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Tunisie – La semaine de la honte et de l'absurde
16/09/2012 | 1
min
Tunisie – La semaine de la honte et de l'absurde
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Viols, torture ayant entrainé la mort, falsifications de documents, falsification du drapeau tunisien, naufrage des immigrés clandestins, mariages collectifs, émeutes sanglantes, débats sur le sacré, violation de l’ambassade des Etats-Unis, incendies, menace d’application de la peine de mort, fausse extradition-expulsion-éloignement, journaliste percuté par la voiture de son directeur général, mausolée de Bourguiba saccagé… les événements qui se sont produits cette semaines se suivent et ne se ressemblent pas. La gravité de la situation n’a d’égale, elle, que l’absurdité des réactions qui s’en sont suivies… Retour sur une semaine mouvementée en Tunisie.

Dimanche dernier, le président de la République tunisienne, offrait une interview à nos confrères du Figaro. S’il mettait en garde, du bout des lèvres, ses alliés islamistes de toute tentation autoritaire, Moncef Marzouki regrettait l’image faussée donnée par les médias tunisiens et étrangers, de la situation du pays, les accusant d’exagérer les faits, les uns en caricaturant la situation, les autres parce qu’ils étaient partisans de l’ancien régime. Il est vrai que certains faits ont presque été passés sous silence, ou d’autres minimisés, et il convient ici de les rappeler.

La semaine dernière, une jeune fille sortant d’une soirée, dans la banlieue Nord de la capitale, est arrêtée par les policiers, en compagnie d’un ami. Le surlendemain, Radhia Nasraoui, s’indignait sur Nessma TV du viol de cette jeune fille par ces mêmes policiers qui l’avaient contrôlée. C’est alors que le ministère de l’Intérieur émet un communiqué pour affirmer que les suspects du viol ont été arrêtés. Il s’agit là d’un précédent positif dans le sens où les autorités avaient rarement pris leurs responsabilités quant aux dérives policières constatées, que ce soit avant ou après la révolution. Mais c’était sans compter une nouvelle « maladresse » du ministère de l’Intérieur qui, par l’intermédiaire de son porte-parole, a jugé nécessaire de préciser que la victime du viol avait été trouvée dans une « position immorale », avec son compagnon… le porte-parole aura beau souligner que cela ne justifiait en rien le viol, le mal est fait.
Pendant ce temps, l’enquête se poursuit concernant le jeune homme tué dans un poste de police, suite aux tortures qui lui ont été infligées. Rached Ghannouchi nous assurera que ce sont des choses qui arrivent et que les policiers ne sont pas censés être des enfants de chœur… ils doivent traiter avec des criminels ! Pourquoi donc dénoncer la torture sous la dictature, si ce sont des choses qui peuvent arriver en démocratie, sous un gouvernement légitime ?

Toujours en fin de semaine dernière, nous apprenons, par l’intermédiaire de médias étrangers, qu’une embarcation de plus d’une centaine de clandestins tunisiens a fait naufrage au large des côtes de Lampedusa. Le drame humain n’est pas encore parvenu aux oreilles du gouvernement, trop occupé par les préparatifs d’un mariage collectif prévu le lendemain. La fête réunit plusieurs ministres, dont les principaux intéressés, le chef du gouvernement et le ministre des Affaires étrangères. Ce dernier, peut-être pas tout à fait reposé de la fête du samedi soir, affirmera que deux cadavres ont malheureusement été repêchés… en état de décès. Suivent des visites de courtoisie, en Italie, de membres du gouvernement et de l’opposition, dont il ne ressortira, pour le moment, rien de concret.

Dans le même temps, Moncef Marzouki est à Doha pour un séminaire sur la restitution des avoirs aux pays du « printemps arabe ». A peine débarqué que la présidence de la République publie un communiqué, faisant état de l’éloignement de Sakher El Materi, suite aux négociations avec « nos amis qataris ». Un « éloignement » présenté comme une première victoire et la présidence ne manquant pas de remercier chaleureusement l’Emir du Qatar pour ce geste. D’éloignement en expulsion, il s’avèrera, par la suite, que les responsables qataris ne sont pas au fait de cette « décision » et que Sakher El Materi ne se trouvant pas au Qatar depuis plusieurs jours, il n’était pas question de parler d’expulsion. Qu’à cela ne tienne, après avoir réussi à expulser l’ambassadeur syrien inexistant des terres tunisiennes, Moncef Marzouki a réussi l’exploit d’expulser Sakher El Materi, de son propre gré, des terres qataries. A supposer que le fait que le gendre de l’ancien président se trouve au Qatar, à Dubaï ou ailleurs (sauf en Tunisie) soit une quelconque victoire. Interpol se chargera du reste, se rassure le président de la République. Un effet d’annonce sur fond de manipulation médiatique ? Non ce sont les médias qui déforment les faits, si l’on en croit Marzouki. La « Bonté divine ! » était de circonstance, pour les remettre en place…

Toujours au même moment, l’ANC fait sa rentrée des classes en séance plénière. Des lois devaient être votées et des ministres interrogés. Mais le premier jour (comme les autres, dans ce cas précis), les écoliers n’ont pas la tête à travailler. C’est Maya Jribi qui tirera la première rafale. En défenseure de la veuve et de l’orphelin, elle exige que l’ordre du jour soit modifié pour évoquer les Tunisiens naufragés. Les séances d’indignation de l’Assemblée constituante n’ont jamais débouché sur quelque chose de concret ? Qu’à cela ne tienne, il faut s’indigner, et devant les caméras, si possible. Une tentative échouée, Ben Jaâfar tient bon puis laisse sa place à Meherzia Laâbidi qui aura moins de chance. En cause, cette fois, un document de projet de loi falsifié. « République bananière », « méthodes de l’ancien régime », les accusations fusent et la séance s’achève. Le lendemain, munie de son communiqué, Mme Laâbidi affirme détenir les preuves de la validité du document, malgré la dénonciation des élus présents dans la commission. Dans le même temps, la vice-présidente de l’ANC profitera de l’occasion pour amener des précisions au sujet de la mise à sac du mausolée d’Habib Bourguiba : « Le salafiste voulait déposer des fleurs sur sa tombe » ! Mme Laâbidi ayant donné son verdict, les deux affaires peuvent être closes.

En fin de semaine, les événements s’accélèrent. La polémique d’un semblant de film de série B, dont des extraits sont diffusés sur internet, enfle en Tunisie. Al Joumhouri ne veut pas être à la traine, en appelant à manifester, tout comme les salafistes, contre l’offense faite au Prophète. Des émeutes ont déjà eu lieu devant l’ambassade des Etats-Unis. Le lendemain, une journée calme, en attendant le vendredi de la colère. Un journaliste se retrouve sur le capot de la voiture du directeur général de Dar Assabah qu’il veut voir démissionner. Le trajet de quelques centaines de mètres se terminera à l’hôpital pour le premier, au poste de police pour le second… qui portera plainte contre le journaliste. L’ordre du jour de l’Assemblée constituante est tout trouvé. 90% pour l’offense au Prophète et 10% pour Lotfi Touati et sa « tentative d’éloigner le journaliste qui s’est jeté sur son capot ». Les huissiers et autres lois se rapportant à la finance peuvent bien attendre. Nous assisterons alors à un déferlement d’indignations contre un film inconnu d’un réalisateur inconnu. Les députés de la majorité, comme de l’opposition, se succèderont pour prouver tout l’amour qu’ils vouent au Prophète et à l’Islam et pour réaffirmer au peuple à quel point ils sont attachés aux valeurs islamiques. Certains en profiteront pour remettre sur la table la nécessité d’une loi incriminant l’atteinte au sacré, laquelle loi devant être contraignante pour les Etats-Unis ! (sic) Un des élus du peuple trouvera également le moyen de justifier le meurtre de l’ambassadeur américain en Libye, les Etats-Unis n’avaient qu’à interdire le film ! (re-sic)

Le même jour, Mohamed Abbou vante les mérites du code pénal, précisément les lois qui servaient à museler l’opposition. Grand pourfendeur des droits de l’Homme, M. Abbou voulait certainement rappeler « innocemment » ce que prévoit la loi pour ceux qui voudraient renverser le régime après le 23 octobre. La sentence, dit-il, est la peine de mort. En Tunisie, il s’agit, précisément, de mort par pendaison.
Béji Caïd Essebsi serait lui-même concerné par la sentence, selon les déclarations de plusieurs responsables du Mouvement Nida Tounes, une menace qui devrait être orchestrée par un membre du gouvernement et exécutée avant le 23 octobre. Accusations que le gouvernement conteste et que Lotfi Zitoun, principal théoricien du complot en Tunisie, rejette, faute de preuves.

Auparavant, il y eut le vendredi de la colère. Celui du « gâchis », comme l’a qualifié un journaliste présent sur les lieux. Une ambassade violée, des bâtiments incendiés, du matériel volé, des forces de l’ordre « dépassées » et surtout des vies perdues. Alors que Rached Ghannouchi fait comprendre à Hillary Clinton que les Etats-Unis devraient voter une loi protégeant le sacré, que Mustapha Ben Jaâfar mène l'enquête pour savoir qui a remplacé l'étoile du drapeau tunisien par une étoile à six branches et que Hamadi Jebali est aux abonnés absents, le responsable de l’école américaine accuse les autorités et la lenteur avec laquelle les forces de l’ordre et la protection civile sont arrivées sur place. Washington prend sa décision : rapatrier son personnel et conseiller à ses ressortissants de quitter la Tunisie. La sentence est tombée.
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