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Tunisie - Bardo saison 1, un mélange explosif !
01/12/2011 | 1
min
Tunisie - Bardo saison 1, un mélange explosif !
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Encore quelques milliers de personnes se sont réunies aujourd’hui devant le siège de l’Assemblée constituante au Bardo, faisant le parallèle entre le projet controversé défendu par Ennahdha (et selon les dernières nouvelles qui nous sont parvenues, signé par la coalition tripartite), le problème soulevé par le port du niqab dans les universités et celui des chômeurs de Mdhilla, Om Laârayes et plus généralement Gafsa, demandant le droit au travail.

La politique, la religion et le travail. Les trois maux qui semblent aujourd’hui secouer le pays ont donc réuni ce jeudi 1er décembre, sur la place faisant face au parlement, un microcosme de la société tunisienne, dans ses contradictions, ses paradoxes, ses différences, mais, plus généralement, dans cet oxymore révélateur de l’ « union divisée », où les revendications de libertés, de dignité, de démocratie et droit au travail sont les mêmes, mais ne semblent pas pour autant avoir la même signification.

Dans la matinée, les étudiants et universitaires étaient plus nombreux, remontés, désireux de défendre leurs universités, plusieurs élus y sont passés ; de même Iyadh Ben Achour et Hamma Hammami, entre autres, se trouvaient aux premiers rangs. Dans l’après-midi, la cacophonie générale laisse place aux débats groupés.

Sur la bordure de l’entrée du siège, des arbres et de la verdure. Difficile de se frayer un chemin au milieu de la foule. Sur l’herbe, des tentes ont été dressées, quatre ou cinq grandes tentes et plusieurs autres de tailles plus modestes, excentrées. Ambiance campement de fortune devant le parlement.
Les demandeurs d’emplois venus hier du Sud de la Tunisie, y ont élu domicile. « Nous demandons un emploi, nous disent-ils, le travail est un droit ». Un autre, assis devant sa tente, une pancarte à la main, d’autres encore parlant avec les journalistes ou quelques curieux regroupés autour d’eux. Ils tiennent tous le même discours : « Les usines ont les moyens de nous recruter mais cela se passe toujours comme au temps de l’ancien régime, il y a les privilégiés et puis il y a les autres… ». Lorsque nous leur demandons si la violence et les destructions commises dans leur région étaient la solution ils nous répondent : « Que voulez-vous qu’on fasse ? Lorsque vous n’avez pas les moyens de subvenir aux besoins de votre famille, lorsque vous êtes écœurés de tant d’injustice et que vous n’avez aucune lueur d’espoir que les choses iront mieux demain, que voulez-vous faire ? De toutes façons, nous n’avons rien à perdre, aujourd’hui nous sommes une quarantaine, d’autres sont en route, et nous comptons bien rester ici jusqu'à ce que des garanties nous soient données ».

Plus loin, les étudiants scandaient toujours leurs slogans, alliant les problèmes que rencontrent aujourd’hui les établissements de l’enseignement supérieur et ceux de la Constituante. « Nous, nous demandons la séparation entres les pouvoirs, vous, vous demandez la séparation filles/garçons », peut-on lire sur une pancarte. Ces slogans, en règle générale, comparaient les islamistes d’aujourd’hui aux RCDistes d’hier et condamnaient le retour à la dictature, cette fois religieuse.
À leurs côtés, des jeunes militants communistes, appartenant au PCOT, style Bob Marley ou Che Guevara, semblent se plaire dans ce rôle néo-révolutionnaire. Après la lutte des classes, place à la lutte des « démocrates » contre « l’obscurantisme ».

Pointe d’humour dans ce monde de revendications diverses, une silhouette noire défile au milieu des manifestants, une pancarte à la main. La personne en question s’est couverte, des pieds à la tête, d’un sac en plastique noir et sur la pancarte nous pouvons lire : « devinez si c’est un homme ou une femme qui se cache sous ce niqab » ! Cela n’a pas manqué de faire sourire l’assemblée.

De retour vers la lisière arborée, nous apercevons d’autres tentes n’appartenant pas aux demandeurs d’emploi du Sud. Le mouvement du 24 octobre a lui aussi décidé de camper sur place, jusqu’à samedi. Leurs revendications concernent, pour la plupart, les dangers d’un coup d’Etat institutionnel. Ils demandent, en effet, aux élus de l’Assemblée de leur donner les assurances d’une constitution garantissant la démocratie et les libertés. Ils demandent, en outre, que le droit des martyrs et des blessés de la révolution, ainsi que de leurs familles, soit reconnu et que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de ces martyrs. « Nous sommes là pour plusieurs jours, affirment-ils, nous savons que les jeunes du mouvement Ennahdha seront là prochainement, mais nous tenons bon et nous tenterons de dialoguer avec eux sans entrer dans la provocation ».

Des tables et des chaises, des ordinateurs mêmes, la mobilisation semble s’organiser pour un moment encore. Des couvertures, des matelas et de la nourriture ont été acheminés pour les campeurs, le ton était resté, jusque-là, cordial. C’était sans compter l’entrée remarquée de plusieurs femmes portant le niqab, elles sont venues là pour défendre leurs droits elles aussi. Le dialogue s’engage avec des universitaires et autres manifestants. « Nous ne sommes pas ici pour parler de religion, affirment-elles en chœur, mais de liberté individuelle ». Un professeur tente de leur faire comprendre que dans le cadre de l’université, pour des raisons sécuritaires, mais aussi pédagogiques, le port du niqab pose problème. Elles campent sur leurs positions et revendiquent, haut et fort, le droit de pratiquer leur religion comme elles l’entendent, et de respecter, à leur sens, les préceptes du Coran, ajoutant qu’il n’y avait pas de « moment bien choisi » pour cela. Le dialogue (de sourd) se poursuit et un groupe de plusieurs dizaines de personnes se forme autour de ces femmes. De jeunes hommes, barbe post-pubère et survêtement de sport sous les chaussettes, interviennent soudainement. Sans que celles-ci n’aient rien demandé, ils bousculent la foule de curieux et éloignent les « niqabistes » de quelques mètres. Ils avaient moyennement apprécié que leurs « protégées » soient approchées par tant d’hommes ! Nous leur demandons ce qui leur a déplu et la raison pour laquelle ils sont devenus agressifs ? Avec arrogance ils répondent : « Nous défendons l’Islam »…
Les policiers entourant la place sourient, ils semblent détendus. « Demain il y aura les jeunes d’Ennahdha, nous disent-ils, espérons qu’il n’y aura pas de problèmes entre les deux camps ».

La saison 1 du Bardo s’installe et se poursuit, et chaque jour vaut le détour. En attendant le prochain épisode et les réponses de nos élus aux maux d’une société multiforme… et parfois schizophrène, qui de la liberté crée la dictature, qui de la dignité engendre le désespoir.
01/12/2011 | 1
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