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Tribunes
A mi-chemin sur la voie d'une assistance sociale inclusive
20/02/2019 | 19:42
5 min
A mi-chemin sur la voie d'une assistance sociale inclusive

Par Ruslan Yemtsov *

 

J’ai eu l’opportunité de travailler sur la protection sociale en Tunisie en 2012. Nous avons noté que les transferts sociaux étaient fragmentés et mal ciblés et que le système de sécurité sociale était insoutenable. Les dépenses importantes consacrées aux subventions alimentaires et énergétiques étaient régressives et occupaient un espace budgétaire important, ne laissant que très peu de ressources pour les transferts monétaires et autres filets de protection sociale. L’absence d’un système d’information permettant d’identifier les ménages et d’avoir une information fiable sur leurs conditions de vie ne favorise pas l’amélioration de la gouvernance des programmes sociaux.

 

Une réponse collaborative entre tous les acteurs qui portent à cœur la cause des plus démunis a été de mise, c’est ainsi que le programme d’assistance technique pour appuyer le gouvernement dans la réforme de protection sociale a vu le jour.

L’objectif du projet était de créer un système national de protection sociale financièrement viable, - et mieux ciblé. Sur le plan technique, il a appuyé la création d'une base de données sur les ménages pauvres et vulnérables et un nouveau système de ciblage, fondé sur l'application des bonnes pratiques internationales. Ces pratiques sont variées, mais partout, les pays visent à avoir les données fiables et mis à jour pour tous ceux qui peuvent avoir besoin d’une aide de l’Etat.

Mais comme dans tous les changements importants il y a des résistances conséquentes et la mise en place d’un système d’information et de gestion des programmes sociaux ne déroge pas à la règle. Le démarrage du projet était lent et avait rencontré une résistance au changement de la part des parties prenantes et une remise en question des nouvelles approches pour l'amélioration du ciblage. Le nouveau système était considéré comme une menace et une charge supplémentaire de travail. Il y avait une préférence de préserver les règles et les processus utilisés et un reniement des erreurs de ciblage.

 

Je suis récemment revenu en Tunisie. Au début, il semblait que les progrès étaient encore assez lents pour avoir un impact. Cependant une conversation approfondie avec des responsables du ministère des Affaires Sociales et une visite sur terrain avec les travailleurs sociaux, responsables de la réalisation de l’enquête sociale, m’ont permis de constater le changement profond dans la politique de protection sociale et les processus de gestion des programmes sociaux.

Grâce à l’introduction de l’usage de la technologie dans la réalisation de l’enquête, notamment l’usage de tablettes, le traitement de l’enquête sociale prend entre 15 minutes et une demi-heure plutôt que plusieurs heures avec les anciennes méthodes.

 

L'enquête a pu approfondir la compréhension des besoins des familles concernées par ce programme et ce qui a élargi les connaissances des travailleurs sociaux et leur capacité à connecter les ménages aux services adéquats. Résultat, les travaux sur la nouvelle formule d'éligibilité progressent !

L’utilisation des nouvelles technologies a modifié le processus d’interaction entre les citoyens et les structures de l’État, réduit le temps nécessaire à l’identification des besoins et des conditions des ménages et établi un climat de confiance. Elles permettent donc d’améliorer considérablement l'efficacité de l'administration. Cependant, ceci nécessite une définition claire et une harmonisation des processus tout au long de la chaîne de prestation d'un programme social et une transparence et précision dans la détermination de l’éligibilité et l’attribution d’avantages.

Par le biais des informations de terrain, nous avons pu comprendre que de nombreuses personnes pauvres et vulnérables sont systématiquement exclues par les règles qui reflètent d'anciennes idées préconçues, plutôt que par des preuves objectives. Par exemple, la présence d’une personne active dans une famille exclut l'éligibilité de tous ses membres, même si son travail leur fournit un revenu très faible. Les allocations familiales ne sont versées que pour les trois premiers enfants, ce qui réduit l'aide à de nombreuses familles pauvres qui ont plus d'enfants. À Béja, nous avons vu que seulement 15% des candidats au programme remplissaient les conditions d'éligibilité restrictives et passaient sur les « listes d'attente », tandis que d'autres restaient complétement exclus.

 

En dressant un inventaire de tous les pauvres et vulnérables potentiellement éligible dans leurs localités, les travailleurs sociaux développent la motivation nécessaire pour inclure davantage de personnes dans le système. Dans la ville de Béja, le responsable du bureau local a déclaré que le nombre de bénéficiaires dans le PNAFN serait facilement doublé s'il y avait un changement judicieux dans la détermination de l'éligibilité. Un tel message était inconnu auparavant.

Actuellement, près de 600.000 familles sont identifiées et enregistrées dans le nouveau système. La nouvelle base de données n’est pas une simple liste de bénéficiaires, mais un nouveau registre social avec des informations sur plusieurs dimensions de la pauvreté et des privations pour les bénéficiaires actuels et potentiels. Elle utilise un identifiant social facilitant l’interopérabilité avec d'autres bases de données.

 

Cependant, de nombreux défis demeurent. Pour commencer, fin mai 2019 l'enquête sociale sera finalisée pour 400.000 ménages, soit moins de la moitié d'un total de 900.000 ménages bénéficiaires (30% de la population). Le lancement de la stratégie de communication et de sensibilisation pour le programme AMEN social facilitera la compréhension de la population et des parties prenantes et améliorera le ciblage, mais nécessite une période de mise en œuvre effective sur le terrain pour produire des résultats.

Nous sommes plus qu'à mi-chemin sur la voie d'une assistance sociale moderne, dynamique, inclusive et adaptative en Tunisie. C’est là où la mise en application de la nouvelle loi sur la protection sociale (Loi Amen) devient une urgence. La publication des textes d’application et l'avancement des travaux techniques permettront de poursuivre la réforme de la protection sociale et constitueront des bases pour une nouvelle approche de ciblage.

 

L'élan politique et les demandes de soutien pour des réformes ambitieuses dans d'autres secteurs (réformes des subventions alimentaire et énergétique) permettront de dégager davantage de ressources pour améliorer la couverture des programmes sociaux. Aussi une meilleure coordination entre les différents secteurs permettrait de concevoir et de mettre en œuvre des programmes intégrés favorisant l’inclusion socioéconomique et le développement du capital humain.

 

* Ruslan Yemtsov est économiste principal et chef d’équipe pour la protection sociale à la Banque mondiale.

20/02/2019 | 19:42
5 min
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Commentaires (4)

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J.trad
| 21-02-2019 16:51
Les 70% ,en '?ufs frais ,en productions maraîchères ,en fruits et légumes ,et en beaucoup de production artisanales ,qui ne coûte rien en énergies //// la tante paternelle de ma mère ,un peu avant la guerre mondiale ,vivait dans la région de la Manouba , elle produisait toute la nourriture de sa famille ,sans avoir recours à aucun commerce ou produits agricoles ,elle fabriquait tout ce dont elle avait besoin comme ustencils de cuisine et autre pour tissage ,et mobilier ,c'est chose courante avant la révolution industrielle ,elles avait beaucoup d'enfants aussi habiles qu'elle ,la campagne était bien peuplée ,les femmes se débrouillent à la perfection ,les moyens de transports ,il faut une institution spéciale ,pour montrer comment le peuple était beaucoup plus robustes

ameur k
| 21-02-2019 12:10
un bon article claire et donnant de l'optimisme car c'est de cette façon qu 'il faut traiter les vrais pbmes sociaux de la pauvreté loin du bavardage ennyeux ou de l'integrisme religieux qui appauvrit encore plus les pauvres et ne leur donne rien de concret
encore bravo pour ce programme de "AMEN SOCIAL " : il faut aller jusqu'au bout et pourquoi pas faire intervenir les "OMDA" dans les régions rurales reculées pour pousser les pauvres à se manifester et se faire connaitre parceque bcp de vieux et vieilles sont désespérés voir blasés ...il faut que l'adminisration locale aille les chercher là ou ils sont. les spots publicitaires à la telé sont insuffisants

Dhekra Belwafa
| 21-02-2019 10:11
Bonjour,
En lisant cet article j'ai eu beaucoup d'espoir.
un des objectif de la révolution tunisienne était justement de mettre en évidence la pauvreté dans certaines régions et les périphériques des bon lieus. Plusiers jeunes sont morts en manifestant contre la faim le chômage et la marginalisation de l'Etat. Les enquêtes de la banque mondiale et d'autres institutions doivent continuer pour soutenir différents secteurs. Le taux de pauvreté et d'inégalité comme dans tout les pays est important mais ignoré. Le partage des richesses est perçue comme du vol. le détournement de fond vers l'étranger . les richesses minières détenues par des contrats qui doivent être revus.

Houcine
| 20-02-2019 23:10
L'opacité des dispositifs, le manque de transparence ajoutés aux difficultés d'accès aux droits existants qui parfois sont dûs à l'ignorance ou aux réflexes coutumiers comme la honte et le souci du quant à soi et de sa dignité rendent le sort des usagers ou bénéficiaires peu enviable.
Il faut, et sans doute cela n'est ignoré de personne, transformer les modes opératoires des bureaucraties aussi bien que leur rapport aux administrés. Et, il y a un chantier à investiguer en même temps qu'à refaçonner, pour ne pas dire refonder.
Enfin, le subventionnement de nombre de consommables profite universellement et on aurait bien besoin d'en réorienter judicieusement le bénéfice au seul profit des nécessiteux même si un tel choix risque le reproche de rupture d'égalité entre citoyens, car au fond cette rupture et même fracture existe de fait seulement au détriment des mêmes.
Bref, je souhaite bon courage à la Banque Mondiale et veux bien croire à la vertu de ses préconisations et actions. Sinon, les pauvres peuvent attendre encore et de ce point de vue l'expérience nous instruit de leur patience et endurance... au malheur.