Allez vous faire voir chez les Grecs !
Par Marouen Achouri
La victoire de Syriza en Grèce a été un véritable séisme en Europe. Les gauchistes sont arrivés au pouvoir ! Bien sûr, les marchés ont peur, l’Europe traditionnaliste a peur et on ne cesse de parler de ce parti qui veut tout changer avec un jeune à sa tête.
Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre grec, est âgé de seulement quarante ans. Il a constitué son gouvernement deux jours après l’annonce des résultats des élections et a prêté un serment civil, sans bible et sans archevêque. Certains expliquent la réussite d’une coalition de gauche radicale en Grèce par la situation calamiteuse du pays. Ils sont vraiment dans une situation de crise : un chômage qui atteint près du tiers de la population, des revenus réduits de près de 30% pour les fonctionnaires et les retraités, des milliers de foyers qui n’ont plus d’électricité car ils ne peuvent pas la payer etc.
En Tunisie, heureusement, la situation n’est pas aussi dramatique. On peut encore se permettre le luxe de faire des grèves et on peut encore arnaquer la STEG pour l’électricité. La classe politique n’échappe pas à cette comparaison, rien à voir entre les deux. Nidaa Tounes savait qu’il avait gagné les élections législatives depuis le 26 octobre 2014. Trois mois plus tard, on n’a toujours pas de gouvernement. C’est qu’il ne faudrait pas se presser pour sortir le pays du « goulot de la bouteille » comme dirait Béji Caïd Essebsi.
Chez nous, on y va tout doucement. Des rounds de négociation, des allers, des retours, des oui, des non, mais au final, rien ! Chez les Grecs, tout cela s’est passé à une toute autre vitesse. La raison principale est le fait que le gagnant des élections, Alexis Tsipras, n’éprouve pas le besoin de faire plaisir à tout le monde. Dans sa campagne électorale, il a été anti-droite, cette droite qu’il accuse d’avoir vendu le pays aux intérêts étrangers, d’avoir mal négocié la dette et d’avoir mis le pays dans une situation sociale et politique inextricable. Donc, il ne leur a pas tendu la main pour gouverner une fois le pouvoir conquis.
Chez nous ça se passe autrement. Les éléments de la campagne de Tsipras ressemblent à s’y méprendre à ceux employés par Nidaa Tounes : la troïka est un échec sur tous les niveaux, sa gouvernance est responsable de la situation économique et sociale difficile de la Tunisie, ils ont accumulé les dettes et sont responsables de l’état de faillite du pays. Pourtant, une fois les élections gagnées, c’est vers Ennahdha qu’on se tourne en premier pour tenter de mettre en place une composition gouvernementale qui pourrait éventuellement passer. On se met à faire des courbettes et le discours a complètement changé. Maintenant, Ennahdha est bourré de compétences, il serait irresponsable de gouverner sans eux et autres arguments. En fait, la volte-face est aussi radicale que la tendance gauchiste de Syriza. La question n’est pas de savoir si Ennahdha est capable de gouverner avec Nidaa Tounes ou pas, la question est de savoir quand est-ce que vous nous mentez ? Pendant la campagne pour vous faire élire ou aujourd’hui pour pouvoir rester à vos postes ?
Le consensus et le dialogue commencent à s’essouffler devant l’insistance de l’opinion publique et l’urgence de la situation du pays. Prendre le temps du dialogue est louable en soi mais le temps politique est différent du temps social. Pendant que les politiciens s’arrangent entre eux, c’est la méfiance qui se creuse auprès de l’opinion publique et les problèmes sociaux qui se creusent. Les politiciens pensent avoir le temps de peaufiner un gouvernement qui leur va mais ne se doutent pas qu’il risque d’être refusé par le peuple avant même d’avoir commencé à travailler.
Tout cela sans parler de l’impression manifeste de partage du pouvoir selon le poids politique de chacun et in fine, de concevoir une deuxième troïka pour la mettre aux commandes du pays. Peut-on espérer des résultats différents alors qu’on emploie la même recette ?