A la fesse du client
Quatre jours de vacances pour l’aïd, sans travail, sans production et sans productivité. Pour remplir ces journées, outre le buzz créé de toutes pièces par Mohamed Ali Nahdi qui a réussi à bien faire parler de lui et sortir des oubliettes, il y avait les morts du pèlerinage de la Mecque avec les cadavres entassés comme du bétail par les Al Saoud, et l’affaire du jeune tunisien condamné à un an de prison pour homosexualité.
Les deux sujets ont été bien décortiqués par Synda Tajine et Sofiène Ben Hamida qui ont dit ce qu’il y avait à dire dans leurs chroniques hebdomadaires. Faut-il s’y attarder davantage ?
Au vu des nouvelles donnes survenues, communiquées ce matin même du lundi 28 septembre 2015, il faudrait bien.
Dans un premier temps, l’avocat de l’homosexuel a communiqué une partie de l’affaire en déclarant que son client a été victime de l’article 230 condamnant à un an de prison l’acte sexuel entre personnes du même sexe. Partant, toute une polémique a été déclenchée (et à raison) contre le ministère de l’Intérieur, les magistrats (procureur, juge d’instruction et juge) et le médecin légiste.
La version donnée ce matin par le ministère disculpe les forces de l’ordre et le médecin légiste. Ils étaient sur une affaire de meurtre et c’est tout à fait normal qu’ils procèdent ainsi, puisque l’enquête l’exigeait. L’homosexuel tenait, lui-même, à être ausculté afin d’être disculpé de l’accusation de meurtre. Les agents de la brigade spécialisée ont agi à charge et à décharge et il fallait vérifier les propos du suspect, en dépit de ses orientations sexuelles. C’est d’ailleurs cet examen anal qui a permis aux enquêteurs d’aller plus loin et d’arrêter ensuite le véritable meurtrier.
N’empêche, cette affaire a permis de jeter sur la place publique le débat sur l’homosexualité et le fameux article 230 qui la condamne. Bien qu’il ait été disculpé du meurtre, le bonhomme s’est retrouvé quand même condamné. Non pas pour prostitution, mais pour pratiques homosexuelles et la base de sa condamnation était une expertise médico-légale ordonnée dans une autre affaire totalement différente.
L’idée même de savoir qu’il y a, aujourd’hui, dans nos prisons un compatriote détenu pour ses orientations sexuelles a de quoi justifier tout acte de protestation, en dépit des nouvelles donnes survenues ce lundi matin, plusieurs jours après les faits. Non seulement, nous ne vivons plus au Moyen-âge, mais nous vivons en plus une soi-disant révolution qui, en théorie, défend la dignité laquelle a été inscrite dans la Constitution et a été ajoutée à la devise de la République pour devenir : « Liberté, Dignité, Justice, Ordre ».
Pourquoi donc appliquer et défendre l’article 230 du code pénal quand on sait qu’il est devenu anticonstitutionnel et anachronique ? On devine rapidement la réponse, certains de nos compatriotes vivent encore, dans leur tête, au Moyen-âge. Ce n’est pas leur homophobie qui dérange, ils sont libres de détester qui ils veulent, mais c’est leur irrespect de la liberté des autres qui horripile et qui est carrément anticonstitutionnel.
Dans un pays normal qui se respecte, pareil comportement de la justice aurait dû provoquer la réaction immédiate du monde politique. L’opposition aurait profité de l’occasion pour crier au scandale et dénoncer le régime autoritaire et dictatorial qui s’immisce dans l’intimité des citoyens et réduit leurs libertés. Le pouvoir en place aurait réagi immédiatement pour se dédouaner de tels actes, dénoncer et sanctionner les responsables. Ne serait-ce que pour sauver les apparences.
En Tunisie, rien de tout cela n’a été observé et la raison est connue : l’homosexualité, et la sexualité tout court, sont des sujets des plus tabous en Tunisie. Pouvoir et opposition craignent de heurter la sensibilité des citoyens en évoquant publiquement ces sujets. Ils craignent surtout d’être « accusés » de défendre les homosexuels (au risque d’être assimilés à eux, une infamie !) et de perdre quelques sympathies.
Le silence du monde politique face à ce scandale judiciaire et médical a été cassé par quatre exceptions, les jeunes du Massar, le parti Al Qotb et les personnes de Bochra Belhadj Hamida et Moncef Marzouki.
Si Al Qotb et la députée Belhadj Hamida n’étonnent personne par leur réaction chevaleresque, le silence du Massar sonne étrange. Où sont donc Samir Taïeb, Fadhel Moussa et Jounaïdi Abdeljaoued qui, en d’autres temps, auraient fait tous les plateaux télévisés pour dénoncer ce scandale ? Pourquoi sont-ils soudain devenus moins courageux que leurs jeunes ? Pour un simple projet de loi, ils ont arpenté les trottoirs, mais pour un fait immonde, à cause duquel un Tunisien se trouve derrière les barreaux, ils deviennent silencieux.
Nos hommes politiques ne possèdent finalement pas le courage qu’ils prétendent avoir, car il en faut vraiment pour affronter la « populace rétrograde, conservatrice et homophobe ».
Le zeste de cette « populace » s’observe dans le public de Moncef Marzouki. L’ancien président tunisien a été lynché sur sa page Facebook après sa réaction dénonçant la condamnation de l’homosexuel. C’est la deuxième fois, en 48 heures, qu’il se fait « lyncher » par son public. La première fois, c’était suite à un appel aux autorités saoudiennes de pardonner Ali Nemr, un jeune condamné à mort pour avoir critiqué le régime monarchique, alors qu’il était mineur au moment des faits.
Moncef Marzouki s’est donc fait lyncher deux fois par son public. Il y en a même un, parmi les lyncheurs, qui avait Moncef Marzouki comme photo de profil. On lui reproche de défendre les homos et de s’inscrire contre la loi divine.
Avec ses deux réactions, on retrouve le Marzouki d’antan, celui qui défend les libertés et les droits de l’Homme. Celui qui a le courage de dire les choses en face, quand les autres politiques jouent aux autruches. De nouveau, il retrouve ses « couilles » pour être là aux côtés des causes justes.
Que l’on ne s’y trompe pas, Moncef Marzouki est celui-là même qui justifiait la détention de Jabeur Mejri, emprisonné pour blasphème, en disant qu’il est en prison pour sa sécurité. Mais à l’époque, il était au pouvoir et c’est là où le bât blesse.
Nos hommes politiques ne défendent pas les droits de l’Homme et les libertés pour la cause qu’ils représentent, mais pour le dividende rapporté. S’il n’y a rien à tirer, on murmure quelque chose pour sauver les apparences. Mais s’il y a une perte à enregistrer, on se tait. C’est pour cela qu’on observe actuellement un silence total des hommes politiques dans cette affaire, y compris chez les chantres des libertés. La liste est longue, elle commence par Al Massar et finit par le CPR en passant par le Front populaire, Al Joumhouri et Attayar. Pour ne pas être accusés de s’inscrire contre la volonté de Dieu ou contre le courant ambiant imposé par la société rétrograde, on s’inscrit aux abonnés absents.
Quand on prétend défendre les libertés, on ne choisit pas la cause, on les défend, point. Même si cela risque de vous couter politiquement des points sur le court terme.