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Tunisie - Assemblée constituante : Entre débats et coups bas
09/12/2011 | 1
min
Tunisie - Assemblée constituante : Entre débats et coups bas
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Voila près de trois semaines que l’Assemblée constituante a ouvert ses portes afin d’entamer les travaux dont elle a la charge. Lourde tâche que d’établir des règles ex nihilo, fonctionnant immédiatement et satisfaisant l’ensemble.
La première règle découlant de cette absence de lois, était la présidence de la première séance déléguée à l’élu le plus âgé de l’Assemblée. Facéties du hasard, l’inimitable Tahar Hmila était cet élu ! Et jusqu’à l’élection de Mustapha Ben Jaâfar il n’a pas manqué d’irriter l’Assemblée.


Une fois Mustapha Ben Jaâfar installé à la présidence de cette Assemblée, il décide la constitution de deux commissions de 22 élus chacun pour établir l’organisation provisoire des pouvoirs et le règlement intérieur. Si des problèmes se sont posés pour le règlement intérieur, notamment la demande du mouvement Ennahdha de voter directement 364 articles dont les représentants venaient d’avoir connaissance, c’est au sein de la commission pour l’organisation des pouvoirs que les polémiques ont été vives.

Du 23 novembre au 5 décembre, les travaux se déroulent à huis clos. Les fuites et les différentes moutures du projet rendues publiques provoquent de vives réactions, et la bataille a opposé autant l’opposition contre la Troïka que les partis de la Troïka eux-mêmes.
La société civile, également, a manifesté ses inquiétudes lors de ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de Bardo 1, en référence à Kasbah 1. Certains y verront une prédiction, celle que les manifestations du Bardo ne se limiteront pas à la première saison…

Du 30 novembre au 6 décembre, la place faisant face au siège de l’Assemblée ne désemplira pas. Le 6 décembre correspondant à la date de la reprise des séances plénières. La veille, le 5 décembre, les élus n’avaient toujours pas reçu l’ordre du jour et les textes qui seront débattus le lendemain. Ainsi, pendant que des milliers de manifestants demandaient une Constitution démocratique et la séparation des pouvoirs, les élus à l’intérieur entamaient leur première discorde sur… l’ordre du jour ! Notons que la ponctualité n’est pas le fort de nos élus (ou du président de l’Assemblée ?) et que les pauses (déjeuner, prières, dîner, goûter, débats en comité réduit, remise en place d’un membre de la Troïka qui a osé déclarer son désaccord) sont légion !

Une matinée entière donc pour se mettre d’accord sur l’ordre du jour et pour mettre en place un mini règlement intérieur (parce que la logique troïkienne voulait qu’on étudie l’organisation des pouvoirs avant d’établir le règlement permettant le fonctionnement de l’Assemblée). Et comme deux heures de travail fatiguent, il fallait quatre heures de pause avant la reprise. La séance de l’après-midi, par contre, a été riche, les interventions concernant le projet dans son ensemble fusent. La motion de censure et la place du CSP dans les lois tunisiennes figurent parmi les sujets les plus discutés. Le mouvement Ennahdha ayant promis des « surprises », les deux co-partisans Noureddine Bhiri et Samir Dilou sortent, tour à tour, de leur hotte, les « cadeaux » à l’opposition. La motion de censure aux deux tiers sera abandonnée et le CSP sera classé dans les lois fondamentales. L’arbre cachant la forêt, le reste n’est pas abordé.

Le soir même, l’opposition savoure cette petite victoire et considère que les choses vont dans le bon sens. Après une semaine de protestation, les manifestants du Bardo respirent un peu. C’était sans compter la journée du lendemain.

Mercredi 7 décembre. Nous entrons dans le vif du sujet. L’opposition tient à introduire dans le premier article, le principe de limitation de la durée de la Constituante. Après de nombreuses interventions en ce sens, Mustapha Ben Jaâfar décide de passer directement au vote de cette proposition, sans autre forme de procès. La Troïka et une quinzaine de membres votent contre, ce qui provoque un tollé contre Ettakatol et Ennahdha qui avaient signé l’accord préélectoral faisant état de cette limitation. Zied Laâdhari, élu du Mouvement Ennahdha, nous affirme qu’un engagement moral vaut plus qu’un engagement écrit, ajoutant que l’Assemblée a le pouvoir de faire et défaire les lois à sa convenance ! Déclaration à prendre en considération…

L’article sujet à débat était ensuite celui en rapport avec le vote de la Constitution, la question du référendum étant posée. Moncef Marzouki a proposé à ce titre que le recours au référendum se fasse dans tous les cas. Proposition refusée y compris par les élus du CPR. M. Marzouki avait, au moment des votes, quitté l’Assemblée, prétextant un moment de fatigue.

Le même jour, Brahim Gassas, élu des listes d’Al Aridha, entamait une longue liste d’interventions musclées, généralement dirigées contre Mustapha Ben Jaâfar, dont le côté despotique dans ses prises de décision n’a pas manqué de faire réagir. Le discours d’Ahmed Nejib Chebbi à ce sujet, chargé en émotion, restera certainement dans les annales de l’Histoire de la Tunisie, pour ses premiers pas vers la démocratie. Une journée éprouvante pour tous, qui s’achèvera après minuit.

Hier, jeudi 8 novembre, le rendez-vous était donné à 10h. Avec les trois quart d’heures de retard académique, l’avancée des négociations bloque sur une question de la plus haute importance. Il s’agit de l’article 7 du projet de loi, appelé par certains « l’article du 7 novembre ». Il s’agit due point prévoyant, dans sa première version, d’octroyer tous les pouvoirs au Premier ministre dans une situation d’état d’urgence. La deuxième version, ajoutant au chef du gouvernement, les deux présidents, ne convainc pas plus. Noômane Fehri, dans son intervention, ne peut cacher son émotion, mettant l’accent sur les dangers inhérents à un tel article. Finalement, après une longue suspension, les différentes parties parviennent à trouver un consensus convenant à la quasi-unanimité des élus. Mais cette victoire est de courte durée, et jusque là, les débats restent relativement cordiaux, à quelques exceptions près.

La bataille sur les conditions d’éligibilité du président de la République et ses prérogatives commencent alors. Le président devra être musulman, et ne devra avoir que la nationalité tunisienne. Après avoir traité les manifestants du Bardo de « déchets de la francophonie », Tahar Hmila poursuit ses déclarations provocantes, cette fois à l’encontre des binationaux. Ce qui n’a pas manqué de faire réagir l’élue PDM, Nadia Chaâbane, qui affirme « qu’un âge avancé n’était pas une preuve de sagesse, et on en a eu la preuve ». Mustapha Ben Jaâfar lui demande de s’excuser auprès de M. Hmila pour ce qu’il considère être des propos diffamants. Au lieu de cela, Nadia Chaâbane en reprenant la parole, a, une nouvelle fois, fustigé le doyen de l’Assemblée.

Plus tard, la tension monte. Ce sont les prérogatives du futur président de la République qui posent problème. Lors de son intervention, Ahmed Nejib Chebbi a comparé la distribution des pouvoirs entre les deux têtes de l’exécutif à celle en vigueur pendant l’ancien régime, c’est-à-dire que tous les pouvoirs reposaient entre les mains d’une seule personne. Il s’est par ailleurs questionné sur les motivations du CPR qui le pousse à accepter ce type de prérogatives, sachant que Moncef Marzouki a toujours défendu les principes d’un régime mixte. L’opposition a annoncé son refus de participer à cette mascarade par son refus de vote et déclaré se laver les mains de la tournure que la Troïka a fait prendre à ces prémisses démocratiques. Mohamed Abbou ne se fait pas prier pour répondre. Il se fait l’avocat d’Ennahdha et reproche au PDP, sans le nommer, d’être derrière les manifestations qui se sont déroulées et l’accuse de s’être corrompu avec l’ancien régime pour ses prises de positions en janvier dernier. Un discours de campagne électorale et une politique de dénigrement, à l’encontre du parti qui l’a défendu lorsqu’il a été en prison. Si le discours n’a pas fait réagir Mustapha Ben Jaâfar, Iyed Dahmani s’est levé et a accusé le CPR d’avoir vendu son âme pour le pouvoir. L’article 10 concernant les prérogatives du président de la République est finalement voté sans changement, sans la participation de l’opposition.

Aujourd’hui, 9 décembre 2011, l’article 14 obligeant le chef de l’Etat à choisir le candidat du parti ayant la majorité des voix pour constituer un gouvernement a été voté. Mais l’article ayant fait l’objet du plus grand nombre d’interventions et de débats houleux est l’article 15 faisant état de la possibilité de cumuler les fonctions ministérielles avec celles de député. Malgré les dénonciations de l’opposition, le cumul des mandats pour les membres du gouvernement (excepté le Premier ministre) a été approuvé et permettra à ces derniers de voter les lois et de siéger à l’Assemblée constituante, en même temps.

Les discussions sur le projet se poursuivent avec des hauts, des bas, des débats et des coups bas. L’exercice de la démocratie, s’il est souvent difficile, s’il est à ses premiers pas, s’il est parfois ponctué par des écarts et des controverses, est certainement plaisant à suivre et à savourer, pour un pays n’ayant jamais connu cette liberté rêvée de voir des partis s’opposer, dans une Assemblée élue.


09/12/2011 | 1
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