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Diplomatie tunisienne, un mal-être qui s'aggrave
23/05/2014 | 1
min
Diplomatie tunisienne, un mal-être qui s'aggrave
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S’il est un ministère qui a pâti après la révolution d’une mauvaise image liée, essentiellement, à l’intrusion du politique dans le diplomatique, c’est le ministère des Affaires étrangères. La nomination à sa tête de Rafik Abdesselem, gendre du leader islamiste Rached Ghannouchi, puis ses déboires judiciaires, ont marqué un passage de la diplomatie rigoureuse à une diplomatie contestable et contestée. Les intrusions de Moncef Marzouki n’ont fait qu’accentuer le trait d’une politique étrangère, étrangère aux codes en vigueur.

La diplomatie tunisienne a commencé à connaître ses premiers déboires, aux lendemains des élections, lorsque le temps était venu pour partager le gâteau et en distribuer les parts. Par complaisance, par proximité idéologique ou appartenance partisane apparente ou camouflée, les postes au sein des représentations diplomatiques ont été distribués. Les plus attrayants ont été partagés entre les membres de la Troïka au pouvoir.

Ces nominations politiques ont suscité de nombreux remous et, pourtant, rien ne semble changer. C’est qu’un bras de fer s’est opéré, depuis peu, entre les deux présidences, celle du gouvernement et celle de la République. La première ayant promis de faire en sorte que cela soit révisé au plus vite et la deuxième s’entêtant pour que tout cela soit maintenu en l’état. Entre les deux, Mongi Hamdi, ministre des Affaires étrangères doit jouer, péniblement, aux intermédiaires. Moncef Marzouki refuse, selon des sources diplomatiques, que soient révisées les nominations politiques parmi nos représentations consulaires. En attendant, la préparation d’un mouvement prévu avant la rentrée reste en suspens, « otage de l’entêtement présidentiel », nous dit-on au ministère.

Malgré des défaillances de taille, aucune sanction n’atteindra ces ambassadeurs. Adel Fekih avait tout de même commis un impair pour lequel des mesures devaient être prises. A cause d’une négligence de sa part, son supérieur hiérarchique, Mongi Hamdi, ministre des Affaires étrangères a été mal accueilli en France, malgré son statut et le passeport diplomatique qu’il a présenté. Celui qu’on sait proche d’Ettakattol a, semble-t-il, bénéficié du soutien de Mustapha Ben Jaâfar, secrétaire général du parti et président de l’ANC. L’incident est passé sous silence, sans que les autorités françaises ne réagissent. Cela n’a pas été le cas du ministre marocain des Affaires étrangères ayant eu le même traitement de la part des autorités françaises et qui a, lui, bénéficié d’excuses officielles de la France.

Quant aux erreurs de l’ambassadeur de Tunisie en Libye, réputé proche d’Ennahdha, ce sont deux Tunisiens kidnappés par des milices libyennes qui en paient le prix. Selon nos sources au sein du ministère des Affaires étrangères, celui-ci n’a cessé d’être rassurant quant à la sécurité de ses subordonnés. Prétendant, à chaque fois, avoir la situation sous contrôle, ledit ambassadeur avait pourtant affecté des membres du personnel de sécurité détachés du ministère de l’Intérieur à d’autres tâches. Un premier kidnapping a touché le personnel de l’ambassade : le 21 mars 2014, c’est Ahmed Ben Cheikh, employé local qui sera enlevé par des ravisseurs. Ces mêmes ravisseurs  enlèveront aussi Laâroussi Gantassi, diplomate et second de l’ambassade tunisienne en Libye, le 17 avril 2014. Malgré les négociations, les deux otages tunisiens ne sont, jusqu’à ce jour, pas libérés. Mais l’ambassadeur tunisien dit encore avoir, à travers ses contacts sur place, de quoi agir en faveur d’une libération qui peine à venir.

La situation actuelle en Libye, et le semblant de guerre en devenir qui s’y amorce n’a pas arrangé les choses. A Benghazi, comme ailleurs, la sécurité demeure nulle, et nos diplomates sur place sont on ne peut plus exposés, sans un effort particulier pour que soit garantie leur sécurité.

Selon certains observateurs, les personnes nommées à la direction de représentations diplomatiques tunisiennes doivent être rappelées avant les élections. Chafik Sarsar, a relevé ce point, lors de sa rencontre en date du 20 mai 2014 avec Mongi Hamdi, ministre des Affaires étrangères. Le maintien de telles personnes en poste met, selon le président de l’ISIE, en péril le déroulement des élections à l’étranger. Doit-on mettre en péril l’avenir politique du pays par complaisance partisane? Telle est la question qu’on se pose au ministère des Affaires étrangères, un ministère où des compétences sont acculées à attendre que soient rappelés ceux qu’ils voient comme des intrus dans la diplomatie, un domaine où l’on doit gravir les échelons, en y gagnant en compétence, pour mériter des postes à la tête des ambassades.

Outre les nominations politiques que Moncef Marzouki refuserait de réviser, il en est d’autres que celui-ci voudrait imposer. Suscitent donc une polémique des noms comme Khaled Ben Mbarek, proche du CPR, et proposé par le président de la République (dont il a été le conseiller), pour le poste d’ambassadeur à Berne ou encore Abderrazek Kilani, réputé proche d’Ennhahda et nommé depuis 2013, ambassadeur représentant permanent de la Tunisie auprès de l’Office des Nations unies à Genève, ou encore celui de Mohamed Hnid, qui passerait de conseiller de Moncef Marzouki au poste d’ambassadeur de la Tunisie à l’Unesco.
Dernièrement, c’est le nom de Adnane Mansar, actuel conseiller à la présidence de la république, qui aurait été proposé « avec insistance » au poste de secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA), en remplacement de Habib Ben Yahia. Mais les partenaires de la Tunisie rejetteraient cette proposition. « La Tunisie est en train de perdre des postes diplomatiques à cause du mauvais choix des candidats », nous avoue, sur un ton amer, un diplomate.

Les relations étrangères tunisiennes pâtissent également d’impairs commis par la présidence de la République et prenant la forme de déclarations non pesées et de décisions impulsives. La fermeture de l’ambassade tunisienne en Syrie et l’isolement qui en a résulté pour une colonie tunisienne délaissée par son pays en est un exemple. Le prouve, également, la déclaration faite en Algérie par Moncef Marzouki. En attestent l’intrusion de celui-ci dans les affaires égyptiennes et le rappel de l’ambassadeur égyptien (suite à l’appel de Moncef Marzouki à la libération du leader islamiste, Mohamed Morsi). Le confirme la décision de rappel de l’ambassadeur des Emirats arabe Unis en Tunisie, le 27 septembre 2013 (suite aux mêmes propos prononcés lors de la 68 ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies). Les dernières positions déclarées quant au soutien exprimé par Moncef Marzouki « au peuple libyen contre toutes les agressions orientées vers ses institutions », exprimée à Nouri Bousahmein, président du congrès national général libyen, a déplu à beaucoup, de part son manque de tact quant aux incidents libyens, incidents graves et aux débouchées encore incertaines. Un des premiers à avoir réagi est le ministre des Affaires étrangères Mongi Hamdi. Celui-ci a relevé, d’une manière diplomatique, l’écart à la norme opéré par un président de la République qui a omis que la Tunisie doit suivre « la position de la neutralité positive ». «La diplomatie tunisienne ne tentera pas d’intervenir dans les affaires internes du voisin libyen », a-t-il ajouté.

« La Tunisie a toujours eu des principes, en ce qui concerne le volet diplomatique. Elle ne s’en écartera point », a déclaré le ministre des Affaires étrangères à la presse récemment. Il a, cependant, omis que la diplomatie tunisienne est, désormais, un des terrains où s'exercent les caprices des nouveaux gouvernants. Objet de convoitises de part les hauts postes qui, à travers elle,  s’acquièrent, la diplomatie tunisienne peine, depuis la révolution, à reprendre son souffle. C’est Mehdi Jomâa, qui après son investiture, a entamé une démarche reconstructive pour que soit revu positivement, par plusieurs pays, le partenaire Tunisie. La diplomatie, dans sa forme « bicéphale », est ainsi tiraillée entre deux présidences. Un bras de fer qui se joue entre Moncef Marzouki et Mehdi Jomâa et qui délivrera peut-être notre politique étrangère du poids des mauvaises pratiques.

Inès Oueslati
23/05/2014 | 1
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