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Vers une République des opportunistes ?
24/09/2011 | 1
min
Vers une République des opportunistes ?
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Par Hédi Sraieb *

Les représentativités nationales n’en finissent pas de se couper de leurs peuples.
Le principal parti du monde du travail et de l’effort est bien hélas celui de l’abstention.
Le vrai pouvoir s’éloigne de plus en plus du citoyen, de ses préoccupations immédiates comme de ses attentes. Les démocraties sont malades de la dépossession des peuples à véritablement disposer d’eux mêmes, à contrôler les attributs de leur souveraineté.
La Grèce a ses trucages, L’Italie, ses scandales du condottiere, la France ses valises et ses évadés fiscaux…..

Contentons nous pour l’heure d’une explication simple, journalistique, mais qui tente d’aller à l’essentiel, et qui se résume en deux dérives (tendancielles) qui s’alimentent l’une l’autre : l’adhésion volontaire ou contrainte à un mode de production et de vie marqué par le retour en force du libéralisme ravageur et la personnalisation et technisation de la vie politique des Etats, dans tous ces rouages et appareils.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Cette double dérive a une date : celles des années 85, avec l’arrivée simultanée de M Thatcher et R Reagan « aux affaires ». Amnésie des uns.
Depuis, cette double dérive s’est largement propagé de part le monde au point d’avoir réussi à être inoculée, comble d’ironie au seul régime communiste de la planète : la Chine.

Il serait bien trop fastidieux de décliner chacune de ces deux tendances, dans la profusion de leurs conséquences :
- du coté du régime économique, les crises à répétition, les destructions massives d’emplois industriels et leur corolaire un chômage massif permanent, l’apparition de nouveaux pauvres, et plus généralement la précarité généralisée, baptisée pudiquement flexibilité, quand ce n’est pas aussi, la prédation et la corruption consubstantielles à cette dérive.
- du coté du régime politique, un recul massif de l’Etat sous prétexte d’inefficience, auquel il faut appliquer toutes sortes de potions : Les privatisations, les baisses d’impôts et bien d’autres choses jusqu’au « cantonnement » à la seule fonction de régulateur. Désuet, ringard « l’Etat-providence ». Non, simplement « mémoire sélective »

Peu ou prou, nous avions fini par nous en convaincre nous mêmes, ce que certains ont baptisé « la fin de l’histoire », l’indépassable chômage endémique, l’accaparement de la scène politique par une nouvelle « real politik » du tandem médiatique-politique, quasi indifférenciés de l’universitaire docte de l’économie télévisuelle, au politicien star peopolisé et audimaté; au point de transformer les parlements en chambre d’enregistrement, quand ce n’est pas un éloignement, encore plus loin, des centres de décision, vers d’obscures commissions. Nous avions peu à opposer à ces impérieuses nécessités rabâchées à longueur de temps par les professionnels de la politique et leur porte-voix complaisant de toutes sortes de médias : la compétitivité, la flexibilité, la gouvernance, et réussir ce tour de force, magique et étonnant, de faire admettre que l’économie était chose indépendante et sérieuse qui ne pouvait rester entre toutes les mains et, qu’il valait mieux la confier à des experts avisés, directoires et conseils affublés de techniciens compétents et méritants, à tous les échelons, tant dans l’entreprise que à la direction des affaires d’un pays. Un mouvement « d’omniscience » sans précédant devant des peuples sans voix. Exit les idéologies !

Ce que nous évoquons ici va bien évidemment aussi pour la Tunisie, avec cette originalité propre et partagée par la région : la dérive prédatrice et tyrannique.
Débarrassé de cette gangrène, de cette ivraie, nous disent bien trop de partis et d’indépendants, il restera le bon grain. Voilà bien de quoi se réjouir !
Mais chose étonnante, ceux en place provisoirement comme nombres de ceux qui prétendent gouverner se sont affublés des mêmes oripeaux, des mêmes tics, des mêmes codes langagiers, des mêmes logiques,….mimant à souhait, mais de bonne foi, reproduisant les mêmes travers et perversions de manière étonnante pour ne pas dire hallucinante, que leurs prédécesseurs, comme aussi de leur vis-à-vis à l’étranger…. pour le plus grand « bonheur » de l’intelligentsia raisonnable . Des représentants de nombreuses couches sociales « partiellement » épargnées qui s’y croient, à l’évidence, fascinées par cette pseudo-technicité, pour ne pas dire « enfermées et aliénées » par des problématiques et des paradigmes inchangés : de la relance, du chiffrage de programmes, des thématiques sectorielles du développement. Pas l’ombre d’une vision globale !
Pas un seul qui ne se soit pas converti au keynésianisme (1) : lutter contre le chômage, nécessite la reprise de la croissance, laquelle exige la mobilisation d’investissements massifs créateurs de nouvelles entreprises d’initiative privée, encadrées par des infrastructures renouvelées…le tout débouchant sur de nombreuses créations d’emplois. On croit rêver. Pas du tout. L’enfermement est total sous l’égide d’un réalisme du « on est petit », « on ne peut pas tout faire » et de la sacro-sainte règle du chiffrage équilibré. Que de poncifs ! On ergote sur le taux de croissance, 1 point de plus ou de moins, qui réduira le chômage d’un point de plus ou de moins. On se déchire sur la participation de l’étranger, aide et investissement directs, financement oblige. Pour faire simple et en raccourci la réactualisation mise au goût du jour des recettes qui nous ont précisément mené dans le mur, oubliant de repartir des messages limpides de cette révolution « Dignité, Travail, Liberté », traduisons « Partagez ! »

Si vous avez encore un doute je vous invite à revisiter et à comparer simplement les programmes du plan Jasmin, à celui de partis-phare étrangement similaires dans leur formulation comme dans leur attendu, construits le plus souvent sur des chiffres tronqués, partisans, absents, reflétant de pseudo réalités partielles et partiales. Tous peu ou prou sont de la même veine, marqués des signes du renoncement de la pensée, de l’abdication de l’intelligence face à l’impériosité de la mondialisation, de la financiarisation, de la marchandisation …bref d’une seule et même logique désastreuse.
Pire, certains de ces programmes disent -en creux- recouvert de technicité sophistiquée (modélisation multisectorielle d’équilibre) d’autres choses : allégeance à un système généralisée sur la planète, complicité avec les sphères modernistes hégémoniques et dirigeantes du déclinant occident : Ne vous inquiétez pas, nous adhérons à vos visions et attentes, nos intérêts concordent, pas d’inquiétude nos préoccupations sont ailleurs. Faut-il développer plus : la complicité duplice est là, entre les lignes, sous les lignes savamment concoctée, sous les apparences du réalisme incontournable du programme ambitieux qui n’a au final cette caractéristique que le nom. Abdication de la volonté, aliénation de la réflexion à la pensée dominante, renoncement au possible, intériorisation consentie du fatalisme de la précarité, du chômage, de l’endettement et des investissements étrangers, dans une logique du « périphérique » (S. Amin) qui croit pouvoir sauver les meubles au grand dam des attentes réelles et limpidement exprimées par ce peuple et sa révolution. Peuple qui dit pas vos emplois on en crève, mais du travail et du pouvoir sur nos destinées.

Oui, une République des Opportunistes, cédant pour faire bonne figure au plus vulgaire des populismes, cédant aussi sur le formalisme abstrait des libertés constituantes, près. Cette République, celle du « marais » se profile à l’horizon, si l’on n’y prend pas garde. Les variantes, autoritaires à un bout, plus légitimistes à un autre, s’empoignent pour le siège sous le regard attendri des grands de ce monde, qui veille au grain, les opportunistes se gardant bien de débusquer et de révéler au grand jour ces mêmes mécanismes qui ici comme la bas conduisent régulièrement au désastre, et qu’ils ont fini par faire « leurs » et de dire aux naïfs qui viendraient à douter et à vérifier : Touchez pas à l’essentiel, aux lois économiques (sic), à l’économie de marché (autre sic) et au cortège de la dramaturgie lénifiante qui va avec : compétitivité, si on l’aide, l’initiative privée (autre sic) nous sauvera. Que de médiocrité cynique !
Que de mensonges éhontés ! Que de dénis de notre propre histoire sociale ! Que d’abandons et de renoncements ! Les arrivistes de tous poils semblent tenir le haut de la rampe…prêt à tout pour servir les lignes de démarcation.
Il y a encore certes quelques ilots de lucidité, de clairvoyance, de courage, de volontaires pour aller à contre-courant. Espérons qu’ils reviendront en force, conquérants, enthousiastes, perclus du bien public, avec autre chose que « cette soupe » indigeste, nocive, toxique à souhait….

Rompre avec ces mécanismes reproducteurs d’inégalités, certes différenciées, de précarité, d’inégales dotations d’accès renouvelées : à l’éducation à la santé à la culture…la liste est bien plus longue. Non juste du saupoudrage d’aide aux hommes et femmes, aux régions défavorisées…Rompre ? Vous n’y pensez-pas !
Incongru le plein emploi pour tous, l’éradication de la pauvreté, à l’horizon de 15 ans, de 3 plans successifs ? Chimère ou utopie de commencer d’abord par compter sur nos propres forces en instaurant une « austérité vertueuse » ? Baliverne, de redemander un Etat puissamment réarmé, renouvelé dans ses « élites », au service du bien public ? Fantasme, rêve, illusion, de vouloir aller vers une autosuffisance alimentaire et énergétique, de vouloir revivifier une économie vivrière, de redonner vie à des modes de productions autonomes, familiaux, de proximité…aux antipodes du modernisme de la technologie et du solvable.
Voilà bien des questions qui mériteraient d’être reposées à la myriade d’anciens et de nouveaux experts fascinés, par la solvabilité marchande, le chiffre, l’indicateur, oubliant la viabilité, le non chiffrable qui produit pourtant du mieux être….Le piège est tendu, bons nombres y tombent.
Politiques et indépendants, ressaisissez-vous….rien n’est perdu, il est encore temps.
A bon entendeur, salut…..le peuple vous attend dans deux ou trois ans.

(1) : Keynes n’a qu’un seul et unique souci : celui de sauver le système contre ce même libéralisme borné

*Hédi Sraïeb est docteur d'Etat en économie internationale et consultant international auprès de plusieurs institutions dont la Banque Mondiale, la Banque européenne d'Investissement, la Banque islamique de développement, la Commission européenne...

24/09/2011 | 1
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