Des bâtiments tels des châteaux de cartes
C’est un drame sans précédent qui s’est déroulé dans le quartier du Trocadero à Sousse. A 2h du matin, alors que les habitants dormaient, l’immeuble s’effondre comme un château de cartes. Des familles sont prises au piège sous les décombres. A qui incombe la responsabilité d’un tel drame ? Comment est-il possible que les autorités ne soient pas capables de protéger les citoyens, d’autant plus que cela risque fort de se reproduire ?
Au petit matin de ce jeudi 5 octobre 2017, les informations et les images commencent à affluer. Les Tunisiens découvrent les images du désastre, dignes des scènes d’habitations bombardées en zone de guerre.
Premier choc : la confirmation du décès de deux enfants, une sœur et un frère de 9 et 5 ans. Ils dormaient tranquillement dans leur chambre quand le sol s’est dérobé sous leurs pieds les entrainant dans une chute mortelle. La maman était dans la chambre à côté, elle s’en sortira avec quelques blessures, mais on n’ose imaginer sa douleur en apprenant la mort de ses enfants.
Les mauvaises nouvelles se succèdent. On constate le décès d’une vieille femme de 70 ans et d’un homme de 58 ans alors que d’autres victimes sont toujours coincées sous les décombres. Les secours arrivent sur place. On réussit à sauver quatre personnes souffrant de fractures multiples qui seront transférées aux hôpitaux de Sahloul et de Farhat Hached.
L’immeuble de deux étages abritait 10 personnes dont 3 familles. 5 ambulances et 5 unités de secours se rendent sur place, en plus des unités de la brigade canine relevant des forces spéciales de la protection civile. La zone est sécurisée et les bâtiments environnants ont été évacués, apprend-on également.
Dès trois heures du matin, le ministère de la Santé publique décide d’activer le « plan Blanc » à Sousse, afin de prendre en charge rapidement les victimes.
Au fur et à mesure que la journée avançait, les chances de retrouver des survivants se réduisaient comme peau de chagrin. Le bilan définitif de ministère de l’Intérieur vient confirmer la mort de six personnes en tout. Les dépouilles d’un enfant de 7 ans et d’une femme dans la cinquantaine sont retrouvées en fin de matinée.
Selon les premiers éléments, l’incident est dû à la vétusté du bâtiment. Mais le facteur qui a précipité son écroulement serait l’existence de deux chantiers adjacents de construction de nouveaux immeubles selon le ministère de l'Intérieur. D’ailleurs, le département de l’Intérieur relève que les travaux du chantier et les fortes pluies ont participé à l’effondrement de l’immeuble.
Qu’en est-il du rôle qu’auraient dû jouer les autorités locales pour éviter une telle catastrophe ? Sachant que la bâtisse était dans un état de délabrement avancé, ces mêmes autorités n’avaient-elles pas pu intervenir pour mettre à l’abri les citoyens ?
Mohamed Salah Arfaoui, ministre de l'Equipement, de l'Habitat et de l'Aménagement du territoire, qui s’est rendu sur place, a révélé que la Tunisie compte à peu près 200 bâtiments menacés d’écroulement. Justifiant en quelque sorte l’inaction des autorités face à ce problème, il a indiqué que celles-ci n’ont pas les prérogatives légales pour évacuer de tels lieux. En dépit du fait que des vies humaines soient en jeu et ce que cela implique comme situation d’urgence, le ministre concède que le texte de loi en vigueur a montré ses limites.
Ainsi, M. Arfaoui a annoncé que son département soumettra prochainement un projet de loi permettant à l’Etat de « prendre la place des propriétaires » qui, dans certains cas, sont incapables de pousser les locataires à partir. En d’autres termes, l’Etat se trouve actuellement dans l’incapacité de protéger ses propres citoyens.
Il aurait fallu donc que des familles soient décimées, que de jeunes enfants connaissent une mort atroce pour que l’Etat se résigne enfin à se bouger et à proposer un projet de loi ! Une énième enquête est ouverte pour déterminer les responsabilités et les circonstances exactes de l’accident. Au cours de la journée, on apprenait l’arrestation du promoteur immobilier des immeubles en construction. Est-il le seul fautif ? Il s’agit tout bonnement d’une négligence des autorités locales et régionales. Ce sont ces autorités qui décernent les permis de construire et qui contrôlent l’avancement et les états des travaux. Pourquoi auraient-elles donné une telle autorisation alors qu’un immeuble risquant à tout moment de s’écrouler était dans le voisinage ? Pour quelle raison n’ont-elles pas décidé d’évacuer le bâtiment par les forces publiques en attendant de le démolir, tant qu’il représente un réel danger ? Le bon sens le dicte, sauf que les autorités étaient aux abonnés absents. Même si l’habitation est une propriété privée, les autorités pouvaient intervenir pour protéger les citoyens et de mettre à leur disposition un endroit où vivre le temps de trouver une solution définitive.
Il n’est pas exclu qu’un drame pareil se reproduise. En plein cœur de la capitale Tunis, plusieurs immeubles risquent de s’écrouler. Du côté du quartier Lafayette, du Passage ou Bab El Khadhra, l’ampleur des dégâts est nettement perceptible. Des murs qui se lézardent, des façades qui s’effritent, des balcons qui se désagrègent à vue d’œil (certains même s’effondrent risquant de blesser les passants), des bâtiments qui se penchent dangereusement… Ce sont des immeubles à usage d’habitation ou de bureaux et même des bâtiments d’institutions publiques qui se trouvent dans un etat de délabrement tel qu’ils représentent un véritable danger pour ceux qui les occupent.
Comme toujours, les enquêtes sont ouvertes après coup et les mesures annoncées lorsque le coup est déjà parti...