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Chroniques
De chef esseulé, Fakhfakh devient homme isolé
Par Karim Guellaty
11/07/2020 | 17:45
6 min
De chef esseulé, Fakhfakh devient homme isolé

 

Inlassablement la terre tourne, d’abord sur son axe, puis autour du soleil, emportant dans sa course folle, une lune attirée par sa gravité. Les Hommes qui y vivent ont parfois une attitude bien curieuse.

 

Ainsi en Turquie, il a été décidé de transformer de musée en mosquée la basilique Sainte-Sophie qui se trouve en plein cœur de l’ancienne Constantinople, Istanbul. Et tel le Sultan ottoman Mehmet, qui la transforma une première fois en lieu de culte musulman lors de la prise de Constantinople en 1453, le Président Erdogan nous annonce que nous y prierons Allah et son Prophète dès le 24 juillet prochain. Les voies de l’Histoire sont aussi impénétrables que celles de Dieu et au 21ème siècle, le populisme est devenu parole d’évangile. Exit l’œuvre d’apaisement laïc d’Atatürk qui avait décidé, dans un esprit de concordat et d’apaisement d’en faire un musée en 1935. Gommons allégrement cent ans d’Histoire pour revenir quelques 550 ans en arrière, et flattons les ultra-conservateurs. On ne reculera devant aucune manipulation, fusse-t-elle religieuse. Quand on n’arrive pas à asseoir son pouvoir sur le trône de la démocratie libre et transparente, on s’en remet à la force ou à la religion. Et tant pis si on abuse du premier et qu’on dévoie le second. Dieu reconnaitra les siens, en attendant on les manipule. Et on prend en otage les musulmans dans une querelle qui est tout sauf musulmane. #onsenseraitpassé

 

Pendant ce temps-là, en Chine, au nord-ouest, dans la province de Xinjiang, c’est un génocide que les autorités chinoises mènent contre leur population musulmane, les Ouïghours. Le mot est fort, mais il reflète la réalité d’un drame humain. Un génocide est juridiquement un « acte commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie un groupe national, éthique, racial ou religieux ». Non content de mettre dans des camps quelques trois millions de musulmans, non content de commercialiser les organes des détenus dans un trafic mondial sordide d’organes halal, non content de les contraindre à des travaux forcés, la redondance est volontaire, c’est désormais une vaste campagne de stérilisation qui est menée pour éviter aux musulmans chinois de se reproduire. L’Europe peut préférer parler d’ethnocide, ou de génocide culturel, les faits ne mentent pas. Face au poids économique de Pékin, la morale est restée sous douane pour que circulent plus librement les capitaux. La cause Ouïghours aurait bien valu une messe, mais Sainte-Sophie est devenue mosquée. Chacun s’arrange avec sa conscience, en attendant on se satisfait de sa balance commerciale. #Oummapolitique

 

Hong Kong cette fois-ci, qui, à la différence du Xinjiang, possède une place financière objet de toutes les convoitises. Hong Kong donc, mobilise le monde pour y défendre les libertés collectives et individuelles. On n’y trafique ni organes, ni êtres humains, on n’y éradique ni population ni ethnie, mais Pékin, en représailles aux mouvements contestataires de l’automne dernier, a décidé de promulguer une loi liberticide s’il en est, appelée « loi sur la sécurité nationale à Hong Kong ». Il s’agit de criminaliser la subversion, et la collusion avec les forces étrangères.

Cette fois-ci, la communauté internationale est vent débout. L’ONU par la voie de son Conseil des droits de l’Homme condamne dans un texte sévère. La France parle de sanctions, Londres propose de naturaliser les Hongkongais qui le demandent, l’Australie offre l’asile politique à ceux qui le souhaitent et le congrès américain, le 2 juillet dernier, a passé un texte pour condamner individuellement tout chinois qui appliquerait la loi infâme. La mondialisation des causes est fonction de la variation des places boursières. Hong Kong possède à son avantage de cocher les deux cases. #midiàsaporte

 

Les virus aussi sont facétieux, sinon meurtriers. La facétie c’est le coronavirus qui a décidé d’aller loger chez Bolsonaro, président brésilien d’extrême droite qui l’a nargué pendant des mois. Le voilà désormais confronté à ce qu’il appelle une petite grippette qui compte à son actif le sordide et tragique palmarès de plus de 560 000 morts dont 135 000 pour les seuls États-Unis. Le Brésil, dont on dit que la vague ne fait que commencer, pleure déjà quelques 70 000 victimes. Puisque nous sommes dans les chiffres, complétons le tableau de chasse du Covid-19 par celui de la faim et de ses conséquences qui fait 25 000 morts dans le monde ... par jour. Pour ceux-là, la solidarité mondiale est définitivement confinée. #deuxpoidsdeuxmesures

 

Le Liban, qui traverse ce qui est probablement la plus grave crise économique de son histoire est en défaut de paiement depuis le 10 mars dernier. Ce jour-là, le pays a été dans l’impossibilité de rembourser le 1,2 milliard de bons du trésor émis par l’Etat. Le pays est asphyxié par une dette de quelques 81 milliards d’euros, représentant pas moins de 170% de son PIB.

Fin avril les protagonistes au pouvoir réussissent à s’entendre sur un plan de réforme qui leur a permis d’aller taper à la porte du FMI. Mais le FMI ne s’en laisse pas compter, et après deux mois de négociations et 16 rencontres, l’institution monétaire a cessé de discuter, apprend Business News, et a demandé aux autorités libanaises d’arrêter de « les mener en bateau ». Beyrouth demande 10 milliards de dollars d’aide là où la Banque centrale libanaise estime que ce sont 20 milliards qui sont nécessaires. Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’Onu alerte sur une catastrophe humanitaire dans ce pays de sept millions d’habitants, et de 1,7 million de réfugiés majoritairement syriens.

Depuis octobre 2019, une vague protestataire s’est emparée de la rue, pour mettre fin à un système politique décennal rongé, dit-elle, par la corruption. Le gouvernement de Saâd Hariri en avait fait les frais et a été contraint à la démission le 29 octobre 2019. La pression est depuis sur le Hezbollah pro-iranien, dans une répartition des pouvoirs où la présidence revient aux chrétiens maronites, le Premier ministère aux musulmans sunnites et la présidence du Parlement aux musulmans chiites. La protestation s’est un peu essoufflée, mais la crise économique a continué de ronger les fondamentaux du pays qui est plongé, donc, dans un marasme sans précédent. #lepeupleafaim

 

Et c’est assis sur son trône, à la Cité de la Culture de Tunis que le chef du gouvernement tunisien observe tout ça, droit dans ses bottes, alors que son pays vrombit de protestations, que la contrebande est un fléau tout aussi préoccupant que le Covid-19, et que lui-même est empêtré dans une affaire de conflit d’intérêts, qui n’a de conflit que sa contestation de l’évidence. Le tout sans réaliser qu’au-delà d’un débat juridique technique, il y a une confiance qui a été rompue entre un chef de gouvernement sourd aux critiques et un peuple qui en a marre, non pas d’être le dernier servi, mais de ne pas être servi tout court.

La confiance en politique ne se présume pas, elle se prouve. Et ce n’est sûrement pas par une communication qu’on lui vend comme agressive, mais qui est en réalité arrogante, qu’il va y arriver. Sa posture est passée de l’homme esseulé, à celui de gouvernant isolé. Les plus cruels diront de triste à pathétique. Le pays, dont l’équation doit répondre à un nécessaire rebond social et économique, repose sur une inconnue qu’est la gouvernance, avec deux identités remarquables que sont d’une part une présidence de la République sans Parlement, et d’autre part un Parlement avec un chef mais sans vision autre que celle de sa propre survie politique. Et c’est dans ce contexte qu’on exige toujours plus des Tunisiens consciencieux, pendant que ceux qui ont choisi la voie de l’informel ne sont embêtés que par des contraintes météorologiques.

Le bateau gouvernemental prend l’eau, mais loin de s’en soucier, ses acteurs à défaut de continuer à jouer de la musique, l’écoutent.  #décalé

 

C’est la fin de ce trip, c’est la fin de la semaine, vous pouvez éteindre vos smartphones.

Par Karim Guellaty
11/07/2020 | 17:45
6 min
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Commentaires
Gg
Sainte Sophie, Al Aksa
a posté le 14-07-2020 à 08:49
A propos de Sainte Sophie, il faut noter qu'en transformant la basilique en mosquée, Erdogan autorise Israël a transformer en synagogue la mosquée Al Aksa de Jérusalem.
Cela s'appelle la réciprocité, et il est bon de le souligner aujourd'hui, avant que cela arrive. Car ce jour là, faudra pas râler!
MH
Une très bel tour de monde
a posté le 12-07-2020 à 19:27
La description de la situation tunisienne est parfaite.
Gg
@ lambda
a posté le 12-07-2020 à 15:28
Et vous savez, la vie politique est triste en France, par rapport à chez vous!
On a changé de gouvernement, en 48h tout était plié, le temps de vérifier que les nouveaux étaient clean et pas fichés S. Aucun terroriste n'est rentré dans l'Assemblée Nationale, aucun chef de parti ne se prend pour le Président, tout cela est bien dans la norme!
Gg
@ lambda
a posté le 12-07-2020 à 15:04
Bonjour!
Il y a d'autres sujets que la France, c'est bien que pour un fois M. Guellaty évoque un peu la Tunisie!
Lambda
Rien sur la France ?
a posté le 12-07-2020 à 14:24
Aucun mot sur le remaniement de Macron ? Et Trump ? Et le scandale de Trudeau ? '?trange ce silence pour un fin connaisseur de la politique française et américaine.
Gg
Deux poids deux mesures?
a posté le 12-07-2020 à 13:00
"Pour ceux-là [les victimes brésiliennes du covid] , la solidarité mondiale est définitivement confinée"
Oui, et alors? En quoi consisterait la solidarité lorsque les dirigeants n'ont que faire de leur population et sont dans le déni le plus total?
C'est la même chose en Tunisie, la "solidarité internationale" donne, donne et donne encore et encore, des milliards d'euros, pour quoi faire? Autant faire pipi dans le désert!
#lacritiquefacile
Gg
@ Réaliste
a posté le 12-07-2020 à 12:16
Donc, vous pensez que la Terre est plate, immobile au centre de l'Univers et que tout tourne autour de la Terre?
Si c'est le cas, vous êtes au niveau des analphabètes d'il y a 3000 ans, et ce n'est pas demain que la Tunisie va sortir du trou!
Je ne sais pas s'il faut rire ou pleurer...
Welles
@ Realiste
a posté le 12-07-2020 à 10:23
Et toi tu tournes en rond autour de ta religion obscurantiste et d'abord apprends en français
Alya
Vous avez très bien cerné fakhfakh
a posté le 12-07-2020 à 01:29
La mégalomanie est une pathologie incurable.Il est incapable de se remettre en question.Nimporte quel être normal aurait déjà démissionné !!!
Gg
@ Réaliste
a posté le 11-07-2020 à 22:00
Bonsoir!
En quoi cette phrase "Inlassablement la terre tourne, d'abord sur son axe, puis autour du soleil..." vous choque?
Realiste
Le 1er exemple faut
a posté le 11-07-2020 à 21:11
La terre ne tourne pas sue son axe ..ni sur le soleil
Gg
Les ouighours
a posté le 11-07-2020 à 19:31
On ne peut cautionner la répression aveugle du pouvoir chinois, mais on peut l'expliquer.
Voir cet article:

https://www.lemonde.fr/international/article/2018/09/13/comprendre-la-repression-des-ouigours-de-chine-en-cinq-questions_5354673_3210.html

Article ou il est dit notamment "Un regain de conservatisme religieux gagne les campagnes et certains quartiers ouïgours des grandes villes. L'engagement de combattants djihadistes ouïgours du TIP (Turkestan Islamic Party) au côté d'Al-Qaida en Syrie, finit d'inquiéter Pékin. Xi Jinping déclare ouverte la guerre contre le terrorisme en mai 2014."
#toujourslememeprobleme
OUA
Ettaoul Chouaè !
a posté le 11-07-2020 à 18:06
En allemand, on dit : Les morts apparents vivent souvent plus longtemps !

Il semble que ce soit le cas ici.