Entre un nouveau blacklistage européen de la Tunisie se retrouvant sur une liste des pays fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, le limogeage dans la foulée du gouverneur de la Banque centrale, une histoire d’espionnage et de personnalités politiques achetées et vendues, l’opinion publique tunisienne avait de la matière pour jaser. De grosses affaires qui ont relégué au second plan les « tous petits » drames à l’échelle régionale.
Dans la soirée du lundi au mardi, deux fillettes entre la vie et la mort ont été transférées à l’hôpital de Kasserine. La mort l’emportera sur la vie et les deux petites succomberont à leurs blessures. Quelques heures avant le drame, elles dormaient paisiblement dans le dortoir du collège de Thala qui leur servait de foyer. Les parents, en toute confiance, avaient confié leurs enfants à l’établissement public, à l’Etat, pour qu’il les prenne en charge et qu’elles puissent poursuivre leurs études dans les meilleures conditions possibles. Sauf que les conditions ne l’étaient pas. Un incendie se déclare dans les locaux, où 83 collégiennes dormaient. Les pensionnaires sont évacuées dans la précipitation, une vingtaine souffrant d’asphyxie ont pu être secourues, mais les blessures de Rahma et Sourour étaient beaucoup trop grave pour qu’elles y survivent.
Presque passée inaperçue, cette tragédie appelle tout d’abord la question de la responsabilité. Qui l’assumera cette responsabilité ? Est-ce le directeur de l’établissement ? Le délégué de la région ? Le gouverneur ? Le ministère de tutelle ou l’Etat ? Tous à leurs niveaux respectifs sont responsables de ce drame ! Vous me diriez que de pareils incidents peuvent fâcheusement survenir n’importe où et n’importe quand. Je vous dirai qu’un pensionnat d’élèves n’est pas n’importe quel lieu et que des mesures de sécurité strictes se doivent d’être prises, notamment en matière de prévention des incendies. Après tout, il s’agit-là de la vie de centaines d’enfants pris en charge par l’Etat ! Et c’est là que se pose la question de la lente mais sûre dégradation des conditions de scolarisation de nos enfants. Il est vrai que c’est plus particulièrement visible au niveau des établissements scolaires dans les zones défavorisées, touchés de plein fouet par l’inégalité. Un mal qui ronge depuis des décennies la Tunisie et a fortiori ses régions reculées.
Dans ces établissements, à l’image de leurs régions, les premières victimes sont les élèves. Dans le dénuement le plus total, ils tentent tant bien que mal de suivre leurs études, de réussir, de se créer un avenir, l’avenir de la Tunisie. Ils font face à une infrastructure désuète, à une misère sans nom, à une hygiène inexistante- certains établissements ne disposant pas d’eau potable ou d’installations sanitaires-, à des bâtiments qui tombent en ruines et j’en passe ! Il ne faudra pas s’étonner dès lors de l’absence d’un système de sécurité incendie dans un internat d’un coin paumé de la Tunisie…
Ce système et ce réseau scolaires tant vantés par nos politiques sont à l’agonie. L’enseignement public n’est plus la fierté de la Tunisie. Les plus aisés le fuient comme la peste et inscrivent leurs enfants dans des établissements privés. La classe moyenne, en phase de paupérisation, et les plus démunis n’ont pas d’autre choix que de confier leurs enfants à l’Etat. Un Etat qui peine à trouver des solutions immédiates à un problème de la plus haute importance, dont dépend l’avenir même du pays. A l’aube de la nouvelle nation, Bourguiba avait misé sur l’éducation. Aujourd’hui, son œuvre s’effondre comme un château de cartes, la résultante de l’échec des politiques successives adoptées au fil du temps et des gouvernements successifs.
A qui incombe la responsabilité de la mort des deux fillettes ?
L’actuel ministre de l’Education nationale a déploré l’infrastructure « désastreuse » des établissements scolaires, et a déclaré que des mesures « exceptionnelles » allaient être prises lors d’un conseil des ministres restreint pour remédier à cette situation. Ce n’est toujours qu’après de pareils drames que nos dirigeants annoncent de nouvelles mesures urgentes ou exceptionnelles. Qu’en est-il d’une stratégie à court ou moyen termes ? Passé le moment d’émotion, retour à la case départ.
« Par chance, je n’ai pas pu dormir à cause du froid et de la faim au moment de l’incendie », avait commenté l’une des rescapées de l’incendie de Thala. Une terrible phrase qui résume à elle seule l’état de misère dans lequel vivent nos élèves.