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Trois ans après : « Mais on ne veut plus de votre révolution ! »
03/01/2014 | 1
min
Trois ans après : « Mais on ne veut plus de votre révolution ! »
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Les premiers signes de la colère populaire, ayant conduit à la révolution du 14 Janvier 2011, sont nés dans le sud, à Gafsa, Metlaoui, Oum Laârayes. Bien avant Sidi Bouzid, Kasserine et Thala. Trois ans après, que pensent les habitants de ces régions du sud de la Tunisie profonde de cette révolution et de nos nouveaux gouvernants, qui se prétendent « propres et démocrates » ? Reportage.

C’était fin 2010, en pleine révolution, quelques jours seulement après que Mohamed Bouazizi se soit immolé par le feu. J’ai pris la voiture et fait le tour du pays à la rencontre de ces régions qu’on ne voit pas depuis Carthage, La Marsa, El Menzah et Ennasr. A la rencontre de ces Tunisiens qui ne profitent pas de l’essor économique de la Tunisie tant vanté par le pouvoir en place, les médias et les instances internationales. Et puis, j’ai rédigé un article, deux semaines avant le départ de Ben Ali en Arabie Saoudite.

Trois ans plus tard, je reprends le volant. J’étais officiellement en vacances, faisant honneur à mes engagements familiaux. Sauf que, concrètement, et comme le disait la prêtresse des journalistes Françoise Giroud, « un journaliste ça travaille 24h/24 et 7j/7. Un journaliste ne garde rien pour lui, il partage tout avec ses lecteurs ».
Je reprends la route de Kairouan, Sidi Bouzid, Jelma, Bir El Hfay, Sidi Ali Ben Aoun, Gafsa, Tozeur, Nefta, Souk Lahad, Kébili. Et puis il y a Metlaoui, cette grande Metlaoui. Cette ville à part, ce berceau du syndicalisme qui regorge de potentialités et d’opportunités de business. Il suffirait juste de savoir comment l’aborder. Ben Ali s’y est cassé les dents. Les gouvernants actuels ne tarderont pas à suivre le même chemin, comme je pourrai le constater au fil des discussions.

Mohamed est un chauffeur de 4x4. Il connaît le désert, comme Marzouki connaît les caves du palais de Carthage. Le président de la République était dans le coin pour visiter ce sud. Dans son sud, comme il dit, il a rendu visite à cette même population que je rencontre aujourd’hui. A la différence que moi, je peux m’attabler dans les cafés que je veux et parler à qui je veux, sans me soucier de l’aspect sécuritaire. Marzouki a tellement peur de cette population qu’il se fait escorter par des centaines de gardes. Il dit, pourtant, être chez lui. Hier, sous Ben Ali, il avait peur et s’est enfui à Paris. Aujourd’hui, il a peur et a fui Sidi Bouzid.
Dans son désert, à bord de son 4x4, Mohamed note et enregistre tout. Il a beau être au milieu de nulle part, il est mieux informé que ces hommes politiques « gominés Monsieur je-sais-tout ».
Mohamed parle de la crise qui s’accentue. « Avant, on avait des charters qui ramenaient les touristes directement d’Europe, là il n’y a plus rien à part ce tourisme local qui va s’anéantir après les vacances scolaires », dit-il. La discussion s’engage.
-« Y a-t-il une solution avec les islamistes ? »
- « Quelle solution peut-il y avoir avec des gens dont le seul faire-valoir est des années de prison ? Ils sont là pour se remplir les poches, regardez leur fonds El Karama voté après minuit ! Et ils se moquent de nous en disant qu’il sera alimenté par des privés ! Pourquoi passe-t-il par l’ANC si ce sont des privés qui vont l’alimenter ?! Et puis est-ce qu’ils veulent du tourisme à la base ? Ils veulent la Chariâa et cherchent à céder ces terres aux Qataris pour venir chasser nos richesses naturelles. D’ailleurs, ne vous étonnez pas si, d’ici un an ou deux, on va constater la disparition de plusieurs espèces comme l’outarde. »
- « Marzouki était là, il a bien vu ce qui se passe, vous a-t-il proposé des solutions ? »
- « Mais il ne comprend rien à rien ! Il est à la présidence par accident ! T’as pas vu ses habits, comment il parle et comment il se comporte ? Et t’as vu le Livre noir qu’il vient d’éditer ?! »
- « Mais il est des vôtres ! Vous l’avez reçu à bras ouverts et lui avez réservé un accueil des plus chaleureux ! »
-« Ah non ! Tu confonds ! C’est à Douz qu’on lui a réservé cet accueil chaleureux ! Et alors s’il est des nôtres et qu’il soit du sud ? Il nous fout la honte à tous ! On n’est pas comme lui et il ne nous représente pas !»
- « Et Néjib Chebbi ? Il est bien de Tozeur ! Représente-il une solution ? »
- « Non ! On l’a su depuis 2011 quand il a quitté le gouvernement de Mohamed Ghannouchi. Béji Caïd Essebsi a demandé à ce que tous ses ministres ne se représentent pas aux élections et se consacrent entièrement à leur boulot. Lui, avec Ahmed Brahim, il a démissionné tout de suite prouvant qu’il ne cherche que le pouvoir. Nos problèmes ne sont pas une priorité pour eux ! La seule solution que je vois est Béji Caïd Essebsi ! »
- « Comment ça Béji Caïd Essebsi ? Tu veux le retour de l’ancien régime ? La révolution n’a donc servi à rien ?! »
- « Mais on ne veut plus de votre révolution ! On a besoin de travailler ! Caïd Essebsi est de la génération de Bourguiba ! Il sait ce que c’est la politique. Il sait où trouver des investisseurs et comment ramener des touristes ! Ces anciens prisonniers qui nous gouvernent ne savent rien et ne connaissent personne ! »

A Metlaoui, le Lézard rouge s’apprête à quitter la gare ferroviaire. Il est rempli et le nombre de réservations dépasse visiblement le nombre de places. Les affaires marchent bien, tant mieux. « Détrompez-vous, ce sont les vacances et il fait très beau ! », nous dit un agent de la gare.
Je me présente au guichet pour payer les tickets pour une balade mémorable au fin fond du mirifique désert tunisien. L’agent lève les yeux, me tend la main et dit « Bravo pour votre Bonté Divine ! C’est du beau boulot ! Vous nous avez mis du baume au cœur ! Vous l’avez tué ! Ne lâchez rien, il faut résister, il faut les faire éjecter ! Ca devient insupportable ! ».
Ici rien n’est différent. De Tunis à Metlaoui, l’information passe. Abreuvés par des informations qui ne sont désormais plus l’apanage de la capitale, les citoyens lambda adulent les Moez Ben Gharbia et Naoufel Ouertani, malgré toutes les accusations de « médias de la honte » que le pouvoir veut leur coller. Les Moutawassat, TNN, Zitouna et Yassine Ayari peuvent aller se rhabiller.
A Sidi Ali Ben Aoun, on soupire et on tient le même langage. « Trois ans de révolution qui n’ont mené à rien, dit le garçon de café. C’est toujours la misère. C’est toujours le mépris. C’est toujours la nonchalance. Avant, les Trabelsi volaient de l’argent, mais donnaient du travail aux gens. Ils faisaient entrer des containers d’une manière illicite et ne payaient pas la douane, mais offraient du business à tout le monde. Ceux-là, ils s’empiffrent tout seuls ! Tu verras les scandales qui vont éclater après leur départ ! »

D’après les sondages des différents instituts spécialisés, le CPR est au plus bas niveau, Ennahdha perd du terrain et Nidaa caracole à la première place. Vendredi 27 décembre 2013, sur Shems FM, Mohamed Henid balaie d’un revers de main ces sondages et déclare que Marzouki n’a jamais bénéficié d’autant de popularité. A la question de l’animateur Hamza Belloumi, maintes fois répétée, sur l’origine de ces sondages et ses chiffres exacts, le conseiller en communication du président de la République, a déclaré sans sourciller que la présidence fait ses sondages dans les cafés populaires.
Ce sont ces cafés populaires que j’ai visités. Pas ceux du Kram Ouest, où les Deghij et Recoba ont leurs habitudes, les cafés populaires de Gafsa, Metlaoui, Douz et Sidi Ali Ben Aoun du fin fond du pays. Et dans ces cafés populaires, dans mon sondage tout aussi subjectif et tout aussi « scientifique », la Troïka et la révolution battent de l’aile. L’impression du ras-le-bol ressentie dans les mêmes endroits il y a trois ans est identique. Il y a trois ans, ces Tunisiens ne voulaient plus de Ben Ali. Aujourd’hui, ils vomissent Ennahdha et Marzouki.

Nizar Bahloul
03/01/2014 | 1
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