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Ben Guerdène - Carthage : Citadelles imprenables !
28/04/2016 | 16:35
6 min
Ben Guerdène - Carthage : Citadelles imprenables !

Par Hédi Ben Abbes*

 

Je ne peux m’empêcher, en cette date d’anniversaire de la mort de Shakespeare (400 ans), de penser à la fameuse déclaration d’amour de John Of Gaunt pour son pays dans (Richard II, acte II, sc.1)* Pour une certaine Angleterre, celle du XIVème siècle, ce centre du monde, que dis-je, le monde dans toute sa splendeur, un paradis sur terre, comme il le dit. Et pourtant, les dangers guettaient cette île, l’envie et la convoitise la rendaient vulnérable.

 

Depuis la haute Antiquité, la Méditerranée est également un monde, un centre d’échanges. Elle a façonné l’Histoire et redessiné les dessous de la carte géopolitique et culturelle du monde méditerranéen. Athènes, Rome, Carthage ou la Tripolitaine orientale, tour à tour épicentre d’un monde en devenir, plaque tournante des idées les plus audacieuses, des progrès les plus fulgurants, où les dieux se confondaient parfois aux hommes et les hommes souvent aux dieux.

 

La règle n’a pas changé depuis la Grèce antique et elle semble s’appliquer aujourd’hui encore. Sous l’angle tunisien - toute proportion gardée -, Carthage est à nouveau le centre du monde après plus de deux mille ans d’histoire. L’épicentre d’une onde de choc qui a ébranlé le monde entier voici cinq ans et qui nous rappelle ce qu’Edouard Glissant appelait : « le Tout monde, l’interdépendance des fragments ». L’archipel se reconnait à présent dans Carthage et Carthage se reconnait dans l’archipel. De quoi être fier d’être carthaginois, fier et responsable à la fois. J’utilise à dessein le terme carthaginois plutôt que Tunisien, pour illustrer la dimension quasi-universelle des enjeux qui se déroulent sur cette terre plusieurs fois millénaire.

 

Comme John Of Gaunt, je peux crier que ce demi-paradis, cette terre bénie des dieux, ce joyaux de la Méditerranée contre les remparts desquels viennent se fracasser les envieux, les ennemis comme les « amis », Carthage est imprenable. C’est à en devenir superstitieux, à croire que le vœu de Caton l’Ancien, Carthago delenda est, ne s’était jamais réalisé. Ou plutôt, à cause de ce vœu que Carthago demeure imprenable malgré les invasions barbares et la convoitise de ses multiples ennemis. De 149 avant notre ère jusqu’à nos jours, nombreux sont ceux qui ont tenté de détruire Carthage, de brûler ses murs ou de convertir son âme. Nombreux sont aussi ceux qui se sont brisés contre ses remparts, convertis à leur tour à sa vision du monde, à son ouverture, à l’« archipellisation » de la pensée carthaginoise. Qu’elle soit attaquée par le nord ou par le sud, Carthage sait se défendre, sait comment opposer la civilité à la barbarie, comment engloutir la monodie dans sa polyphonie.

 

La potion magique qui rend ces carthaginois invincibles est un mélange subtil de modération et d’ouverture qui n’est pas choisi mais ontologique. On ne choisit pas d’être ouvert, on y est culturellement prédisposé. C’est cette prédisposition quasi-naturelle qui désarme l’ennemi et converti son venin en un excipient inoffensif. Car Carthage peut être musulmane, chrétienne, juive, païenne, animiste et le tout à la fois. L’Orient ne s’y oppose pas à l’Occident, ils s’y confondent. Plutôt que destructeur, le « choc des civilisations » y est fécond dans une pollinisation permanente. Quand on y sème la haine, les mauvaises graines, l’univocité, on y récolte la polyvalence et le syncrétisme culturel.

 

Carthage est tout en rondeur, elle exècre la radicalité et transforme le sédentaire en mobile. Réfractaire à l’essentialisation, l’enracinement y est synonyme de mort, le rhizomique est dans ses gènes culturels.

 

Même si on le souhaitait, on ne pourrait définir Carthage car elle est indéfinissable à cause de cette mobilité ontologique, cette capacité à domestiquer et à s’approprier le différent. C’est à toutes ces caractéristiques qui remontent à l’aube des temps que nous devons la victoire contre la dernière tentative d’invasion barbare. La greffe daechienne ne pouvait prendre car le corps culturel est immunisé contre le dogmatique et l’univoque. Les stratégies militaires, les renseignements, les moyens techniques et matériels sont certes nécessaires mais pas suffisants. Il faut un autre rempart, celui de la culture, pour que la greffe ne prenne pas, pour que le corps social pourchasse à mains nues ces envahisseurs d’un autre temps.

 

Le parallèle avec un autre joyau de la Méditerranée - Tripoli la syrienne - est inévitable. Quand en février 1099, l’armée des Franj conduite par Saint Gilles voulu prendre la ville, le juge Jalel El-Moulk, résolu, fut disposé à tout céder aux envahisseurs à l’exception de la maison des cultures et sa fameuse bibliothèque. Il était convaincu que cette bibliothèque était le rempart contre lequel les ennemis ne pourraient rien faire. Il leur a tout donné, l’or, les troupeaux et les joyaux de son royaume en contrepartie de la préservation du seul trésor qui vaille à ses yeux, le savoir universel. Les Franj, une horde de coupeurs de tête et de pilleurs,ont tenté de prendre Arqa, la deuxième ville de la province, pour en faire une base arrière en prévision de l’invasion de Tripoli. Mais après plusieurs mois de sièges et d’assauts avortés, et malgré leur supériorité numérique, leur puissance et la sympathie de leurs coreligionnaires parmi les habitants d’Arqa, les Franj, désespérés, prirent tête baissée, la route vers le sud, laissant derrière eux Arqa et Tripoli l’imprenable. Arqa doit son succès d’alors à la volonté de ses habitants de ne laisser à l’ennemi aucune brèche pour s’y infiltrer, ni dans les remparts, ni dans le corps social. Car la qualité de leur vie, l’ « harmonie des fragments » citée plus avant, étaient le ciment contre les adeptes de l’uniformité et du dogmatisme. Ils savaient qu’il aurait suffit d’une seule brèche pour que leur sort soit scellé, comme ce fut le cas pour les habitants d’Antioche avant eux. Ils savaient que Tripoli et sa bibliothèque ne pouvaient résister si le premier rempart d’Arqa était franchi.

 

C’est ainsi que la classification faite par Abou Al Ala El Maari prend tout son sens. Il divisait l’humanité en deux catégories, celle des religieux sans cerveaux et celle avec des cerveaux mais sans religion. Il l’avait appris à ses dépens puisque Maara, la ville dont il était originaire, avait subi la pire tuerie des envahisseurs Franj (1098) qui n’avaient épargné ni les humains ni les bêtes au nom d’un Dieu censé être amour et paix.

 

Aujourd’hui, l’Histoire ne fait que se répéter. Les acteurs changent mais les enjeux demeurent les mêmes. Ben Guerdène est symboliquement la Arqa d’hier. Elle a vaincu la barbarie dite musulmane comme Arqa a vaincu la barbarie franque. La tête basse, les barbares d’aujourd’hui se sont eux aussi repliés vers le sud laissant derrière au loin Carthage l’imprenable, l’un des plus beaux joyaux de la Méditerranée.

 

 

* Universitaire et dirigeant d’entreprise

 

* "Cet auguste trône de rois, cette île porte-sceptre, cette terre de Majesté, ce siège de Mars, cet autre Eden, ce demi-paradis, cette forteresse bâtie par la nature pour se défendre contre l'invasion et le coup de main de la guerre, cette heureuse race d'hommes, ce petit univers, cette pierre précieuse enchâssée dans une mer d'argent qui la défend, comme un rempart, ou comme le fossé protecteur d'un château, contre l'envie des contrées moins heureuses, ce lieu béni, cette terre, cet empire, cette Angleterre, cette nourrice, cette mère féconde de princes vraiment royaux, redoutables par leur race [...] ; cette patrie de tant d'âmes chères, cette chère, chère patrie, chérie pour sa gloire dans le monde [...] » (Act II, sc.1)

This royal throne of kings, this sceptred isle,

This earth of majesty, this seat of Mars,

This other Eden, demi-paradise,

This fortress built by Nature for herself

Against infection and the hand of war,

This happy breed of men, this little world,

This precious stone set in the silver sea,

Which serves it in the office of a wall

Or as a moat defensive to a house,

Against the envy of less happier lands,-

This blessed plot, this earth, this realm, this England.

William Shakespeare

King Richard II.

28/04/2016 | 16:35
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Commentaires (17)

Commenter

takilas
| 10-05-2016 20:59
Inutile de jouer la comédie ! Tout le monde sait que les échanges commerciaux avec La Libye engendrent des enrichissements (el gattou; le gâteau ) colossaux et qui leurs permettent de vivre comme des nababs. Donc de prétendre vouloir travailler pareillement aux "naifs et mesquins "autres citoyens tunisiens et recevoir de minables salaires "qui leur feront certainement rire", sont hors de question d'être envisagés . Les deux invités surr hiwar tounsi télé sont de beaux acteurs et sont arrivés à influencer et commettre des traitrises et ce en incitant les gens à la débandade . Les échanges commerciaux sont de l'apanage, tout comme les matières premières et non a quiconque .ni zaid ni amr. c'est une douane propre à La Tunisie et non une propriété privée . Arrêtez votre cinéma aux télés!

j.trad
| 03-05-2016 10:15
plusieurs années avant la révolution ,j'ai exprimé un souhait sur un ton impératif ,j'ai formulé un voeux :il faut que l'art prenne sa part ,c'est le nouveau REMPART ...je suis ravie de voir sur ce journal ce voeux réalisé ,les commentaires sembles prendre le bon chemin ,BN doit éviter les textes qui tordent le cou à l'art ,(le pour et le contre ,nous voulons que le style montre un peu de respect pour l'ART)d 'ailleurs j'attire l'attention que les paroles d'ALLAH nous sont servies dans un art absolu ,(khala9a 'l'insana 3allamahou 'l'BAYANA)AL BAYAN ,c'est l'ART de la communication ,il faut que la vulgaritée soit bannie .les civilisations sont diverses ,mais la FOI ,ne peut pas être multiple ,tous les chemins de l'ART doivent verser dans la FOI en un DIEU unique et transcendant .les égarés peuvent être des civilisés ,mais sans la FOI en un DIEU unique et transcendant qui s'adresse à l'humanité entière ,les égarés ont beau être CIVILISES ils restent des handicapés ,ils peuvent se prétendre libres ,ils ne le sont pas comme ils le croient ,ils sont tributaires du diable satan (la légende est établie en long et en large par ALLAH qui aime toutes ses créatures ,mais l'impunité n'est pas évidente).man andhara fa 9ad a3dhara .

takilas
| 29-04-2016 21:23
Au lieu de Ben Guerdene, dites plutôt les preaux commerciaux "moncef bey 2" et le pouvoyeur principal de marchandes de "moncef beg", sfax, el jem, rue bab jazira et bab alouia à Tunis.

Pédant
| 29-04-2016 20:49
Il y a des hommes qui ne sont point aimables, mais qui n'empêchent pas les autres de l'être. Leur commerce est quelquefois supportable ; il y en a d'autres qui, n'étant point aimables, nuisent encore par leur seule présence au développement de l'amabilité d'autrui ; ceux-là sont insupportables : c'est le grand inconvénient de la pédanterie. ' (Chamfort , Maximes et pensées, IV (238), éd. 1923)

Yqdhan
| 29-04-2016 18:02
Monsieur l'universitaire et le dirigeant d'entreprise manie à merveille l'amalgame et ce faisant, ne s'embarrasse guère d'anachronisme ni d'inexactitude historique, étant tout à sa volonté d'éblouir le lecteur-gogo en lui mettant plein les yeux. Esbroufe et grandiloquence qui ne parviennent nullement à camoufler un vide abyssal.

tounsi blid
| 29-04-2016 10:00
Honte a vous car de Carthage Il ne rests que des pierres. Carthage etait enviee et admiree du fait de Sa prosperite et de Sa grandeur commerciale.
Aujourdhui Tunis fait pitie car avec la democratie Elle herite d un endettement colossal et d une pegre
Hors norme qui vont faire pire.que les grecs.....

himar carthaginois
| 29-04-2016 09:45
merci pour ton gentil mot. Il se peut que je me sois écarté du sujet, ou bien que j'aies focalisé sur un aspects plutôt que d'autres, mais à force de relire l'article de M. Ben Abbes j'en découvre encore des défauts. Je trouve ridicule par exemple de comparer la supposée résistance de Carthage à l'incursion daéchienne de Ben Guerdane. Le résistance de Carthage n'est qu'un fantasme. Carthage est tombée plusieurs fois (contre les romains, les vandales, les arabes, les béni Hilal, et même Charlequin). Carthage a souffert durant des décennies voir des siècles. Carthage a été un fief d'extrémismes et d'essentialisation (les prêtres de Hamon, l'arianisme des vandales, le chiisme fatimide, le sunnisme ziride, etc..) Et comparer la résistance de Carthage avec la razia sur Ben Guerdane ne tient ni en forme en contenu. L'armée romaine n'est pas 50 mecs même avec kalachnikov.

El Chapo
| 29-04-2016 09:39
Carthago Dalenda Est!

Carthage est finie... elle est entre les mains de charognards qui la déchiquettent jour après jour

Jojo
| 29-04-2016 08:10
Ce que vous écrivez est correct, de même votre prose est aussi excellente que celle de Mr. Ben Abbes, mais seulement vous vous-êtes trop écarté du sujet de l'Article.

essia
| 29-04-2016 01:52
Un peu de culture, d"élégance verbale, de préciosité même ne font pas de mal, sauf que je ne comprends pas comment des gens aussi bien formés que vous et Aziz Krichen aient pu faire partie pendant un moment, de l'équipe du CPR qui est aux antipodes: manichéisme, vision primaire des choses, ressentiment, esprit de vengeance, langage démagogique... à moins que vous ayez été tentés par les fastes du pouvoir comme beaucoup de monde.