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Chroniques
Adieu Gannoun…
Par Inès Oueslati
31/03/2015 | 16:07
4 min
Adieu Gannoun…


Alors que le monde était Bardo, dimanche 29 mars 2015, disparaissait une grande figure de la scène culturelle. Ezzeddine Gannoun, celui que le théâtre passionne, est parti loin des feux des projecteurs pendant que les regards s’étaient posés ailleurs. En effet, la marche internationale interreligieuse et populaire de dimanche a accaparé toute l’attention. Et à côté de la politique, la culture passe évidemment inaperçue.


Il fut un temps où on accusait Ben Ali et son système d’avoir marginalisé la culture et créé la diversion susceptible de mener ailleurs l’intérêt du Tunisien, vers ce qui est sans intérêt justement. Ben Ali n’est plus là, mais notre désintérêt pour la chose culturelle demeure intact. Seule une minorité fait, dans ce contexte, l’exception, aux côtés des « cultivés » du dimanche et de ceux de Facebook, manifestant un intérêt d’occasion à la culture, au rythme du buzz et du m’as-tu vu.


Le sport national qui consume à lui seul l’intérêt populaire est incontestablement la politique avec ses nouvelles stars, ses répliques fétiches, ses slogans grandiloquents, ses figurants médiatiques et ses spectateurs béats tenus en haleine par des événements sans fin et dont le point culminant est quasi hebdomadaire. Ce dénouement qu’on attend et qui ne vient pas et cette manière qu’a le politique de nous tenir par les sentiments nous empêchent de voir l’essentiel. L’accueil qui a été réservé au décès de Ezzeddine Gannoun l’a prouvé.


Celui qui a redonné vie à un bâtiment des années 30 pour y faire naître l’Espace Al Hamra est parti dans la discrétion, car nous sommes un peuple qui aime les fanfarons. Celui que le ministère de la Culture a désigné comme « une des sommités de la culture tunisienne » est parti dans la discrétion, car la culture ne dit plus grand-chose à beaucoup de monde. Car l’amour de la culture n’a pas été semé sur cette terre, nous n’y avons rien à récolter, dans la quantité du moins.


« Pratiquer » la culture comme passion ou comme profession, l’apprécier et la soutenir relève désormais du militantisme car le mouvement de foule va ailleurs. Nous sommes, ainsi, dans cette phase qui fait que ce soit la foule qui crée l’élite et non l’élite qui façonne la foule. Ce n’est donc plus (ou très peu) la culture qui théorise et éclaire mais le parcours politique qui choisit et propulse les leaders d’opinion au gré des tournures que le pays prend ou qu’on voudrait qu’il prenne.


Experts en tous genres ont investi la scène publique, élite barbante puisant sa légitimité de réseaux de circonstance, leaders d’opinion dont le seul apport ou presque se résume à quelques statuts Facebook ont suppléé, dans les esprits, les vrais esprits pensants. Cette nouvelle élite a rebuté nombre de personnes tant les idées émises ont été, très souvent, en décalage par rapport à nos priorités et à notre contexte. Ces diversions pensées ont été tellement peu argumentées et hors sujet qu’elles ont vidé la notion d’élite de son sens et de son rôle.


L’Histoire ne retiendra pas les noms de ces usurpateurs, mais, en attendant, ceux qui sont la vraie élite pensante de ce pays s’éteignent dans l’indifférence générale. L’engouement pour la culture et même le regret de ses figures emblématiques sont ainsi à la merci de cette élite de façade. Si certains noms s’étaient mobilisés sur la toile pour rendre hommage à Gannoun, des milliers de suiveurs l’auraient fait à leur tour. Mais ces leaders d’opinion étaient attirés vers un autre spectacle dimanche dernier.


Celui qui a fait des spectacles et qui a formé des générations pour, n’a donc rien à attendre du peuple et de ses chouchous, de la classe politique et de ses pantins. Aux personnes de sa trempe, c’est la Nation qui est redevable et c’est uniquement à elle de les honorer, dans la vie et quand la mort les fauche. La Nation a ses institutions qui devraient être indépendantes de la chose politique passant de main en main et de poche en poche. La Nation a de vrais représentants se concrétisant dans un état d’esprit qui considère la Tunisie, ses courants d’idées, ses figures emblématiques dans la continuité de ce qui a été construit et dans l’anticipation de ce qui doit l’être. Cette construction d’ordre culturel devrait être indépendante de la volonté politique et des caprices de ses acteurs du moment et de leurs cabotins.

 

La Nation est une construction idéologique qui, comme un kaléidoscope, de plusieurs couleurs est formée. La culture, de ces couleurs, en est une et, de notre kaléidoscope, cette couleur tend à s’effacer. Parce que l’Histoire d’une Nation n’est pas que politique, mais est aussi du domaine du social et de celui des idées, elle ne retiendra certainement pas tous ces noms qui monopolisent l’attention générale et dont l’apport est soluble dans l’air. Mais l’Histoire retiendra que, le 29 mars 2015, Ezzeddine Gannoun est mort. Dommage que ceux pour qui il avait consacré sa vie, n’aient pas été là pour honorer sa mort. De l’histoire, ceux-là n’avaient retenu que l’anecdote…


« Quand l'homme de guerre a fini sa besogne de héros, il rentre dans sa maison et pend son épée au clou. Il n'en va pas de même pour les penseurs. Les idées ne s'accrochent pas au clou comme les épées. Quand le philosophe, quand le poète, se repose, ses idées continuent de combattre. Elles s'en vont en liberté, comme des folles sublimes, tout briser dans les mauvaises âmes et remuer le monde », avait écrit Victor Hugo. Mille excuses à nos penseurs morts ou qui se meurent, dans ou par l’indifférence générale.

 

Par Inès Oueslati
31/03/2015 | 16:07
4 min
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Commentaires (4) Commenter
Ce n'est pas vrai
Une citoyenne
| 03-04-2015 15:18
Ce n'est pas vrai que la dispation de Ezzeddine Gannoun soit passée inaperçue. Par coïncidence elle a eu lieu en même temps que la manifestation pour le Bardo. Cette dernière avait été annoncée très longtemps auparavant bien sûr, tandis que le décès et ( c'est le propre dès décès) est arrivé subitement.Moi je dis qu'il a eu droit à des osèques édifiantes sur sa valeur culturelle; il a eu droit à la présence spontanée de tous ceux qui l'admiraient, CAD les gens de son monde, intellectuels de tous bords, générations ayant eu le privilège de se hisser jusqu'à son illustre collège, hommes de théatre; pourquoi se morfondre en mêlant politique et intellect. Je connais des dizaines d'homme de culture qui n'ont pas été aux funérailles de l'ex ministre, il y a deux semaines. Personne n'en pleure, c'est seulement que l'appartenance joue partout.
oui mais
SL
| 01-04-2015 00:10
Nous avons tous pris l'habitude de tout remettre sur le dos de l'ignorance, de l'inculture, de la légèreté, de l'inconsistance et de l'inconscience du pauvre peuple tunisien, qui pour défendre un ancien dictateur, d'autres pour expliquer les maux qui grèvent le développement du pays ou même pour rédiger l'adieu d'un artiste ou d'un illustre personnage.
A part les dédaigneux, les cyniques et les condescendants pathologiques qui n'hésitent pas à traiter leurs compatriotes de "gueux" ou de "traîtres", Je me demande si, même par inconscience, on ne le fait pas surtout par facilité et par paresse intellectuelle.
L'adieu de Inès Oueslati qui ne semble pas y échapper, voulait nous dire en gros, qu'un grand homme s'en va sans que ce peule inculte dénoncé pour sa oisiveté et pour son penchant pour la politique spectacle, auquel l'auteur participe d'ailleurs hebdomadairement avec sa traditionnelle pêche, n'exprime la moindre empathie émotionnelle.
Qu'on ne s'y trompe pas, le peuple tunisien croupit sous le poids des difficultés quotidiennes d'une existence fastidieuse et cruelle. Il ne demande qu'à gravir ne serait ce qu'une petite marche de l'échelle de Maslow, et son engouement pour la "politique", s'il puisse être possible encore de l'appeler ainsi, n'est qu'une manière ou une autre de peupler le vide d'une existence, dans laquelle des dictatures conspirationnistes et une culture ancestrale de médiocrité superstitieuse et fataliste, l'ont jeté.
Merci pour avoir réservé tes pensées au défunt Ezzedine Gannoun
Abel Chater
| 31-03-2015 21:51
Alors que ta bonté te vire vers des pensées sincères à la mémoire du grand homme de théâtre Ezzeddine Gannoun et ceux de la culture tunisienne, ton chef Nizar Bahloul ne réserve ses pensées qu'aux échappements de la nation, comme Borhane Bsaïes et Maya Ksouri.
La différence de cultures est énorme. La différence d'intérêts est remarquable. La différence de perceptions de la réalité est gigantesque. Et même les messages sont différents.
Alors que toi, tu écris pour le public, Nizar Bahloul n'écrit que pour faire plaisir au cercle restreint de ses soi-disant amis. Il pense par cela gagner l'estime des vipères. Il manque encore d'expérience. Il va bientôt se rendre compte, qu'il est impossible de trouver du miel dans une ruche de guêpes.
Les mauvais ne se transforment jamais en de bons et vice-versa.
Le défunt Ezzeddine Gannoun croyait ferme en la Révolution du 14 janvier 2011. Il savait qu'il y a encore beaucoup à faire pour réussir le changement, mais il était à bras ouverts pour la réussite de notre transition démocratique.
La Tunisie a perdu un Grand Homme.
Allah Yarhamou Wa Innâamou, Wa Issabber Ahlahou Wa Dhwih.
Et toi, que le Tout Puissant t'offre santé, bonheur, joie et réussite.
adieu le façonneur des 'artistes...
ameur k
| 31-03-2015 17:27
merci mlle ou mme oueslati pour cet hommage emouvant à si EZEDDINE...paix à son ame et que mme leila la battante continue le combat...
et adieu l'artiste