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Tribunes
Une société qui souffre, un pouvoir qui se cherche…
05/02/2013 | 1
min
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Par Yassine Brahim

Les Tunisiens souffrent. Leur niveau de vie baisse. Les perspectives d’avenir proche sont sombres. Les jeunes ne voient aucune lueur d’espoir pour sortir du chômage et retrouver une fierté.
La révolution a révélé l’ampleur de la pauvreté dans notre pays. La révolution a exposé le poids des injustices sociales dans notre pays. La révolution a dévoilé à quel point kleptocrates et corrompus ont profité du système.
L’ampleur des dégâts est telle que les réparations et les corrections ne peuvent certes pas s’opérer du jour au lendemain, mais une volonté politique claire pour le faire doit être perçue pour reconstruire la confiance perdue entre le citoyen et l’Etat.
Nous avions ressenti cette lueur d’espoir lors de l’exercice du pouvoir du gouvernement de transition d’avant le 23 Octobre 2011. Cegouvernement ainsi que toutes les instances provisoires ont couronné leur travail par l’organisation des premières élections libres et transparentes dans notre pays. Ses relations internationales étaient au beau fixe, de nos voisins les plus proches aux pays les plus lointains. Tout le monde a émis le souhait d’aider ce petit pays qui a généré une vague d’espoir dans la région et bien au delà.

Les résultats des élections ont surpris plus d’un. Après une petite hésitation, la communauté nationale et internationale a donné le bénéfice du doute à la capacité évolutive du courant politique vainqueur. Certains se sont tournés vers la Turquie ou la Malaisie où le pouvoir est géré par des partis idéologiquement proches et où l’expérience est considérée plutôt positive. Beaucoup considèrent que s’il y a un pays arabe où les islamistes peuvent démontrer qu’ils sont réellement démocrates, par son emplacement et son ouverture sur la Méditerranée, c’est bien la Tunisie.
Cependant, ces élections n’étaient pas des élections parlementaires. Et pourtant, le parti gagnant s’est très rapidement comporté comme s’il avait pris le pouvoir pour au moins cinq ans. Au lieu de s’attaquer aux problèmes les plus urgents, le parti déroule un plan de prise de pouvoir dans tous les rouages de l’administration et des sociétés étatiques. Ce plan étant motivé autant par le placement/remerciement des fidèles et des militants qui demandent aujourd’hui compensation, que par la recherche de la garantie de mettre toutes les chances de son côté pour les prochaines échéances électorales. La compétence ne peut dans ce cas être toujours au rendez-vous alors que le pays ne peut pas se permettre d’être mal géré dans un contexte national et international très difficile économiquement.

Par ailleurs, dans une période constituante, le parti au pouvoir doit se comporter en fédérateur cherchant un consensus national sur les sujets qui vont mettre les fondations de la deuxième république. Et c’est là que se dévoile la plus grande limite de ce mouvement. Les réflexes d’une organisation sociale secrète persistent. Le niveau de confiance en autrui est très limité et il commence même à s’effriter entre les courants qui le composent.

Ensuite, c’est un parti qui a un projet qui est avant tout théologique avant d’être politique. Il a donc beaucoup de mal à s’entendre avec les séculaires, entre autres sur la constitution. Je rappelle que M. Erdogan, lors de sa visite en Tunisie en 2011, a précisé que son parti a pu gagner la confiance du peuple turc car il avait basculé en 1994 en ne croyant plus du tout en un Etat islamique et que l’Etat doit rester séculaire.
Enfin, le feuilleton du remaniement ministériel est vraiment une mascarade pour le pays. Le gouvernement actuel ayant fait voter une loi des finances à l’ANC, la marge de manœuvre du gouvernement remanié est, de ce fait, très limitée en ce qui concerne la gestion des affaires du pays. Ce remaniement n’aurait donc qu’un sens politique. Etablir les vraies conditions de réussite de cette phase de transition devrait être son objectif : remettre l’indépendance des ministères de souveraineté à l’ordre du jour telle que le nécessite cette période, régler les différends sur la constitution, instaurer les instances provisoires sur la Justice et les médias, corriger les erreurs sur les nominations partisanes dans l’administration et les sociétés publiques et enfin se mettre d’accord avec tous les partis sur un calendrier clair et transparent amenant à une date des élections qui soit votée à l’ANC.

Au lieu de rechercher un consensus national, le parti au pouvoir a fait des calculs électoraux en essayant d’attirer vers lui d’éventuels futurs alliés et les députés qui peuvent lui garantir une majorité à l’ANC pour pouvoir continuer à gouverner à sa guise durant cette phase de transition. Les deux partis qui le complètent à la Troïka montrent actuellement leurs dents.
L’année 2012 a démontré que malgré toutes les violations de l’accord politique et moral, le summum ayant été l’affaire Baghdadi, ces partis ont toujours fini par considérer qu’ils avaient plus à perdre qu’à gagner à quitter cette Troïka, ils font eux aussi un calcul purement électoral qui les rend peu crédibles dans leur démarche actuelle. Les groupes qui veulent rejoindre la Troïka cherchent les lumières à travers le pouvoir exécutif pour quelques mois, ce que je peux comprendre, mais ils doivent appréhender les frustrations qu’ils vont vivre comme les ont vécues beaucoup de députés des deux autres composantes de la Troïka qui ont fini par quitter leurs partis.
Le consensus national est global ou n’en est pas un. Quand il est partiel, c’est une alliance. Et une alliance à 6 ou 9 mois des élections ne peut être qu’électorale. Ils ne peuvent pas refaire la même tromperie que celle qu’a faite l’un des partis de la Troïka pour le 23 Octobre 2011 avec ses électeurs…
Pendant ce temps là, les Tunisiens se demandent ce que fait leur élite politique alors qu’eux non seulement ils ne voient pas leur situation s’améliorer mais ne voient aucun investissement se faire et de vrais emplois se créer car la situation politique est instable…

Le parti au pouvoir est donc devant un choix important pour son avenir et l’avenir du pays. Va-t-il continuer à être tourné vers son projet idéologique et essayer des passages en force sur la constitution ? Va-t-il composer et faire des compromis sur les conditions de réussite de la phase de transition ou va-t-il continuer à se comporter comme un parti dominant de la scène politique à l’image des résultats du 23/10/11 alors que le paysage dans l’opposition évolue très vite?

L’opposition progressiste a tiré les leçons du 23 octobre et s’est organisée. Elle a commencé par faire plusieurs regroupements au sein des partis et est maintenant passée à la vitesse supérieure en montant les alliances politiques et électorales. Les progressistes jouent la carte d’une Tunisie libre, ouverte et démocrate, dans le cadre d’un Etat civil et de droit. Ils ont démontré qu’ils sont une force de proposition toujours ouverte au dialogue. Les islamistes ont des extrémistes qui ne croient pas en la démocratie. Les violents d’entre eux doivent être condamnés.

Personne ne volera la révolution de nos jeunes qui se sont sacrifiés pour que nous puissions amener ce pays dans le camp des pays prospères, libres et démocrates. Progressistes et Islamistes ont actuellement une responsabilité commune, le dialogue doit être la règle pour cette phase de transition et la compétition pacifique sur le projet de société et les programmes sociaux et économiques pour la future Tunisie vont faire la différence pour les prochaines élections.

* Ancien ministre du Transport et de l’Equipement et actuel Secrétaire exécutif d’Al Joumhouri

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