Ces Tunisiens qui n’en ont plus rien à cirer
Par Ikhlas Latif
La campagne municipale va bon train dans l’indifférence générale ou presque. Les deux mille listes candidates s’évertuent à attirer le plus de votants possibles sauf qu’une grande majorité de Tunisiens ne semble pas y prêter une grande attention. Après plus de 7 ans des événements de 2011, les citoyens se détournent de la chose politique. Une lassitude symptomatique de l’échec d’une classe politique qui n’a pas su convaincre et a failli dans sa mission. Les résultats des élections municipales prévues pour le 6 mai prochain en seront la concrétisation avec un taux d’abstention record. Ce ne sera pas une grande surprise au vu du désintérêt total affiché par les potentiels électeurs.
Hormis pour ce qui est des blagues et quolibets visant certaines listes farfelues, la mobilisation est pratiquement inexistante. Il est loin le temps où les réseaux sociaux bouillonnaient, où les internautes tunisiens s’impliquaient en affichant leur soutien à un candidat ou un parti. Ils sont bien loin les débats enflammés au sein des réunions de familles, au bureau ou au café du coin. La grève des enseignants du secondaire ou encore le costume officiel de l’équipe nationale de football déchaînent plus de passions que le scrutin à venir et ses conséquences sur nos vies de tous les jours. Parce qu’il faut le dire, notre classe politique a perdu le pari de faire comprendre aux Tunisiens l’enjeu de ces élections qui vont instaurer un pouvoir local.
Ce sont surtout les jeunes qui se détournent du fait politique, une tendance mondiale cela va sans dire, mais la Tunisie se trouve au tout début de son processus de démocratisation. Donc la mobilisation devrait se faire ressentir, sauf que l’enthousiasme d’il y a à peine 4 ans ou 7 ans a été complétement sapé. On assiste effectivement à une perte de confiance critique des électeurs. On fait face à une fracture, un fossé qui se creuse de jour en jour entre une élite politique, qui peine à se renouveler, et des citoyens désabusés en perte de repère. Des citoyens qui n’en ont plus rien à cirer des beaux discours et des promesses qui ne seront pas tenues de toute manière. Un état des faits navrant parce que même s’ils sont déçus par la classe politique, même s’ils ont raison sur plusieurs reproches, les électeurs n’en restent pas moins l’une des pierres angulaires d’un système démocratique, une partie prenante de la gestion du pays.
Aujourd’hui, on a l’impression, ou plutôt la certitude, qu’une part non négligeable des personnes en âge de voter est bien décidée à sanctionner un système politique défaillant qui n’a pas su répondre à leurs attentes. Une nouvelle démocratie dont ils se détournent et désavouent de plus en plus.
Les observateurs de la place parlent d’une abstention record lors de ces municipales. Il n’est en effet pas exclu que l’abstentionnisme soit le plus grand taux du scrutin. Que cela soit un abstentionnisme d’indifférence ou de sanction, peu importe. Ce sera un indicateur concret du malaise qui s’est installé entre les citoyens et leurs représentants politiques et généralement de l’état de santé de notre si fragile système démocratique. Ce sera une belle gifle pour notre élite politique qui sera poussée (ou pas d’ailleurs) à repenser ses choix et à se renouveler. Mais ça, c’est une autre paire de manches…