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Tribunes
Des enfants destinés aux montagnes
07/02/2019 | 09:18
7 min
Des enfants destinés aux montagnes
Par Lilia Bouguira
 
L'horreur a un nom. 
Elle s'appelle le camp de concentration de Regueb où le travail ne rend jamais libre.
Je suis dans le groupe de visite pour le centre de prise en charge des 42 enfants de Regueb.
Le délégué régional de l'enfance lance comme dans un cri de douleur: 
De ma vie, je n'ai eu à voir des enfants maltraités de la sorte moi qui suis bientôt aux portes de la retraite.
On se croirait hors temps hors espace.
42 gamins de 7 à 17 ans dont le plus ancien dans le camp y a passé 3 ans.
On dirait en Afghanistan. 
Chapeaux hauts pakistanais, des habits afghans et des mules en plastiques.
Des enfants chétifs pour la plupart.
Maigres et au regard fuyant.
Tous affamés, ils se jettent sur la nourriture comme s'ils n'avaient jamais mangé. 
L'un d'eux m'a crevé le coeur en disant:
Nous allons tous prendre ici 5 kilos et plus.
Là bas, on nous apprend à être ascètes. Ils nous donnent de la nourriture pourrie avec des vers pour nous préparer aux jours de "echidda" comme le cheikh dit. 
Les jours durs répète l'un d'eux. 
Ils se lèvent pour manger la nuit continue le délégué.
Ils ont même demandé des capucins.
J'ai donné l'ordre de ne rien leur refuser.
Ils ont été abusés et violés par des adultes.
Certains sont adorables et ont accepté de quitter leurs habits à l'Afghan pour des survêtements de sport et des baskets.
Ils jouent au ballon et des éducatrices les initient doucement à des jeux éducatifs.
Ils sont vite redevenus des enfants.
Seulement, certains sont des durs. De vrais. Ils se posent en percepteurs sur les autres. 
Ils censurent le moindre de leur élan comme celui de certains petits qui ont sollicité de se faire couper les cheveux selon la mode chez nos jeunes. 
Hier encore, ils ont tenté de fomenter une crise dans le centre. Ils ont cassé les vitres du réfectoire et appelé à la rébellion. Un d'eux a même menacé de se mutiler ou de brûler le centre s'ils ne rentraient pas chez eux au camp.
Et lorsque hier, leurs parents sont venus les voir pendant un quart d'heure. 
Ils ont commencé à réclamer de rentrer et à leur mentir en nous enfonçant .
Ils hurlaient que nous les avions frappés, violentés et obligés à danser et à écouter leur musique et regarder leur télé. L'un d'eux a même renvoyé une dame ici qu'il a menacé de frapper parce que non voilée: "séfira" . 
Il prend une pause et poursuit:
Rien ne me torture autant que le suivi post sortie du centre donc dans quelques jours.
Il nous dit encore que plusieurs personnalités leur ont rendu visite. 
Des ONG nationales et internationales également comme le haut commissariat des droits de l'homme. 
Il nous invite juste après à voir les enfants dans les différents locaux du centre.
Dans la cour et sous les rares rayons de ce soleil de février, des enfants jouent. 
Une femme certainement du personnel soignant joue aux échecs avec un enfant de 12 ans. 
Je m'approche d'eux et souffle complice en regard de l'enfant : 
"Ne la laisse pas gagner. Tu apprends vite. Tu es très intelligent."
Deux fossettes comme un soleil creusent un large sourire dans ses joues.
Deux autres garçons tapent dans un ballon.
L'un d'eux court pieds nus. Le directeur protecteur le sermonne fermement. Il s'exécute en souriant.
Il nous invite vers une grande salle où une télévision est allumée. 
Une dizaine d'enfants en présence d'éducateurs regardent librement des dessins animés. 
Ils sont par petits groupes assis autour de petites tables. 
Je m'approche d'un trio fait de jeunes adolescents de 13 et 14 ans.
Je les salue en notre dialecte. 
Ils répondent en arabe littéraire. 
Je leur dis pour les mettre en confiance que nous sommes là pour eux et que nous les aimons. 
Je leur dis encore qu'ils sont les enfants de ce pays et que que ce pays est le leur. 
Je leur dis aussi que je ne les lâcherai jamais .
Je leur demande leur ville d'origine. 
Ils sont tous les trois de la région de Soliman et ses alentours. Ils ont tous les trois fait des études jusqu'à la premiere année lycée . 
L'un d'eux lâche d'un trait qu'il était bon élève et qu'il a quitté les bancs de l'école à cause du niveau de l'éducation et du "fisk". 
La religion est absente et les valeurs sont nulles. J'ai donc choisi la voie de Dieu et l'enseignement du coran.
L'autre répète en écho presque la même chose. Le troisième se tait. 
Il ne me regarde pas et cache ses yeux derrière deux doigts. Les autres sont dans sa bouche comme dans un réflexe de succion. 
Je lui caresse furtivement la tête et lui chuchote à l'oreille :
"Tu suces ton pouce?
Moi aussi, je suçais mon pouce quand j'avais ton âge. Cela me calmait quand j'avais peur ou quand on me faisait du mal."
Il lève les yeux et me regarde. 
En une fraction de seconde, nos regards se rencontrent en douceur.
Dans le sien, une immense détresse.
Dans le mien, une immense panique. 
J'ai mal pour cette enfance maltraitée, abusée et que nous laissons mourir.
Je murmure :"Ne crains plus rien. Je ne te lâcherai plus jamais et plus personne ne vous fera du mal."
Un aîné de 15 ou 16 ans, costaud et au regard vif s'approche pour intervenir et le bloquer.
Je lui fais volte- face et lui dis de mettre des chaussettes par ce froid.Il s'éloigne en murmurant moqueur que c'est pas grave et qu'il va bientôt rentrer et rejoindre le djebel.
 
Je suis comme sonnée et lui demande de répéter. 
Il s'éloigne et répète sans trop se gêner.
 
L'horreur a un nom qui ne porte plus.
L'enfer ouvert sur des petits sans défense avec un énorme harnais. Des monstres ont défoncé leur vie au nom de Dieu. Le sacré n'a pas fini de les tuer. Même Hitler n'aurait pas mieux fait. Hitler a été un monstre que ses victimes ont désigné du doigt. L'holocauste dénoncé à jamais .
Pour ces enfants nourris à la culpabilité, la dévalorisation et le mensonge, ils n'ont même pas ce statut de se reconnaître en tant que victimes puisque la souffrance, la maltraitance et le viol sont conçues comme des récompenses. 
Des bonus pour le paradis.
 
Rites initiatiques. Sévices et maltraitance. 
Viols et tournantes sur des corps marqués au fer et au bâton. 
La satanée falqua sur des pieds et des corps déjà mordus par le froid et les rudes travaux du camp.
Un régime paramilitaire avec des bonus de 100. 
20 bonus pour celui qui sera choisi pour le ménage de la bâtisse du cheikh moyennant d'autres faveurs.
Tous ces privilèges et bons points donnent le droit à une place garantie au paradis. Aux côtés de Dieu puisque celui des hommes n'existent plus.
 
L'horreur n'a plus sa place. C'est la géhenne ouverte plein pied devant ces gamins que des parents ont largué sans âme ni culpabilité moyennant une soit disant une éducation religieuse convenable par ces temps de grands péchés.
 
Âmes pécheresses. 
Chiens perdus avec un seul collier garant: la rédemption dans ces hauts lieux de graves crimes sur mineurs.
Condamnation à la rudesse du camp, de l'insalubrité, la promiscuité et aux travaux forcés. 
Je jette un regard aux mains de cet adolescent de 12 ans qui joue encore aux échecs.
Des mains d'homme de 40 ans impressionnantes et énormes.
Des mains râpées et rugueuses portant sur l'un des dos des marques de brûlure. 
Je pose la question.
Il bafouille :"Une fois je me suis brûlé". 
Je n'insiste pas.
La brutalité des traitements laisse appréhender le chaos affectif, mental et physique.
 
Nous continuons à faire notre visite.
Le directeur, ses recommandations. Il ne dispose que de peu de moyens et de capital humain.
Il ne dispose surtout pas de temps pour la réhabilitation de ces enfants.
Il il il il. ...
 
Je n'ai plus de ouïe que pour ces petits yeux hagards et perdus, ces petits corps battus et ce "Et après la visite, que va-t-on leur faire ? ".
Une tamponnade martèle mon intérieur. Mon bagage de femme médecin, experte en ces lieux de détention est insuffisant. Mon coeur de mére se tord cruellement. L'air me manque. Le temps s'arrête. 
Il est de la folie et un irréparable sacrilège de remettre ces enfants auprès de leurs parents démissionnaires, simplets ou pire, complices.
Il est inconcevable que leur Etat s'en désengage en les remettant à leurs bourreaux. 
En effet, cela serait un haut crime d'Etat de les lâcher et les céder sans poursuites graves pour ces criminels et leurs complices.
 
Je les quitte écrasée, impuissante et désarmée pour mon pays que des monstres ont décidé de violer dans tous les sens éthique et moral en n'épargnant pas ses enfants. 
Pire, nos enfants sont leur objectif.
Les atteindre, c'est détruire en plein coeur notre société.
07/02/2019 | 09:18
7 min
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Commentaires (16)

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Zohra
| 13-02-2019 19:10
Qu'en pensez vous du retour de ces enfants chez leurs parents ? N'est-ce pas beaucoup de contradictions dans cette société ?
Ne fait elle pas peur cette société qui protège pas ses enfants ?

***
| 11-02-2019 21:33
Il faut une cellule de soutient psycologique , et un encadrement avec logement genre pensionat pour tous ces rescapés de l'horreur plus un appuie materiel privè et de l'etat pour longtemps jusqu'a retablissement de l'enfant ´ ou alors les gardaient comme pupille de l'etat car dehors ils vont propager leurs mal aux autres enfants ou membre de la famille ou ils seront contacter par leurs boureaux ´ car je suis sur que les violeurs ne sont pas seulement les adultes qui les entourent mais des te*** qui viennent les visiter pour les baisers ***

laz selima
| 09-02-2019 14:24
ce pavé dans la mare va t il éveiller les consciences les forces vives de ce pays
ce mutisme qui encourage cette mouvance djihadistes rampante encouragée par ennahda et instrumentalisée par elle bien qu'elle crie haut et fort le contraire .Le peuple tunisien n'est pas dupe .Il faut se mobiliser pour aider l'état financièrement et moralement pour que justice soit rendue et paix instauré
plus de compromis ni de compromission possible il s'agit de vie ou de mort surtout de mort d'une Tunisie plurielle pacifique ouverte sur le monde
l'occident doit être conscient du danger que nous écoutons tous à laisse faire
c'est une nouvelle schoa bien pire que celle d'Hitler qui est un enfant de choeur en comparaison avec ces barbares
l 'alerte est donné à quand le débarquement de nos alliés?

Aîda Laz
| 09-02-2019 12:29
Ce récit est poignant
Cependant, ces mesures provisoires ne suffisent pas.
Il faut une prise en charge qui dure dans le temps.leur faire entrevoir qu'il y a autre chose et puis les lâcher dans la jungle est encore plus criminel que de les avoir soutirer de leur enfer seulement pour une periode donnée.
Il y a lieu de procéder à un programme de réelle insertion dans la sociéte autrement c'est un palliatif et non un remède.

Momo
| 08-02-2019 09:12
Pas besoin d'aller jusqu'au Rgueb pour trouver un de leur camp. On peut en trouver à Tunis centre, au vu et au su des autorités. A la place pasteur en face de la mosquée de la rue de Palestine: une institution avec pignon sur rue, gardée par des barbus, qui accueille tquotidiennement de très jeunes petites filles, entre 5 et 10 ans peut être, drapées de leur hijab.

Ali Baba au Rhum
| 07-02-2019 22:14
c'est nul ! c'est bien beau de se lamenter sur des bêtes sauvages enfermées; autant aller au Zoo. Mais qu'avez vous fait pour interdire la chasse?

J.trad
| 07-02-2019 21:53
N'est ce pas que c'est un peu ,de cette salade !! N'est il pas conçu pour raffermir la personnalité ,n'est ce pas que certains dresseurs ,poussent le zèle jusqu'au sadisme !! Autant dénoncer ce que les anglais et les américains ont causé ,à l'enfance en Irak ,et ailleurs ,en Palestine sous les griffes sionistes ,et au Yémen ,pour mettre la main sur les chemins qui mènent à Israël ,!!n'est-ce pas que l'indigence cause des frustrations pire que ce cinémas?!!! conçu exprès pour profaner le prestige de l'islam ,?!!!

Gg
| 07-02-2019 21:38
Poignant, effarant et effrayant.
Maintenant que tout le monde sait que cet enfer existe, cela va cesser bien sûr? Et ceux qui ont permis et créé cela vont passer en justice et être punis par la société?

Norey Ben Mahmoud
| 07-02-2019 20:30
Article poignant qui doit nous reveiller de notre torpeur .
En l'espace de 8 ans notre pays a ete defigure .
Il est regrettable qu'au niveau le plus eleve il y ait un silence assourdissant .

DHEJ
| 07-02-2019 19:12
Cette peut toujours écrire mais a-t-elle jamais rédigé une DUR?


Hein...