Je vous félicite pour ce beau laïus réactionnaire et rétrograde'?'
Maxula.
Le rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité a été enfin rendu public le 12 juin 2018. Ce travail commandé par la présidence de la République à une commission indépendante d’experts et d’activistes, suscitait les grands espoirs des progressistes et démocrates tunisiens. Si le coté avant-gardiste et révolutionnaire du rapport mérite d’être salué, certains points ont laissé un goût d’inachevé aux personnes qui y misaient gros.
« On a adopté une approche progressive, étape par étape, et on respecte la société tunisienne ». Au micro de Mosaïque FM, Slaheddine Jourchi a parfaitement résumé la philosophie générale du rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité. Le texte est progressiste, novateur, féministe mais prend en compte la nature de la société tunisienne. Dans ce sens, ses auteurs ont bien pris soin de ne pas choquer ni heurter la sensibilité d’une frange de la population tunisienne, fortement attachée à une lecture rigide du texte religieux.
Sur le cas symbolique de la peine de mort, le rapport cherche avant tout le compromis. En effet, la commission a établi deux propositions : la première étant d’abolir complètement la peine de mort, et la deuxième de restreindre progressivement le recours à la peine capitale et faire en sorte qu’elle ne soit pas appliquée sur les personnes âgées de moins de 18 ans ou les femmes enceintes, tout en réduisant le nombre de crimes permettant une telle peine.
Cette indécision, motivée par une recherche dogmatique du compromis a déçu un certain nombre d’activistes qui militent depuis longtemps pour l’abolition de la peine capitale. Ces derniers s’attendaient à ce que cette interdiction soit écrite noir sur blanc ne serait-ce que dans un rapport dénue de toute valeur législative ou constitutionnelle.
Dans la bataille pour l’abolition de la peine de mort, la Tunisie a franchi un certain nombre de pas décisifs. En effet, la dernière exécution de la peine capitale remonte à 1992, et depuis cette date, la Tunisie applique un moratoire de fait sur l’application de la peine capitale en refusant systématiquement d’exécuter les condamnés à mort. Comme signe de cohérence étatique, la Tunisie a signé le 20 décembre 2014 un moratoire officiel sur les exécutions des condamnés à la peine de mort à l’assemblée générale de l’ONU. La prochaine étape de ce processus, au nom de cette cohérence évoquée, aurait stipulé que l’abolition soit consacrée et dotée d’une valeur morale et juridique.
Par ailleurs, les associations de lutte pour les droits humains et les observateurs qui suivent de près cette question espéraient donc que la Tunisie saute le pas et rejoint le peloton des pays abolitionnistes. Par cette mention, les membres de la commission perpétuent la politique étatique de la ni-exécution- ni abolition et préfèrent ne pas trancher cette question en soumettant deux propositions aux président de la République. Manque d’audace ou nécessité de s’adapter à un environnement ? A chacun sa lecture.
Sur la question de la dépénalisation de l’homosexualité, le rapport préconise l’abrogation de l’article 230 du code pénal qui prévoit 3 ans d’emprisonnement pour les couples homosexuels pris en flagrant délit de relation sexuelle. L’initiative de dépénaliser l’acte homosexuel, fort louable par ailleurs, est motivée par le souci de non-discrimination pour motif d’orientations sexuelles. Sauf que le rapport propose un allégement de la sanction, dans le sens où la sanction passerait d’un emprisonnement à une amende. Aux yeux de la société, le citoyen homosexuel reste toujours coupable pour le simple fait d’avoir des orientations sexuelles qui « sortent de la norme généralement admise ».
Traitant de l’épineuse question de l’égalité entre les deux sexes dans l’héritage, la commission a choisi la prudence en suggérant plusieurs options :
-L’égalité garantie par la loi ;
-L’égalité garantie par la loi, tout en permettant au parent de contester l’égalité ;
-L’égalité garantie par la loi suite au choix des héritiers.
Le travail de la commission a le mérite d’inverser la logique inégalitaire dans l’héritage (qui veut que le fils hérite du double de sa sœur) en mentionnant que l’égalité s’applique en cas d’absence de testament ou de volonté contraire exprimée par un proche de premier rang. Cependant, il ne va pas jusqu’à ériger l’égalité entre les deux sexes en principe immuable qui ne peut être modifié. Là encore, les experts ont choisi de ne pas heurter la sensibilité des citoyens, et préfèrent leur laisser le libre arbitre dans leur choix de répartir les biens reçus en héritage.
Ces attitudes prudentes ne doivent en aucun cas occulter de nombreuses avancées significatives mentionnées dans le rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité. Ainsi, le texte propose l’annulation de la dot comme condition essentielle du mariage et le partage équitable du titre de chef de famille entre le père et la mère. Conséquence logique de ce postulat, les enfants auront les choix, si les recommandations des experts sont suivies, de porter le nom de leur père ou de leur mère. Enfin, La commission a recommandé l’égalité des hommes et des femmes en ce qui concerne le droit à la garde des enfants, estimant que les femmes ayant un revenu fixe ont le devoir de nourrir leurs enfants.
En choisissant l’option du compromis et de la progressivité dans les mesures, les membres de la commission des libertés individuelles et de l’égalité ont fait le choix de ne pas heurter les sensibilités et les convictions d’un certain nombre de croyants. Approche réaliste pour certains et frileuse pour d’autres, notamment les associations de défense des droits humains, ce projet de réforme épouse à merveille la fameuse phrase de l’ancien président français Georges Pompidou : « réformer dans la continuité ».
Si la sagesse, le compromis et la recherche du juste milieu ont leurs vertus, ils peuvent parfois conduire à une sensation d’absence de changement et de stagnation. Aux députés d’utiliser ce rapport à bon escient pour enfin changer les choses, la Tunisie en a bien besoin.
Nessim Ben Gharbia
Le rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité a été enfin rendu public le 12 juin 2018. Ce travail commandé par la présidence de la République à une commission indépendante d’experts et d’activistes, suscitait les grands espoirs des progressistes et démocrates tunisiens. Si le coté avant-gardiste et révolutionnaire du rapport mérite d’être salué, certains points ont laissé un goût d’inachevé aux personnes qui y misaient gros.
« On a adopté une approche progressive, étape par étape, et on respecte la société tunisienne ». Au micro de Mosaïque FM, Slaheddine Jourchi a parfaitement résumé la philosophie générale du rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité. Le texte est progressiste, novateur, féministe mais prend en compte la nature de la société tunisienne. Dans ce sens, ses auteurs ont bien pris soin de ne pas choquer ni heurter la sensibilité d’une frange de la population tunisienne, fortement attachée à une lecture rigide du texte religieux.
Sur le cas symbolique de la peine de mort, le rapport cherche avant tout le compromis. En effet, la commission a établi deux propositions : la première étant d’abolir complètement la peine de mort, et la deuxième de restreindre progressivement le recours à la peine capitale et faire en sorte qu’elle ne soit pas appliquée sur les personnes âgées de moins de 18 ans ou les femmes enceintes, tout en réduisant le nombre de crimes permettant une telle peine.
Cette indécision, motivée par une recherche dogmatique du compromis a déçu un certain nombre d’activistes qui militent depuis longtemps pour l’abolition de la peine capitale. Ces derniers s’attendaient à ce que cette interdiction soit écrite noir sur blanc ne serait-ce que dans un rapport dénue de toute valeur législative ou constitutionnelle.
Dans la bataille pour l’abolition de la peine de mort, la Tunisie a franchi un certain nombre de pas décisifs. En effet, la dernière exécution de la peine capitale remonte à 1992, et depuis cette date, la Tunisie applique un moratoire de fait sur l’application de la peine capitale en refusant systématiquement d’exécuter les condamnés à mort. Comme signe de cohérence étatique, la Tunisie a signé le 20 décembre 2014 un moratoire officiel sur les exécutions des condamnés à la peine de mort à l’assemblée générale de l’ONU. La prochaine étape de ce processus, au nom de cette cohérence évoquée, aurait stipulé que l’abolition soit consacrée et dotée d’une valeur morale et juridique.
Par ailleurs, les associations de lutte pour les droits humains et les observateurs qui suivent de près cette question espéraient donc que la Tunisie saute le pas et rejoint le peloton des pays abolitionnistes. Par cette mention, les membres de la commission perpétuent la politique étatique de la ni-exécution- ni abolition et préfèrent ne pas trancher cette question en soumettant deux propositions aux président de la République. Manque d’audace ou nécessité de s’adapter à un environnement ? A chacun sa lecture.
Sur la question de la dépénalisation de l’homosexualité, le rapport préconise l’abrogation de l’article 230 du code pénal qui prévoit 3 ans d’emprisonnement pour les couples homosexuels pris en flagrant délit de relation sexuelle. L’initiative de dépénaliser l’acte homosexuel, fort louable par ailleurs, est motivée par le souci de non-discrimination pour motif d’orientations sexuelles. Sauf que le rapport propose un allégement de la sanction, dans le sens où la sanction passerait d’un emprisonnement à une amende. Aux yeux de la société, le citoyen homosexuel reste toujours coupable pour le simple fait d’avoir des orientations sexuelles qui « sortent de la norme généralement admise ».
Traitant de l’épineuse question de l’égalité entre les deux sexes dans l’héritage, la commission a choisi la prudence en suggérant plusieurs options :
-L’égalité garantie par la loi ;
-L’égalité garantie par la loi, tout en permettant au parent de contester l’égalité ;
-L’égalité garantie par la loi suite au choix des héritiers.
Le travail de la commission a le mérite d’inverser la logique inégalitaire dans l’héritage (qui veut que le fils hérite du double de sa sœur) en mentionnant que l’égalité s’applique en cas d’absence de testament ou de volonté contraire exprimée par un proche de premier rang. Cependant, il ne va pas jusqu’à ériger l’égalité entre les deux sexes en principe immuable qui ne peut être modifié. Là encore, les experts ont choisi de ne pas heurter la sensibilité des citoyens, et préfèrent leur laisser le libre arbitre dans leur choix de répartir les biens reçus en héritage.
Ces attitudes prudentes ne doivent en aucun cas occulter de nombreuses avancées significatives mentionnées dans le rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité. Ainsi, le texte propose l’annulation de la dot comme condition essentielle du mariage et le partage équitable du titre de chef de famille entre le père et la mère. Conséquence logique de ce postulat, les enfants auront les choix, si les recommandations des experts sont suivies, de porter le nom de leur père ou de leur mère. Enfin, La commission a recommandé l’égalité des hommes et des femmes en ce qui concerne le droit à la garde des enfants, estimant que les femmes ayant un revenu fixe ont le devoir de nourrir leurs enfants.
En choisissant l’option du compromis et de la progressivité dans les mesures, les membres de la commission des libertés individuelles et de l’égalité ont fait le choix de ne pas heurter les sensibilités et les convictions d’un certain nombre de croyants. Approche réaliste pour certains et frileuse pour d’autres, notamment les associations de défense des droits humains, ce projet de réforme épouse à merveille la fameuse phrase de l’ancien président français Georges Pompidou : « réformer dans la continuité ».
Si la sagesse, le compromis et la recherche du juste milieu ont leurs vertus, ils peuvent parfois conduire à une sensation d’absence de changement et de stagnation. Aux députés d’utiliser ce rapport à bon escient pour enfin changer les choses, la Tunisie en a bien besoin.
Nessim Ben Gharbia