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Chroniques
On n'a que les femmes qu'on mérite !
14/08/2014 | 15:59
3 min
Par Marouen Achouri

Le Cheikh l'a dit : "Mariez-vous avec les femmes de 30 à 40 ans et les divorcées". N'est ce pas une jolie manière de célébrer la journée de la Femme? Quels que soient les doutes que l'on peut avoir sur ce type de déclarations, on ne saurait contester la parole du Cheikh, Rached Ghannouchi.

Bien sur, une certaine élasticité d'esprit est nécessaire pour bien saisir la portée d'une telle consigne. Donner le tempo d'une vie politique chaotique ne semble pas suffire au fan d'Erdogan, connu aussi pour sa sympathie envers la femme. Evidemment, on pourrait s'offusquer de cette attitude paternaliste totalement éloignée de la réalité qui consisterait à dire : "Les femmes de 30 à 40 ans et les divorcées sont de pauvres femelles perdues qui ne servent pratiquement à rien, s'il vous plait, ayez l'obligeance de les prendre pour épouses comme ça elles trouveront un sens à leurs vies en devenant vos femmes". Mais non! Le Cheikh a certainement une vision, une réflexion qui ne nous est pas accessible, nous pauvres pêcheurs. C'est comme quand il a dit que l'armée et la police n'étaient pas garanties en parlant avec des salafistes : Des déclarations totalement sorties de leur contexte ! Il tentait seulement de les ramener vers le droit chemin. Bon, c'est vrai aussi que dans l'un de ses livres (la femme entre le Coran et la réalité des musulmans), le Cheikh Ghannouchi écrit que "les caractéristiques de la femme sont reliées à sa fonction sexuelle, toute caractéristique spécifique à la femme est en relation avec cette fonction ou en est une conséquence, la fonction sexuelle est fondamentale pour la femme alors qu'elle est symptomatique pour l'homme […] la fonction sexuelle est l'essence de la femme". Là, difficile de dire que les propos sont sortis de leur contexte, c'est écrit noir sur blanc…

Bref, tout cela pour dire que le Cheikh est un fervent défenseur des droits de la femme et c'est un principe auquel il croit profondément. Il y croit comme à la démocratie, à la liberté sexuelle et à la liberté de culte. Tout pareil.

Toutefois, soyez rassurées femmes de Tunisie ! Même si M. Ghannouchi décidait subitement de changer d'avis -on ne sait jamais- Moncef Marzouki vous sauvera. Dans son discours du 13 août il a dit : "le Code du statut personnel ne sera touché ou modifié que sur nos cadavres!". Bon, j'avoue que ça n’a rien de rassurant, c'est même le contraire. En général, quand le président dit qu'un truc est intouchable c'est un mauvais présage, comme quand il avait dit qu'il ne porterait pas plainte contre les journalistes ou que Baghdadi Mahmoudi ne serait pas extradé.

Mais si l'on veut être sérieux, on est obligé d'avouer que l'on a les politiciens qu'on mérite. Dire que la principale caractéristique de la femme est sa fonction sexuelle est aussi dénué de sens que de siffler une femme dans la rue ou d'affirmer que les femmes provoquent les hommes et justifient donc leur viol.

On aura beau se donner bonne conscience en fêtant la femme deux fois par an et en y consacrant des reportages dans les médias. Cela n'empêchera pas qu'il faudra bien, un jour, que l'on se confronte à la réalité de la situation de la femme en Tunisie. Les pourfendeurs de ce type de réquisitoire brandiront, en un éclair, le code du statut personnel comme une révolution et une innovation sans précédent dans le monde arabe.

Le CSP est une révolution indéniable mais c'est aussi une révolution qui date de plus de 50 ans! Quand on veut avancer, on regarde comment les choses se passent dans les pays qui nous sont supérieurs, on ne regarde pas la situation de la femme en Afghanistan ou en Arabie saoudite en se disant: "Quel beau code du statut personnel nous avons!".

Si nous voulons être cohérents et honnêtes envers nous-mêmes, il faudra un jour réaliser que ce fameux code du statut personnel est aujourd'hui obsolète et aurait besoin d'un bon lifting. Aujourd'hui en Tunisie, par exemple, une femme ne peut quitter le territoire tunisien avec son enfant sans une autorisation écrite de la part de son mari. Ils sont beaux les droits de la femme…

Il est inutile de souligner, pour la énième fois, l'importance de la femme dans une société, son rôle en tant que citoyenne, mère, épouse, sœur, etc. Il suffirait de relire les réquisitoires écrits ça et là ou de relire les écrits de Tahar Haddad publiés en 1930, déjà!

Le code du statut personnel a, certes, été une avancée décisive et une révolution à son époque. Il restera également comme l'une des principales œuvres de feu Habib Bourguiba. Toutefois, il faudrait avoir le courage de le regarder aujourd'hui avec un regard critique et le réadapter au quotidien des femmes tunisiennes à la lumière de ce qui se fait dans les pays avant-gardistes en matière de droits de la femme. Sinon, c'est le Cheikh qui va s'en occuper…
14/08/2014 | 15:59
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