquelles dans notre cas, dépendra du bon vouloir de la vis à tourner ou pas; et si par malheur vous êtes pressés et que vous utilisez un arrache-clou, elle emportera avec elle une partie de la planche.

Il ne faudra surtout pas s’impatienter et baisser les bras car tous les signes indiquent qu’Ennahdha est conscient de la situation du pays, qu’Ennahdha est conscient qu’il n’a plus la même popularité et qu’Ennahdha a la peur au ventre. Cependant, la logique d’Ennahdha ne lui permet pas d’abdiquer.
Je ne voudrais pas sembler pessimiste, bien au contraire, je suis optimiste quant à l’avenir de la Tunisie. Cependant, mon réalisme m’amène à dire que cela prendra du temps et nécessitera ténacité et persévérance.
La manifestation « Errahil » devrait avoir encore de beaux jours devant elle. Ayez du souffle car c’est grâce à vous qu’elle prend tout son essor et c’est grâce à votre persévérance et militantisme civilisé qu’Ennahdha quittera le pouvoir.
12/08/2013 | 1
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