Elections législatives : vers un nouvel échiquier politique
A quelques mois du coup d’envoi des élections législatives en Tunisie, partis politiques, indépendants et organisations nationales ont commencé leurs opérations de charme des électeurs. Or, les récents sondages politiques n’ont cessé d’affirmer qu’à l’heure actuelle, les Tunisiens ne savent toujours pas pour qui ils voteront le 6 octobre 2019… ou presque.
C’est à partir d’aujourd’hui, lundi 22 juillet 2019, que les candidats à ce scrutin vont pouvoir présenter leurs dossiers de candidature à l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie). Beaucoup d’entre eux se sont dirigés vers les bureaux de l’Isie affichant leur meilleur sourire et une confiance en soi inébranlable.
Pourtant, peu de temps avant le dépôt des dossiers de candidature, la scène politique tunisienne avait connu un remous qui avait laissé les Tunisiens assez perplexes et en particulier les militants du mouvement islamiste Ennahdha.
Ces derniers ont été surpris de découvrir que les noms de plusieurs dirigeants avaient été barrés et remplacés par d’autres de la composition des listes électorales. Le député Abdellatif Mekki, qui était censé représenter Ennahdha aux législatives sur la circonscription de Tunis 1, a été placé tête de liste du Kef. Il avait été remplacé, sans grande surprise, par le président du mouvement islamiste, Rached Ghannouchi. Et c’est d’ailleurs ce dernier qui avait barré les noms de plusieurs dirigeants pour les remplacer par d’autres.
Les réactions des nahdhaouis ne se sont donc pas fait attendre puisqu’à titre exemple, le député et ancien ministre de l’Agriculture sous le gouvernement de la troïka, Mohamed Ben Salem, avait indiqué qu’une pétition a été signée par de nombreux membres du conseil de la Choura pour la tenue d’une réunion exceptionnelle dédiée à l’examen des dépassements du bureau exécutif du parti. Selon lui, le bureau exécutif d’Ennahdha a outrepassé ses prérogatives en modifiant plus de la moitié de ses listes électorales, ajoutant qu’il est éthiquement inacceptable qu’il soit à la fois juge et partie.
Reste à savoir maintenant si ces remous vont décourager les électeurs, et en particulier les jeunes qui ont affiché en 2014 et en 2018 leur désintérêt des échéances électorales. En tout cas, ce grabuge va sans doute être profitable pour les opposants d'Ennahdha, c’est-à-dire les partis politiques qui ne rêvent que d’une seule chose : voir le parti islamiste dissous de la scène politique. Et c’est d’ailleurs le vœu le plus cher du Parti destourien libre (PDL) et de sa dirigeante, Abir Moussi.
Cette dernière n’arrêtait pas de dire haut et fort à ses fidèles militants que le mouvement des Frères musulmans, comme elle continue à l'appeler, sera dissous une fois que le PDL sera au pouvoir. C’est principalement à cause d’Ennahdha que le pays va mal depuis ses dernières années et qu’il y a eu plusieurs attaques terroristes, disait-elle aussi.
De telles déclarations peuvent sans doute plaire à certains électeurs, aujourd’hui nostalgiques de l’ère de Ben Ali et de Bourguiba où le pouvoir d’achat des Tunisiens n’était pas à son plus bas niveau comme c’est d’ailleurs le cas.
Mais pour certains partis politiques, le PDL rappelle les années de dictature où la liberté de presse, d’expression et de manifestation n’existait pas. Une époque où le port du voile et du niqab n’était aussi pas permis pour les femmes. Et c’est peut être un des arguments que pourraient utiliser certains candidats pour défendre bec et ongles tout ce qui est en rapport avec l’extrémisme religieux.
La candidature de Maher Zid, Seif Eddine Makhlouf, Imed Dghij, Rached Khiari et Halima Hammami, connus pour leurs idées radicales, avait réellement surpris les Tunisiens qui, n’ont pas raté l'occasion de se moquer de la médiocrité de la scène politique. Certains avaient même, sur un ton ironique, massivement partagé un faux post Facebook publié par le chef de l’Etat islamique, Abou Bakr Al-Baghdadi, qui avait exprimé le souhait de se présenter lui aussi à ces échéances électorales sous les couleurs de la coalition de la Dignité.
Or, pour les plus lucides, voter en faveur d’un défenseur de l’extrémisme religieux ne serait rien de plus qu'une idée farfelue. Que reste-t-il alors ? Nidaa Tounes est aujourd’hui devenu un parti presque fantomatique, le Front Populaire (FP) connait depuis quelques mois des luttes intestines à n'en plus finir, Tahya Tounes peine à convaincre et nombreux autres partis de droite ou de gauche ont clairement régressé dans les sondages politiques.
Face à une telle situation, le choix est devenu un peu plus compliqué pour les électeurs indécis. Pour d’autres, en revanche, ce choix est vite fait. Certains ont exprimé leurs intentions de voter en faveur du parti Au cœur de la Tunisie, fondé et dirigé par l’homme d’affaires et de médias, Nabil Karoui. Ces électeurs estiment en effet que le patron de Nessma TV ne veut que le bien du pays et veut réellement aider les pauvres et les plus démunis. Ce qui n’est pas le cas avec les autres partis politiques et principalement ceux actuellement au pouvoir depuis 2015, continue-t-on à affirmer.
D’autres par contre ont affiché leur soutien au mouvement « 3ich tounsi » dont la fondatrice, Olfa Terras-Rambourg, avait annoncé il y a quelques jours son intention de se présenter aux élections législatives sur la liste de Bizerte. Les dirigeants de ce mouvement s’étaient rendus dans plusieurs régions tunisiennes pour écouter, comme ils le disent, les problèmes des Tunisiens. Près de 500 mille citoyens ont signé le fameux « Document des Tunisiens » et ont fait ainsi confiance à cette association, se disant être de bienfaisance, affirme 3ich tounsi. D’ailleurs plusieurs artistes avaient fait leurs apparitions dans différents spots publicitaires filmés par cette association. On retrouve notamment les actrices Kaouther Bardi et Naïma Jeni et les acteurs Abdelhamid Kaies et Sadok Haloues.
Toutefois, une question se pose : ces candidats, qu’ils soient indépendants ou partisans, sauront-ils convaincre les jeunes de ne pas se tourner vers l'abstentionnisme et de voter pour eux lors des législatives?
Rappelons-nous, l’abstention des jeunes aux élections municipales de 2018 avait été fortement ressentie par les acteurs politiques. Et la raison de cette réticence se résume à vrai dire en un seul point : le manque de confiance dans la classe polutique et les élites dirigeantes. Les élections législatives de 2019 seront-elles alors une occasion de faire renouer les jeunes tunisiens avec la politique ? Rien n'est moins sûr...
Emna Ben Abdallah