Comment ces ministres peuvent-ils s'asseoir à la même table ?
La cohésion gouvernementale est visiblement un principe totalement surfait. Au sein d’un même cabinet, dit d’union nationale, plusieurs ministères prennent des décisions contradictoires et incohérentes pour, au final, présenter devant l’opinion publique un parfait discours, fidèle à ce que les gens ont envie d’entendre.
Hier encore, le ministère des Affaires religieuses a adressé une correspondance à une entreprise tunisienne afin de lui demander une copie de ses statuts. L’entreprise incriminée se trouve être l’éditrice de la billetterie du festival de musique électronique Orbit. Festival dans lequel un DJ a eu la malencontreuse idée de mixer de la musique électro avec un appel à la prière et a provoqué ainsi un tollé général qui lui a valu une condamnation d’un an de prison ferme.
Si des entreprises sont dans la ligne de mire du département religieux, d’autres intéressent aujourd’hui de près la présidence du gouvernement et le ministère des TIC et de l’Economie numérique qui s’engagent aujourd’hui à trouver des solutions pour qu’elles prospèrent. Aujourd’hui, Youssef Chahed et Anouar Maârouf présentent une nouvelle initiative législative en faveur des start up tunisiennes. De quoi leur offrir plus de facilités pour leur création et de marge dans leur activité au quotidien.
Dans les discours officiels, la relance économique, la reprise du tourisme et la sauvegarde des libertés individuelles sont les maître-mots. Le ministre des Affaires religieuses, qui défend la ligne conservatrice et islamique sur les bords, se heurte aux missions de plusieurs ministres. Face à lui, un ministère de la Culture organise manifestations culturelles et festivals et un autre du Tourisme qui s’emploie à redonner vie à un secteur fragile.
Comment ces mêmes ministres peuvent-ils s’asseoir à la même table et décider, de concert, en réunion de conseil de décisions engageant, pèle mêle, de grands principes tels que « l’intérêt supérieur de la nation », « la relance de l’activité économique », « la sauvegarde des libertés individuelles », etc. ?
Couac isolé ou énième preuve de l’absence d’une feuille de route claire du gouvernement actuel ? La réponse est simple. Il suffit de regarder les discours qui se multiplient en faveur de la liberté d’expression dont Youssef Chahed se dit lui-même le garant. Ceci n’a pourtant pas empêché le ministère de l’Intérieur de décider la suspension du journal Athawra News qu’il accuse de « dépassements éthiques et professionnels qui vont jusqu’à la diffamation ». Un ministère de l’Intérieur, adepte du « tout sécuritaire » et aidé par un état d’urgence en vigueur, se heurte lui-aussi à une présidence du gouvernement qui soutient œuvrer pour la sauvegarde des libertés individuelles chèrement défendues.
Ce manque évident de cohésion et de cohérence dans l’action gouvernementale contribue, malencontreusement, à nourrir les tensions sociales et à alimenter la grogne, la déception et le pessimisme de l’opinion publique. L’opinion publique doute aujourd’hui des capacités du gouvernement à garantir certaines libertés et un certain mode de vie auquel les citoyens se sont habitués depuis des années et à relancer une croissance économique en berne. Si certains ministres s’y emploient, d’autres avec leurs actions improvisées ne font que saboter leurs efforts et donner davantage de matière au pessimisme.
Est-ce qu’il suffit d’avoir des compétences pour qu’un gouvernement fonctionne ? Est-ce qu’il suffit de prononcer le mot « union » pour que l’union soit faite ? Le gouvernement de Youssef Chahed a prouvé le contraire. Un gouvernement, c'est une stratégie, une ligne directrice et des objectifs communs. Un gouvernement est censé être composé de membres, même différents et de sensibilités diverses, mais qui œuvrent pour les mêmes résultats et qui règlent leurs différents en interne. Non pas pour diviser mais pour enrichir. Par ses rangs dispersés et ses multiples couacs, le gouvernement creuse aujourd’hui un fossé qui avait uniquement besoin d’être rempli…