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Tribunes
De la nécessité de faire la politique autrement
13/11/2015 | 15:51
8 min
De la nécessité de faire la politique autrement

Par Hédi Ben Abbes*


Avant d’entamer mon propos, je voudrais partager avec vous ce que nous apprend Etienne de La Boétie dans son livre « Discours de la servitude volontaire » (1546-1548).

 

« Qui voudra se rappeler les temps passés et compulser les annales anciennes se convaincra que presque tous ceux qui, voyant leur pays malmené et en de mauvaises mains, formèrent le dessein de le délivrer, dans une intention bonne, entière et droite, en vinrent facilement à bout ; pour se manifester elle-même, la liberté vint toujours à leur aide. »

 

Dans son ouvrage, le philosophe humaniste nous parle de ce que devrait être le véritable engagement politique et de la nécessité de revendiquer sa liberté et sa souveraineté d’Homme. Ces notions qui invitent l’Homme à se dépasser en toutes circonstances ont-elles trouvé leur place en Tunisie ?

 

De La Boétie nous parle de servitude volontaire et de la lâcheté qui guide les Hommes vers la « guillotine » et les contraint à abdiquer leur souveraineté en contrepartie de quelques privilèges. Ce qui était vrai de la France du 16e siècle l’est aujourd’hui dans notre pays, dans cette Tunisie désorientée et malmenée. De la politique et de la démocratie on est déjà désabusé, désillusionné jusqu’au dégoût par le navrant spectacle qui se déroule devant nos yeux et qui nous rend perplexes et alourdis de lassitude. Parler de l’engagement politique, de la volonté de servir, de la nécessité de donner à l’autre, de l’amour pour le pays, de patriotisme, d’altruisme, d’abnégation, bref de valeurs positives c’est comme prêcher dans le désert. On vous rit au nez, on vous accuse de toutes les supercheries, de machiavélisme, d’arrivisme, de charlatanisme, de combinard et de profiteur. Dans notre pays, être honnête et sincère, vouloir le bien de tous, penser la Tunisie avant de penser à soi, jubiler à l’idée de servir sans se servir, être au service des autres, être porteur de valeurs, est plus que suspect. Crise de confiance oblige, comment peut-on reconnaître un sentiment et des valeurs quand ils nous sont étrangers, des principes qui n’ont jamais été pris en compte dans la gestion des affaires publiques ? Comme dit le proverbe « fakidouechayi la o’tih » (on ne peut donner ce que nous n’avons pas). Cela s’appelle de l’inversion des valeurs. Il faudrait alors faire la politique autrement en passant d’abord par le rétablissement des valeurs.

 

Le rétablissement des valeurs : la Tunisie d’aujourd’hui vit une véritable crise des valeurs à laquelle il faudrait s’attaquer avec courage et longueur de vue. Raison pour laquelle, il est impératif d’utiliser tous les instruments dont nous disposons pour rétablir l’ordre moral républicain. La politique est un de ses instruments majeurs sauf qu’il faudrait la faire autrement en lui rendant ses lettres de noblesse.

 

Pour tenter de venir à bout de cette inversion des valeurs et rétablir un ordre moral républicain qui rassure et ressoude les fragments de la société, il faudrait créer un instrument politique qui incarne ses valeurs et les porte haut et fort non comme un étendard pour mieux leurrer les gens mais comme des principes fondateurs avec des mécanismes de contrôle et de reddition des comptes. Oui l’honnêteté, la probité, l’amour du pays, le civisme, le sens du devoir, le sacrifice, le travail, le respect de l’Autre, sont des valeurs qui existent et qui doivent se matérialiser dans une vison et des programmes qui ne laissent aucun doute sur la qualité de ceux qui en sont porteurs. A la place de la concurrence par le bas, la course folle vers davantage de tricherie, et qui va être plus malin que l’autre pour le piéger en premier, il faudrait inverser le mouvement et tirer l’action politique vers le haut, là où prévaut le droit, là où se réalise la véritable citoyenneté.

 

Faire de la politique autrement : On peut se demander pourquoi des millions de jeunes et moins jeunes ne se reconnaissent pas dans l’offre politique actuelle ? Ce que toutes ces formations ont de commun c’est leur manière de faire de la politique dans un pays sans tradition démocratique, ni véritable culture politique. En effet, la recette politique appliquée par la plupart de ses formations a comme arrière-plan culturel la méfiance vis-à-vis des autres, la primauté de l’intérêt partisan sur l’intérêt général, voire l’intérêt personnel érigé comme règle dominante. Les coups bas, la roublardise, la déloyauté, les combines, les complots, l’hypocrisie, le machiavélisme sont légions reflétant ainsi la violence et le manque de civisme qui caractérisent certains rapports sociaux dans notre pays.

 

Comment dans ces conditions peut-on susciter l’intérêt de nos jeunes dans la chose politique ? Comment ceux qui sont censés donner l’exemple et assoir des valeurs politiques saines peuvent-ils convaincre les autres de les suivre alors qu’ils sont obnubilés par leur petite personne et leur petit intérêt ? Comment peut-on prétendre prendre en main la destinée de tout un peuple alors que l’horizon le plus lointain de ces formations ne dépasse pas l’intérêt électoraliste immédiat ? Où est la grandeur d’âme ? Où est la longueur de vue ? Où est le sens de la responsabilité ? Où est le projet pour le pays ? Où sont le programme et le courage politique ? Hélas, de tout cela on n’a rien vu !

 

Quand la violence de la rue et les règles de la rue prévalent dans le milieu politique, il ne peut en sortir que des divisions et des malheurs pour tous. Raisons pour lesquelles il faudrait faire de la politique autrement.

 

Faire la politique autrement c’est d’abord et avant tout le devoir d’exemplarité. Oui la responsabilité de la classe politique est immense quand tout est à refaire, quand il faut solliciter l’adhésion de tout un pays à un projet politique aussi prometteur et aussi exaltant que celui de la démocratie. A l’heure où tout un peuple est en attente de voir et de comprendre ce qu’est la démocratie et de mesurer l’intérêt qu’il peut en tirer, la classe politique actuelle a perverti le jeu et donne une démonstration exécrable de ce qu’il ne faut justement pas faire en politique. Faute d’exemplarité on finit par créer la désillusion, voire le dégoût de la chose politique et avec le dégoût vient le désespoir et avec le désespoir viennent les idées les plus perverses et les plus dangereuses.

 

C’est parce que les formations politiques actuelles sont loin d’être exemplaires. Parce qu’ils n’ont pas su créer cette indispensable coïncidence entre l’attente d’un peuple, son exigence morale d’un côté et l’offre politique de l’autre, qu’il est impératif aujourd’hui de faire la politique autrement.

 

Raisons pour lesquelles il faudrait une véritable rupture paradigmatique. Il faudrait ériger l’exemplarité en dogme, faire en sorte que l’intérêt général soit l’unique objectif et assoir cette rupture sur des fondements qui empêcheraient toute dérive partisane. A l’heure du 2.0, il faudrait une rupture générationnelle aussi. Une rupture motivée par la volonté d’être utile avant d’être important. Une rupture dont le pendant serait l’accès. Donner l’accès à ceux qui n’en ont pas aux fondamentaux qui préservent la dignité humaine. Il faudrait donc être exemplaire et avoir un idéal.

 

L’idéalisme aux yeux de nombreuses personnes dans notre pays est synonyme de naïveté, de romantisme rêveur, de manque de réalisme. Il est évident que quand l’égoïsme prévaut, quand l’indifférence et l’intérêt immédiat domine les esprits, être idéaliste c’est naviguer à contre-courant. C’est anachronique. Comment peut-on convoiter la lune quand on a la tête dans le caniveau ?

 

Etre idéaliste c’est privilégier les cimes plutôt que les gouffres comme disait Abu Alkacem Echebbi.  C’est vouloir le meilleur pour soi et pour les autres. Sans idéal c’est la compromission qui l’emporte, on finit par s’accommoder de tout et de rien, y compris de sa propre servitude. L’idéal n’est pas un vain mot, mais une vision, un projet et une volonté de les matérialiser pour le bien de tous. C’est bien cela qui manque à notre pays. Une approche politique porteuse d’une vision, d’un projet et des compétences prêtes à se mettre au service de cet idéal comme l’a fait jadis feu Habib Bourguiba, avec toutes les réserves qu’on peut avoir sur les méthodes employées !

 

Cela passe aussi par la dépersonnalisation des structures politiques. L’échec de la quasi-totalité des partis politiques réside dans leur incapacité à penser en termes d’institution au lieu d’individu. La recette appliquée jusqu’à présent consiste à prendre une personne et à construire un parti autour. A telle enseigne qu’on ne désigne plus le parti par son nom mais par le nom de son « chef », le parti d’un tel ! Cette personnification des partis témoigne de notre immaturité politique et notre incapacité à mettre en place des institutions qui peuvent survivre à leur « chef ». Dans l’écrasante majorité des cas, la défaillance du « chef » entraîne systématiquement la défaillance du parti. Au lieu d’avoir des idées, des valeurs et des règles transparentes comme fondements d’un parti, notre amateurisme nous a amené à tout mettre sur le dos d’une personne, si compétente et si honnête soit-elle.

 

Les Hommes passent mais les institutions quand elles sont bâties sur des bases solides, restent. Raison pour laquelle, faire la politique autrement implique la mise en place de structures et des règles de fonctionnement au-dessus des individus. La démocratie doit d’abord s’appliquer à l’intérieur de la structure avant de la défendre à l’extérieur. Là aussi le devoir d’exemplarité se vérifie dans le fonctionnement même des structures.

 

Pour atteindre la justice, il faut déconstruire le droit disait Jacques Derrida. Pour faire la politique autrement, il faut rompre avec les mauvaises pratiques. Il faut redéfinir les fondements de l’action politique à savoir : rétablissement des valeurs républicaines, devoir d’exemplarité, responsabilité et reddition des comptes tout en étant tourné vers l’avenir. L’objectif consiste à passer d’une « république de sujets » à une République de Citoyens. Pour toutes ces raisons et bien d’autres, il est du devoir de tous ceux qui ont la Tunisie chevillée au corps, dont l’esprit est travaillé par le souci de l’avenir, de se mobiliser pour mettre un terme à la dérive de notre chère patrie la Tunisie. Pour ce faire, il faut être disponible pour les autres. Et, on ne peut être disponible pour les autres que lorsqu’on est moins disponible pour soi.

 

 

* Universitaire et dirigeant d’entreprise

 

 

13/11/2015 | 15:51
8 min
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Commentaires (5)

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citoyen
| 14-11-2015 16:35
Désormais un très bon article pour tout homme politique qui n'a pas vraiment peur de voir la vérité en face (qui accepte donc de se remettre en cause) et se considère réellement porteur d'un projet de construction sociopolitique pour le développement de son pays.

Bacchus
| 13-11-2015 20:21
Votre article n'est qu'une induction de la politique politicienne par le politequement incorrect.

Rina
| 13-11-2015 18:51
Enfin un article qui réhausse le niveau et nous change du vide dans lequel la classe politique semble prisonnière. Excellente approche qui fixe le cadre d'une vision constructive visant à assainir la vie politique. Bravo Mr ABES

Yaqdhan
| 13-11-2015 17:35
Etre exemplaire, c'est aussi rendre à César ce qui est à César :

http://www.leaders.com.tn/article/18399-lettre-de-djamila-bouhired-a-l-arp

DHEJ
| 13-11-2015 16:20
Il faut les avoirs les LEGIDYNAMISTES pour faire la politique autrement.


Les hommes LEGIDYNAMISTES sont les seuls à pouvoir construire les INSTITUTIONS sur des bases solides...


Pour faire de la politique autrement, tu aurais du nous donner l'étymologie du mot POLITIQUE!