Désormais en Tunisie, il vaut mieux être un barbouze qu’une compétence
N’en déplaise aux chantres de la pensée positive et aux soutiens du chef du gouvernement, tout ne va pas bien en Tunisie. Pire encore, les choses semblent se déliter de plus en plus si l’on analyse la situation du pays du point de vue du comportement du gouvernement vis-à-vis des différents mouvements sociaux que connait la Tunisie ces derniers temps.
Un constat saute déjà aux yeux : si telle ou telle corporation souhaite obtenir ce qu’elle souhaite, il vaut mieux agir comme un barbouze et ne pas hésiter à tenir le pays, autant que possible, en otage. Deux exemples confirment, à tous points de vue, ce constat. D’abord, la situation à Gafsa et le blocage, dramatique pour la Tunisie, de la CPG. En termes de pertes, cette entreprise a bouffé près de 90% de son capital et l’on risque de se mettre à importer du phosphate, ce qui serait une honte absolue pour un pays qui se prévalait d’en être l’un des principaux fournisseurs mondiaux.
En fait, plusieurs milliers de chômeurs de la région ont bloqué l’entreprise et l’ont empêchée de travailler. Ils réclament d’être recrutés dans la fameuse CPG à la suite du concours qui avait permis de recruter près de 1700 personnes. Donc, blocage de la production et prise en otage de l’entreprise qui est un poumon essentiel pour les finances de la Tunisie, surtout en ces temps de vaches maigres. Réponse du gouvernement ? Une coordination au plus haut niveau avec l’UGTT, qui n’est aucunement impliquée dans les contestations, mais qui a servi d’ambassadeur. Résultat ? Le gouvernement sort de son chapeau pas moins de 7000 emplois pour calmer la situation et pour espérer débloquer la crise. Inutile de revenir sur le principe d’achat de la paix sociale, semblable à de la corruption et inutile de rappeler la situation des finances publiques qui sont déjà en difficulté du fait de la masse salariale dans le public. On dira juste que cet accord a réveillé les contestataires du Kamour à Tataouine qui réclament que les accords signés l’an dernier soient mis en œuvre et qui menacent aujourd’hui de refermer les vannes de production du pétrole.
Deuxième exemple, celui du syndicat de l’enseignement secondaire. Mené par l’inénarrable LassâadYaâcoubi, le syndicat refuse de remettre les notes et menace de tenir des grèves. Les professeurs refusent de se soumettre à un accord signé entre le gouvernement et l’UGTT à propos de l’âge de la retraite. Ils estiment qu’ils font un métier beaucoup trop usant pour que les professeurs travaillent jusqu’à 65 ans. Ici, il ne s’agit pas de la revendication mais de la contestation. Le fait que le métier de professeur soit pénible ou pas est sujet à débat. Mais tenir un nombre incalculable d’élèves et de parents en otage en contestant un accord avec le syndicat général qui chapeaute tout le monde, il fallait quand même l’oser. Evidemment, jusqu’à aujourd’hui, rien n’a encore été fait de la part du gouvernement pour désamorcer cette crise et c’est le syndicat de l’enseignement secondaire qui donne le tempo et qui agite, quand il le souhaite, la menace d’une année blanche carrément.
De l’autre côté, il existe des mouvements de contestation bien plus sensés et bien plus responsables. Et c’est peut-être là la raison de leur relatif échec jusqu’ici. Prenez le mouvement des jeunes médecins. On parle ici d’internes et de résidents qui n’ont aucun statut légal régissant leur activité, qui représente, soit dit en passant, près de 80% de l’activité de tout un hôpital. Il s’agit de médecins qui ne disposent pas de leurs diplômes et qui réclament aussi d’être considérés comme n’importe quel citoyen devant le service civil et de ne pas être mobilisables de force. Ils réclament également les mêmes conditions salariales pour leurs collègues étrangers qui sont actuellement payés environ 350 dinars par mois. Que des revendications sensées et tout à fait louables. Et bien ce genre de contestation n’est pas audible pour un gouvernement masochiste qui aime qu’on lui torde le bras. Au lieu de trouver une solution raisonnable à des revendications qui ne le sont pas moins, le gouvernement préfère faire la sourde oreille. Le gouvernement n’est pas gêné par le fait que des médecins fassent la queue devant les ambassades et les centres culturels de pays étrangers pour immigrer par milliers. Le gouvernement n’est pas gêné quand le président de l’ordre des médecins déclare que si la situation perdure, dans 20 ans nous irons nous soigner à l’étranger, si on en a les moyens. Donc, peut être que les jeunes médecins devraient faire acte d’irresponsabilité et bloquer le travail d’un ou deux grands CHU pour être enfin entendus par le gouvernement.
Il y a aussi le mouvement de l’ensemble des représentants des médias avec à leur tête la HAICA et le SNJT. La menace de grève générale est déjà actée devant l’entêtement du gouvernement à vouloir faire passer une loi qui renforce la main mise de l’exécutif particulièrement que les médias publics. La dernière fois que les médias ont fait une grève générale, le chef du gouvernement s’appelait Ali Laârayedh et le pays était gouverné par la troïka. Ceux qui ont été élus aux commandes du pays actuellement ne disaient ils pas qu’ils allaient nous faire oublier cette période noire de l’histoire de la Tunisie ? Pourquoi cet entêtement à vouloir passer en force ? Pourquoi cet argument vaseux comme quoi l’assemblée des représentants du peuple serait le seul et vrai espace de dialogue ?
Dans sa dernière interview télévisée, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a dit que les attaques contre le gouvernement verraient leur cadence augmenter car son gouvernement combat la corruption. Une manière détournée de suggérer que ceux qui critiquent son gouvernement et son rendement sont affiliés, d’une manière ou d’une autre, à des lobbies qui craignent ce combat. Une excuse un peu facile pour discréditer les mouvements de contestation et les remous que connait le pays. Mais Youssef Chahed n’a pas trouvé mieux pour l’instant. De toute façon, c’est toujours la faute aux autres et le gouvernement a fait ce qu’il fallait. Blacklistage de la Tunisie ? C’est la faute à la Banque Centrale qui a trompé l’exécutif. Des lycéennes décèdent brûlées dans un foyer ? C’est la faute à des actes criminels, rien à voir avec le ministère. Elections partielles en Allemagne ? Hatem Ferjani est une compétence. Et on pourrait multiplier les exemples de cette sorte. Sauf que les syndicats ont compris la combine, ils savent aujourd’hui qu’ils ont devant eux un gouvernement faible qui finira par plier tôt ou tard, et ils en profitent.