C’est la femme qui a fait monter Béji et c’est elle qui le sauvera (ou pas)
Lundi prochain, cela fera un an que le président de la République Béji Caïd Essebsi a décrété la mise en place d’une commission législative destinée à élaborer un rapport sur la question des libertés individuelles et de l’égalité hommes/femmes en Tunisie. La Colibe est créée et elle sera présidée par la militante et députée, Bochra Belhaj Hmida. C’était le 13 août 2017, date de la célébration de la Fête de la Femme en Tunisie et date de la promulgation du Code du statut personnel. Ce jour-là, Béji Caïd Essebsi a appelé à la révision de la circulaire interdisant aux Tunisiennes d'épouser des non musulmans. La fameuse circulaire N°216 du 5 novembre 1973. Un mois après, le 14 septembre 2017, et suite à une correspondance officielle du chef du gouvernement, le ministre de la Justice Ghazi Jeribi émet une circulaire rappelant que la circulaire numéro 216 est contraire aux articles 21 et 41 de la Constitution tunisienne et contraire aux accords internationaux signés par l’Etat tunisien. Désormais, les Tunisiennes peuvent se marier avec des étrangers non-musulmans. Dans les faits, plusieurs maires et huissiers notaires refusent l’application de cette circulaire qu’ils jugent contraire aux préceptes de l’islam, mais Béji Caïd Essebsi, Youssef Chahed et Ghazi Jeribi ont eu le mérite d’imposer par la loi une circulaire que ces maires finiront tôt ou tard par appliquer.
Quant à la Colibe, et en dépit de sa composition hétérogène (qui va de l’islamiste refoulé jusqu’au mégalomane affiché), son rapport fut prêt en un temps relativement record. Le 20 février, Bochra Belhaj Hmida aurait pu présenter son rapport au président de la République. Pour causes de crises politiques successives, et à cause des élections municipales, elle ne le fera que le 20 juin. Le rapport semble être très polémique et ses incendiaires lui attribuent tout et n’importe quoi, notamment ceux qui ne l’ont jamais lu. Si vous en faites partie, merci de cliquer ici pour télécharger le rapport de la Colibe.
Depuis le 20 juin, Bochra Belhaj Hmida ne cesse de recevoir des coups durs de la part des islamistes, des conservateurs, des ignares et des autoproclamés avocats de Dieu et de l’islam. La riposte intégriste s’est bien organisée. On touche à sa personne, à son honneur, à sa famille, à sa foi, à tout ! On l’accuse de chercher à modifier les préceptes de l’islam et d’imposer des lois contraires aux textes divins.
La dame a beau expliquer que son rapport n’a aucune force de loi et que c’est au Parlement de décider, elle a beau inviter ses détracteurs à le lire et à constater d’eux-mêmes qu’il ne touche aucunement aux préceptes de l’islam, rien à faire ! Quand on est un inculte-paresseux, on attaque d’abord, on lit après, si jamais on voudrait bien lire. Pourtant, le premier mot du Coran est bel et bien « lis !» (Iqrâ !).
Ces autoproclamés avocats de Dieu, et notamment les politiques parmi eux, jouent totalement aux hypocrites car ils feignent d’oublier que la Tunisie a des dizaines de textes de loi contraires à la chariâa sans que cela ne les ébranle spécialement, comme je l’ai indiqué il y a à peine un mois dans cette même rubrique à propos de ce même sujet. Ils ne veulent pas des textes de cette Colibe et veulent la chariâa en Tunisie, mais ils ne sont pas spécialement agacés par l’absence (depuis des lustres) des pendaisons sur les places publiques, des mains coupées ou encore de l’interdiction totale de la polygamie. Dernier en date à réagir, le rigolo Hechmi Hamdi qui a juré fidélité et loyauté à sa Reine d’Angleterre qui lui a accordé la citoyenneté britannique. Il ne trouve aucun mal en cela et encore moins à vivre dans un pays qui respecte toutes les croyances, mais il a du mal à accepter la même chose pour les Tunisiens. A Londres où il vit (dans un ghetto à vrai dire), il respecte totalement les lois en vigueur, mais en Tunisie il n’hésite pas à bloquer la circulation des personnes en imposant une prière en pleine rue. L’islam, en théorie, exige la propreté en tout, mais en pratique Hechmi Hamdi n’hésite pas à prier directement sur un trottoir sale.
Comme Hechmi Hamdi, il y a des milliers d’hypocrites qui attaquent la Colibe et Bochra Belhaj Hmida, juste pour des raisons purement politiques ou mercantiles.
Face à ces politiques qui utilisent l’islam et manipulent l’opinion pour servir leurs propres causes, il y a quasiment le vide.
Derrière Bochra, ceux qui théoriquement croient et épousent son projet, il y a quasiment le vide. Les gauchistes sont en vacances, les militants des Droits de l’Homme n’ont pas reçu l’ordre (et le chèque qui va avec) des maisons-mères européennes et américaines de leurs ONG et la société civile est dispersée et ne sait pas s’organiser. L’opposition ne veut surtout pas se mouiller, car il y a tout à perdre et rien à gagner en défendant Bochra Belhaj Hmida. Les grandes causes et les belles paroles glorieuses, on ne s’en rappelle que lorsqu’il s’agit de taper sur Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed. Face aux libertés des Tunisiens et des Tunisiennes piétinées par les lois moyenâgeuses inspirées de la chariâa, Samia Abbou, Imed Daïmi et Moncef Marzouki préfèrent jouer aux autruches.
De toute façon, nous n’avons pas voté pour eux, ils n’ont pas de comptes à nous rendre, mais Béji Caïd Essebsi oui !
Qu’a fait le président de la République élu au suffrage universel pour la Colibe ? Rien ! Il est fort probable qu’il va réagir à ce sujet lundi prochain, mais en attendant, il laisse Bochra et les autres membres de la Colibe livrés à eux-mêmes face aux hyènes et marchands de la religion.
Béji Caïd Essebsi préfère s’occuper de Nidaa et de son fils plutôt que de défendre Bochra et son rapport. Ses conseillers sont occupés à attaquer, dans les coulisses, le chef du gouvernement et les médias plutôt que de défendre une commission créée par le président de la République. Son parti Nidaa est occupé à mobiliser les mercenaires pour attaquer le gouvernement et les leaders d’opinion plutôt qu’à mobiliser les militants pour contrer les aficionados de Hechmi Hamdi and co.
Dans son interview tronquée sur Nessma du 16 juillet, Béji Caïd Essebsi n’a pas dit un mot sur la Colibe et la polémique qui en découle. Il a préféré frapper Youssef Chahed plutôt que de titiller ceux qui tirent la Tunisie vers le Moyen-âge. Dans son discours du 31 juillet à la clôture de la conférence annuelle des chefs de missions diplomatiques et des consulats, il lui lance même des petites phrases en rappelant qu’un homme d’Etat se doit de penser aux générations futures, alors qu’un homme politique ne se préoccupe que des prochaines élections. C’était la réponse du berger à la bergère, puisque précédemment Youssef Chahed lui a lancé une petite phrase en lui rappelant ses propos de « la patrie avant le parti ». Voilà où en est le président de la République ! Il dit penser à la génération future, mais il pense plutôt à la génération future de sa propre descendance. Il pense à sa petite famille et non à la grande famille d’hommes et femmes qui l’ont élu. Sa priorité n’est pas le rapport de la Colibe, mais comment ouvrir la voie à Hafedh Caïd Essebsi et son entourage d’opportunistes de Nidaa.
Béji Caïd Essebsi a une formidable occasion d’entrer dans l’Histoire et d’écrire son nom en lettres d’or. C’était l’objet même de la chronique de la semaine dernière. Son initiative du 13 août 2017 relative au mariage des Tunisiennes avec des étrangers entre dans ce cadre et correspond parfaitement aux promesses électorales qu’il a formulées à son million d’électrices. C’est grâce à lui aussi que les mères tunisiennes peuvent voyager avec leurs enfants sans une autorisation paternelle. A quel moment précis de l’Histoire s’est-il arrêté de défendre et d’écouter les Tunisiennes et à n’accorder son attention qu’à sa petite famille ? On l’ignore, mais les faits sont là et ils ne sont pas en sa faveur. Bochra Belhaj Hmida est seule face aux hyènes. « On veut abrutir les gens mais je ne laisserai pas faire ! », dit-elle. Mais aussi forte soit-elle, que peut-elle faire toute seule, sans un véritable appareil mobilisateur de foules avec elle ?
Il y a quelques jours, la présidence appelait un à un les députés Nidaa pour les pousser à contrer Youssef Chahed. Pourquoi ne les a-t-elle pas appelés pour descendre dans la rue et aller discuter et débattre un à un avec les fans de Hechmi Hamdi pour ne pas laisser « ce sujet de sa majesté » abrutir les Tunisiens ?
Depuis quelques mois, on ne reconnait plus Béji Caïd Essebsi, celui qui a été élu grâce, par et pour les femmes.
Lundi prochain, il a une occasion historique de rattraper ses errements passés, en mettant tout son poids au profit du rapport de la Colibe. Un rapport qui doit être « promulgué » en entier et non saucissonné comme voudraient le faire plusieurs et comme cela a été le cas avec la loi de la réconciliation. Un homme d’Etat pense aux générations futures et le rapport de la Colibe doit être, dans son intégralité, une loi créée pour les générations futures, comme l’a été le CSP en son temps !
Si Béji Caïd Essebsi consacre toute son énergie pour cet objectif, il aura été conséquent avec lui-même et tenu la promesse donnée à ses électrices. Il sera sauvé par cette même femme qui l’a nommé à Carthage. S’il continue à s’occuper de son fils, il sera « enterré » par cette même femme, parce qu’il l’a déçue. Il aura été cet homme politique qui pense à la prochaine élection de son fils, plutôt que cet homme d’Etat qui pense aux générations futures.