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Tunisie - Réforme du système judiciaire et pénitentiaire, mode d'emploi à l'européenne
21/02/2012 | 1
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Tunisie - Réforme du système judiciaire et pénitentiaire, mode d'emploi à l'européenne
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Des journalistes arrêtés, des agresseurs libérés, des détenus graciés, des récidivistes capturés, décidemment, ces derniers jours, la justice est au cœur de l’actualité.
La justice, devenue principal acteur et l’un des sujets les plus polémiques, a fait preuve de beaucoup de lacunes et se trouve donc dans l’obligation de se faire réformer, assainir et libérer. On revendique désormais une justice transitionnelle, une justice qui serait capable d’assurer la transition démocratique et d’en finir, une fois pour toutes, avec les legs d’abus de pouvoir et de corruption de l’ancien régime.
Le gouvernement provisoire a même jugé nécessaire de dispatcher les tâches entre deux ministères, celui de la justice et celui des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle. L’Union européenne a également manifesté sa volonté de contribuer à la réforme du système judiciaire et pénitentiaire en attribuant une enveloppe de 25 millions d’euros à la Tunisie. Alors que préconise-t-on pour réparer les injustices et promouvoir une justice impartiale et indépendante?

Noureddine Bhiri, ministre de la Justice avait affirmé : «Je crois que l’indépendance de la justice est la seule voie passante pour engager et effectuer des réformes touchant à tous les domaines… Nous avons engagé un dialogue préliminaire avec les juges,les greffiers et les assistants de justice afin de collecter toutes les doléances pour y répondre et jeter les bases d’une justice indépendante selon les normes internationales».
A partir du postulat de la nécessité de l’indépendance de la justice, la réforme du secteur devient la pierre angulaire de toutes les réformes, tous secteurs confondus. Rappelons que depuis l’affaire Attounissia et l’emprisonnement de son directeur, Noureddine Bhiri affirme à présent que la justice est indépendante, cette indépendance semble donc malléable selon les circonstances.


Selon M. Bhiri, l’étape suivante serait l’étude de la situation matérielle et morale des employés de la justice. Le ministre de la Justice a, à ce propos, déclaré: «Le ministère veillera, à promouvoir la situation financière des agents des établissements pénitentiaires et de rééducation, et de rompre avec les pratiques de l'ancien régime qui faisait de ces établissements des lieux d'oppression et de torture».
Il clame ainsi l’adhésion à une «justice de proximité», qui serait à l’écoute des professionnels du secteur et également des citoyens, en vue de répondre à leurs attentes.

Or, on ne peut omettre de rappeler que le Syndicat et l’Association des magistrats tunisiens sont loin de parler à l’unisson. Des différends majeurs les séparent et le travail de réforme doit se faire en premier lieu au sein même du corps de la magistrature afin de résorber les conflits et de définir les doléances et les besoins professionnels des juges quelque soit leurs appartenances ou choix syndical.

Par ailleurs, une conférence a été tenue du 8 au 10 février à Tunis, à la clôture de «la consultation nationale pour prévenir et éradiquer la torture et les mauvais traitements», animée par Gerald Stabrock, secrétaire général de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Ce dernier a indiqué que les établissements pénitentiaires tunisiens ont constitué, des années durant, le cimetière par excellence des droits de l’Homme.
M. Stabrock a rappelé que l’actualité socio-politique n’étant plus la même, la Tunisie est tenue de faire preuve de plus de transparence et de plus de respect des droits de l’Homme. Il a ajouté : «l’éradication de la torture est tributaire de l’effort de toutes les forces vives du pays. Ce faisant, il faut commencer par la réhabilitation du personnel des établissements pénitentiaires. Et ce, en leur assurant une formation allant de pair avec les besoins qu’ils affichent, y compris sur le plan psychique et social».


Il reste tout de même clair que ces défenseurs des droits de l’Homme n’ont présenté qu’une lecture superficielle qui ne plonge pas dansla réalité du secteur judiciaire et pénitentiaire dans notre pays.
Ilestdonc essentiel de prévoir des mesures concrètes et pragmatiques, basées sur un diagnostic global, comme cela a été le cas pour l’UE.
En effet, l’Union européenne lance en 2012, son nouveau programme «Justice» en Tunisie, avec une enveloppe de 25 millions d’euros, un programme qui vise à aider la Tunisie dans sa transition démocratique et dans son passage à un Etat de droit. Pour ce faire, l’UE a lancé depuis le mois de juin 2011, une opération de diagnostic du secteur afin de fournir les outils susceptibles de moderniser le système judiciaire et pénitentiaire et de définir les priorités des actions du nouveau programme européen. Un rapport exhaustif, issu de ce diagnostic a été présenté dans le magazine «Europa», bulletin d’information de la Délégation de l’UE en Tunisie du mois de janvier 2012.

Ce rapport stipule que le principe d’indépendance et d’impartialité de la justice doit être mentionné dans la nouvelle constitution, outre l’inamovibilité des magistrats et la réforme du Conseil supérieur de magistrature, sans oublier l’indépendance des procureurs et la transparence dans les attributions des affaires. D’un autre côté, l’UE impose l’accélération de l’informatisation des tribunaux et la réalisation d’une étude économique afin d’évaluer les agrégats financiers de la justice et l’élaboration des indicateurs et ratios adéquats.


Par ailleurs, le même rapport mentionne la nécessité de mettre en place un dispositif de filtrage afin de limiter les appels et pourvois en cassation abusifs, outre la mesure de décharger les tribunaux des prestations administratives comme la délivrance de certificats ou d’attestations.
De même, ledit rapport recommande la réforme globale du code pénal et du code des procédures pénales, afin d’harmoniser cette législation avec les standards internationaux. En termes de coopération internationale civile et pénale, le rapport suggère de conclure un accord sur l’extradition avec l’UE, l’abolition de la peine de mort ainsi que l’amélioration des conditions de détention. A ce propos, justement, il a été recommandé d’apporter des améliorations au système pénitentiaire souffrant de surpopulation et même d’insalubrité.


Ce rapport issu de l’opération de diagnostic a été élaboré par des experts européens indépendants et servira de support aux négociations entre l’UE et l’Etat tunisien. L’enveloppe dédiée à notre pays pour la réforme du système judiciaire reste donc conditionnée par l’engagement solennel de la Tunisie d’édifier des réformes spécifiques, qui rapprocheraient notre système des normes internationales, notamment européennes. A nos deux ministères désormais d’adhérer à ce projet et d’en devenir les protagonistes. Un vrai chantier doit être instauré et un travail de fourmi doit être effectué, si on ne veut pas laisser les 25 millions d’euros nous filer entre les doigts.

Cependant, ces réformes doivent émaner d’une réelle volonté du pouvoir en place de réformer la justice en profondeur. Aujourd’hui 21 février 2012, 9 magistrats du Conseil supérieur du Tribunal administratif se sont élevés contre des pratiques qu’ils jugeaient révolues et appartenant à l’ancien régime, lorsqu’ils ont été invités à une réunion du Conseil présidée par le chef du gouvernement provisoire, Hamadi Jebali (dépassements par la suite démentis par une autre partie de magistrats, ce qui préfigure des différends profond au sein même du corps de la magistrature). En plus de l’affaire Attounissia déjà citée, la réforme de la Justice semble prendre le chemin le plus long et semé d’embûches et nos dirigeants actuels seront appelés à joindre les actes à la parole.

Dorra Megdiche Meziou

Crédit photo : Fethi Belaid
21/02/2012 | 1
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