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Couvrir les évadés fiscaux, une ligne rouge pour les avocats
13/12/2018 | 19:59
5 min
Couvrir les évadés fiscaux, une ligne rouge pour les avocats

 

Fureur de certaines professions libérales, à leur tête les avocats, après l’adoption de la loi de finances pour l’exercice 2019. Ce qu’ils contestent c’est l’article 33 relatif à la clarification du domaine du secret professionnel vis-à-vis des administrations fiscales. Tollé général, on sort la carte de la défense des grands principes, de la protection des droits humains et tout le toutim. Sauf que ce courroux n’est qu’un écran de fumée qui cache une tout autre histoire…

 

Mais pourquoi les avocats et autres experts comptables (mais pas que) sont-ils si furieux ? Pour les premiers, on monte au créneau depuis quelques jours. L’Ordre national des avocats  a décrété une grève générale dans l'ensemble des tribunaux du pays jeudi 10 décembre 2018. Vendredi 11, l’ONAT annonce la création d’une commission pour faire recours contre la Loi de finances et contester sa constitutionnalité. Une marche de protestation se tient jeudi 13 décembre sous le slogan « le secret professionnel est une ligne rouge ». On ne rigole pas. Les avocats s’opposent catégoriquement à l’adoption de l’article de la « discorde » et ne comptent pas lâcher prise jusqu’à obtenir gain de cause.

Pour les deuxièmes, on resserre les rangs et on se prépare à mener bataille pour abroger l’article. L’Ordre des experts comptables (OECT) a appelé à tenir une séance exceptionnelle et urgente, ce samedi, afin d’examiner les mesures qui s’opposeront à la révélation du secret professionnel. Parce que selon eux, les nouvelles dispositions porteront atteinte à la profession. C’est ainsi que l’ordre compte adresser une demande au chef de l’Etat pour qu’il intervienne et applique l’article 66 de la constitution dans le seul but de réviser l’article 33.

 

Que nous raconte donc l’article 33 de la LF 2019 ? Le texte délimite le domaine du secret professionnel en lien avec les administrations fiscales. Ces administrations peuvent désormais « demander des informations concernant les services fournis par les personnes légalement autorisées à respecter l’obligation de préserver le secret professionnel. A l’exception des documents et informations échangées entre les concernés et leurs clients dans le cadres de conseils juridiques ou d’une affaire en cours. A l’exception aussi de la nature même du service fourni par les professions médicales ».

Autrement dit, ces dispositions ont pour seul objectif de faire face au fléau de l’évasion fiscale. Les informations privées d’un client ne seront pas soumises à cette mesure, et bien évidemment le secret médical n’entre pas dans cette case. Ce que l’on demande, aux avocats et autres, c’est plus de transparence afin de dévoiler les personnes qui violent la loi et échappent au fisc.

Cela semble déranger les avocats en premier lieu. C’est à se demander les raisons profondes d’un tel refus... D’ailleurs, la députée Hager Ben Cheikh s’est interrogée sur le pourquoi de cette contestation : « Le médecin lorsqu’il signale les cas de maladies contagieuses, la grossesse de fillettes et le viol d'enfants est-t-il considéré comme un vendu ? Je n’ai pas compris pourquoi certaines personnes sont inquiètes lorsqu’elles révèlent des cas d’évasion fiscale qui est une violation de la loi. Veulent-elles être complices ?».

 

Toute une campagne de désinformation a été mise en place pour contrer l’adoption de l’article. Ameur Mehrezi, Bâtonnier de l’ONAT, n’en démord pas. Il affirme que cette disposition portera atteinte à la confiance établie entre les avocats et leurs clients et que le secret professionnel est une ligne rouge à ne pas franchir. Sauf que voilà, l’article 33 ne touche aucunement au secret professionnel dans la mesure où cela ne concerne absolument pas la nature même de profession d’avocat à savoir les consultations juridiques ou les affaires en cours.

C’est ce que le ministre des Finances, Ridha Chalghoum a expliqué clairement et sans détour, tentant de mettre un terme à une cabale qui cache les véritables motifs : « Non, l’article 33 n’amènera pas à la levée du secret professionnel. Non, les avocats ne seront pas impactés, ni d’ailleurs les experts comptables. Il s'agit d'une simple mesure d’un contrôle fiscal touchant les activités hors de la mission d’origine de l’avocat ».

Une mesure qui a un objectif clair et avoué par le gouvernement. Limiter les cas d’évasion fiscale qui passent irrémédiablement par les cabinets d’avocats et des experts comptables. La levée de bouclier chez les avocats n’est pas la première du genre. En 2016, grève générale, marches et journées de colère avaient été décrétées pour s’opposer aux dispositions de la loi de finances d’alors qui tentait de mettre fin aux infractions aux lois fiscales tunisiennes très présentes dans ce corps de métier.

 

Pour ne pas arranger les choses, le président de la République, Béji Caïd Essebsi s’est rangé dans le camp des avocats. Participant au 10ème anniversaire de l’Institut supérieur de la profession d'avocat, le chef de l’Etat a clamé sans détour que le secret professionnel et l’immunité sont nécessaires pour l’avocat. Corporatisme, étant avocat lui-même, ou de la pure récupération politique ? Toute occasion semble être bonne pour asséner des coups à son ancien poulain Youssef Chahed. Dans la guerre qui oppose les deux têtes de l’exécutif, chacun avance ses pions et saute sur les opportunités et les polémiques afin d’affaiblir l’autre. La grogne des avocats, Béji Caïd Essebsi ne pouvait passer à côté, n’est-ce pas, rien que pour discréditer la Loi de finances du gouvernement Chahed qui vient pourtant d’être adoptée par le parlement.

On lui fait du pied pour exercer ses prérogatives dans le cadre de l’article 66 de la constitution et il semble qu’il soit fortement tenté. Pour cela, il faudrait que BCE renvoie le projet de la loi de finances à l’Assemblée pour une deuxième lecture. Après l’expiration d’un délai de trois jours, un recours peut être intenté en inconstitutionnalité contre les dispositions de la loi de finances devant la Cour constitutionnelle qui statuera. Chainon manquant, la Cour constitutionnelle n’existe toujours pas !

 

Le secret professionnel se définit comme étant l'obligation pour un professionnel de ne pas divulguer des informations d'ordre privé dont la révélation à une tierce personne aurait un impact néfaste sur l'individu concerné. Dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas d’atteinte à la vie privée mais de lutte contre des infractions à la loi. Quand l’ordre des avocats dénonce l’inconstitutionnalité de cette présumée levée du secret professionnel, il omet que cette même constitution dispose dans son article 49 que la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés en vue « de sauvegarder les  droits  d’autrui  ou  les  impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique ». Couvrir les évadés fiscaux n’entre-t-il pas dans cette configuration ?

 

Ikhlas Latif

 

13/12/2018 | 19:59
5 min
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Commentaires (17)

Commenter

mjr
| 16-12-2018 10:59
Pour conclure c'est à l'administration de faire les études sur la fiscalité et les réformes.
Pour une justice sociale ce qui importe c'est qu'à revenu égal les citoyens payent le même montant d'impôts directs

Other view
| 15-12-2018 10:38
D'abord c est bien d'aborder la question du secret professionel vis à vis l administration fiscale(le fisc);
il est à rappeler de part la loi et du pratique on est sencé repondre aux demandes ecrites du fisc qui concernent nos clients ( a voir la premier partie du lart 66 du CPFC): Alors on quoi vous voyer cette protection des evadés fiscaux, et le changement dans le dit article tq voté va rajouter quoi au fisc qu est supposé avoir le moyen de verifier et controler le train de vie de tout contribuable en vue de fonder sa taxation.
Ainsi on peut assimuler ca de chercher les solutions dites simples de la part de fisc tout en creant un climat de non confiance d'affaire.

DHEJ
| 14-12-2018 20:32
Oui je suis d'accord.

Mais ma question est la suivante:


Comment est calculé l'impôt sur le salaire?

est-ce suivant le réel ou le forfaitaire?


Merci de l'intérêt

mjr
| 14-12-2018 19:56
Regarde le site du ministère des finances
http://v2.portail.finances.gov.tn/index.php?option=com_content&view=article&id=121&Itemid=302&lang=fr
L'important est remarquer que pour l'impôt direct ( LF 2018 ) les recettes fiscales provenant des salaires représentent 42 % des impôts directs et 59% des impôts sur le revenu .Les recettes du régime forfaitaire quant à elles sont probablement dans la rubrique autres t ne représenteraient que 3% des impôts sur le revenu alors qu'il y aurait environ 400000 assujettis.C'est la le déséquilibre
Autre remarque la contribution des salariés est plus importante que celle des sociétés.

DHEJ
| 14-12-2018 16:20
Tout à fait sauf que meme l'impot sur les salaires est calculé FORFAITAIREMENT

Un forfait de 10% avec plafond de 2 mille dinars pour les charges dites professionnelles

Un forfait de 100 dinars TTC par an et par enfant

Etc etc ...



mjr
| 14-12-2018 15:48
.Les impôts directs comprennent l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), l'impôt sur les sociétés (IS), l'impôt sur la plus-value immobilière des personnes physiques et l'impôt sur les bénéfices pétroliers.
Mais l'objet du commentaire est de mettre en relief le déséquilibre entre les impôts payés par les salariés et ceux payes par le régime forfaitaire pour lequel optent la majorité des professions liberales.

DHEJ
| 14-12-2018 11:31
Il faut revoir ta feuille!

La source la pus importante du budget de l'Etat c'est l'impot indirect soit l'IS et la TVA!!!


Par contre pour ce qui est du RIGIME REEL et REGIME FORFAITAIRE lors le ministère des finances ne veut pas y toucher car TOUTES LES DECLARATIONS DE REVENUS sont basées sur le régime forfaitaire!


Et c'est source de l'évasion fiscale et du marché parallèle!


mjr
| 14-12-2018 11:14
D'après l'Observatoire tunisien de l'économie (OTE) ce sont les salariés qui ont le plus contribué aux recettes fiscales de l'?tat .Suivant certains économistes 75% des impôts directs sur le revenu sont supportés par les salariés .Le régime forfaitaire ne contribue présentement qu'à hauteur de 3% cet impôt .Pourtant plusieurs centaines de milliers de personnes bénéficient de ce régime. Il semble qu'à revenu égal, le salarié paie en moyenne beaucoup moins d'impôt direct que l'indépendant
Le corporatisme a aggravé et amplifié le déséquilibre et les avocats,médecins,experts comptables devraient avoir une vision moins étriquée de la fiscalité ; Il faut aussi rappeler que le problème existe depuis la décennie 70 pendant laquelle beaucoup de médecins avaient refusé d'utiliser des ordonnances numérotées pour éviter que l'on connaisse leur chiffre d'affaires
L' urgence d'une réforme s'impose pour corriger ces déséquilibres par une meilleure répartition de la charge fiscale entre impôts directs et impôts indirects, entre salariés et non salariés, entre impôt sur les revenus et impôt sur les sociétés dans l'impôt direct
Pour renforcer la citoyenneté et la solidarité sociale pour l'avenir de nos enfants.

abouali
| 14-12-2018 10:34
Sous couvert de la défense des grands principes et de l'intérêt supérieur de la nation, le corporatisme est en train insidieusement de ronger le pays et d'éroder ses dernières défenses. La Tunisie peut-elle supporter davantage le travail de sape de l'UGTT, les lubies de certains syndicats, les revendications insensées et irresponsables de groupuscules ou les errements de quelques catégories sociales choyées ? Et tout ce beau monde s'empresse de manifester, de bloquer les routes et la production, ou de perturber la vie des citoyens, sans aucune gêne, états d'âme, ni considération pour les autres. On va même jusqu'à menacer de fermer l'espace aérien, sans penser aux conséquences désastreuses d'une telle décision ! Le pays est atteint d'une schizophrénie collective qui confine à l'aveuglement et qui finira par nous entraîner tous vers les abîmes. Est ce là le fruit amer d'une révolution que nous avons béni (et qui ne nous a jusqu'ici procuré que dépit et désillusions) qui a libéré la parole et la contestation, mais qui a cristallisé les égoïsmes de toute nature et exacerbé les particularités diverses? Ceux qui sont censés nous montrer la voie sont les premiers à nourrir ces antagonismes, à les utiliser même, et à attiser le feu de la discorde et de la confrontation. Notre pays est devenu un patchwork d'ambitions individuelles, collectives ou régionales, qui s'expriment de manière désordonnée, et très souvent sans aucune logique. On se dépêche de prendre sa part d'un gâteau qui se rétrécit de plus en plus, comme peau de chagrin, et tant pis pour ceux qui n'auront que les miettes, si toutefois il leur en reste. Quel avenir pour un pays où chacun tire la couverture vers soi, où personne ne comprend le sens de la solidarité et de l'intérêt général, et dans lequel les pouvoirs publics peinent à endiguer les dérives ?

Ali Baba
| 14-12-2018 09:55
Qu'on le veuille ou non, c'est un contrepoids indispensable contre le despotisme, et pour l'établissement d'un climat de confiance nécessaire aux affaires. Le Fisc n'a qu'à faire son travail.