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Tunisie - UE : Partenaire privilégié…Ni partenaire ni privilégié ?
20/11/2012 | 1
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Tunisie - UE : Partenaire privilégié…Ni partenaire ni privilégié ?
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Le 19 novembre 2012 est un jour à marquer d’une pierre blanche pour la Tunisie, elle accède, enfin, au statut de partenaire privilégié de l’Union Européenne. Statut langui, cependant, au processus lent et endigué durant des années par la fameuse question des droits de l’Homme du temps de Ben Ali.
Ainsi l’accord entre la Tunisie et l’UE a-t-il été signé à l’occasion de la 9ème session du conseil d’association tuniso-européen, tenue le lundi 19 novembre à Bruxelles sous la coprésidence de Rafik Abdessalem, ministre des Affaires étrangères tunisien, et Štefan Füle, commissaire à l'élargissement et à la politique européenne de voisinage, et en présence d’Erato Kozakou-Marcoullis, ministre chypriote des Affaires étrangères.


Cet accord prévoit une consolidation de la coopération entre les deux parties prenantes ayant trait à divers domaines, à savoir : la recherche scientifique, les affaires sociales, la circulation des personnes (en la facilitant par le biais d’une approche globale concernant la question de l’immigration), la création d’emplois (notamment dans les régions démunies) ainsi que l’aide financière. Bref, l’UE s’engage envers la Tunisie, sur une période de cinq années, à lui apporter l’assistance technique et financière à même de hisser les secteurs de l’économie nationale et par ricochet, ériger la position de la Tunisie dans la sphère méditerranéenne. De quoi nous en mettre plein la vue !

Les résultats escomptés de ce partenariat se dessinent sur trois grandes lignes : le doublement des aides financières, l’accessibilité des produits agricoles au marché européen et la promotion des industries tunisiennes. Et c’est congrûment, ce croquis qui pose un franc souci pour une jolie frange d’économistes et de politiciens de chez nous. Voici le scénario appréhendé par ceux-là : ce partenariat embrassant davantage l’annonce politique, a de grands airs de contrecarrer la réformation du tissu économique. Et ce n’est guère les arguments qui manquent : du côté du secteur agricole, et eu égard à l’état des lieux actuel, les produits que la Tunisie pourra exporter sur le marché européen ne seront nullement compétitifs. Sachant que l’agriculture fait vivre plus de 12% de la population, ce secteur assume deux rôles : économique et social. De ce fait, il pèse lourd dans l’assiette économique nationale, et accuse, pourtant, un manque criant de structures de financement et de progrès technique.

La Tunisie ne devra donc souffrir aucun compromis sur la question de l’agriculture, à défaut de quoi, l’emploi en pâtira, et le système social sera déséquilibré. En 1995, lorsque la convention de la zone de libre-échange a été signée entre la Tunisie et l’UE, une étude prospective sur l’impact de ce partenariat sur l’agriculture, a été menée. Le but étant de palper les différents risques encourus et dénicher les remèdes nécessaires, si moyen est. Seulement voilà, pour le statut de partenaire privilégié, aucune autorité de tutelle n’a daigné entreprendre des enquêtes types, par surcroît, dans le contexte d’une conjoncture économique nationale et internationale sujet à caution.

Hamma Hammami, porte parole du Front Populaire, qui a, à ce titre, organisé une manifestation contre l’accord du statut privilégié devant la Kasbah, a crié haut et fort son refus de cet accord, en l’occurrence sur le plan de la forme. Selon M. Hammami, un gouvernement provisoire n’est pas habilité à négocier des accords stratégiques qui engagent la Tunisie sur le long terme. Bien entendu, le fait que l’ensemble des partenaires sociaux n’aient pas été consultés au préalable dans les négociations de l’accord, a de même été motif de contestation.

Un autre secteur est également en ligne de mire, celui des services. La Tunisie est appelée, dans le cadre du partenariat privilégié, à libérer le secteur des services, en ce sens que des entreprises européennes auront la possibilité d’y accéder. Ainsi pourront-elles, à titre d’exemple, répondre à des appels d’offre en Tunisie. Néanmoins, la réciprocité dans ce cadre ne peut être vérifiée. Comment ? En fait le secteur des services en Europe est difficile à libérer en l’absence de la liberté de circulation des personnes. S’ajoute à cela, la complexité de l’obtention des visas pour les entreprises tunisiennes afin qu’elles puissent s’installer sur le marché européen.

Contrairement au Front Populaire et ses partisans, Mahmoud Baroudi, député de l’Alliance démocratique, a salué, lui aussi haut et fort, la signature de l’accord du statut avancé. Il déclare sur les ondes d’une radio régionale que : « C’est un statut exceptionnel, qui nous honore, cela prouve que nous avons réalisé des progrès, malgré les difficultés qui ont jalonné le pays. Je le considère comme le couronnement du processus révolutionnaire du peuple tunisien ». M. Baroudi ajoute, en outre, que l’attribution à la Tunisie du statut d’observateur au sein du Conseil d’Europe ne peut être qu’une fierté pour l’ensemble des Tunisiens ainsi qu’une opportunité à ne pas laisser filer pour eux, en s’appuyant sur la question des droits de l’Homme.

Par ailleurs, il a été question d’un don pour la Tunisie, toujours dans le cadre de l’accord, et un don pas des moindre : 68 millions d’euros. Et ce n’est pas tout. Car, chaque année, la Tunisie pourra bénéficier d’un soutien financier variant entre 400 et 600 millions d’euros. Cette somme colossale représente un renflouement des caisses de l’Etat d’un ordre « privilégié », et le budget de l’Etat bénéficiera de ses conséquences, plutôt généreuses.

Et c’est là que nous serons tentés de nous demander : « où est le défaut alors ? » Parce qu’en harpant les lignes de l’accord du statut privilégié, nous comprenons que c’est « tout bénef » pour la Tunisie et l’économie nationale. Toutefois, le bémol est là, bien présent : l’Union européenne affiche un intérêt particulier à la Tunisie et aux pays de la région méditerranéenne, craignant les perturbations d’ordre politique et social, par surcroît. L’Europe mise gros sur le fleurissement de la croissance économique dans la région, en vue de réduire les disparités sociales et le taux de chômage, ce qui fermera la porte à l’immigration. Oui, car l’Europe ne veut plus s'ouvrir à nos immigrés, qu’ils soient légaux ou clandestins d’ailleurs. Bien que le quota fixé par l’UE en termes d’immigration n’ait jamais été atteint, le flux migratoire a encore, selon l’Europe, besoin d’être maîtrisé.

Force est de constater que si par le passé, l’UE hésitait à nous accorder le statut de partenaire privilégié à défaut de la question des droits de l’Homme, la Tunisie aurait dû emprunter son attitude quant à la question de l’immigration, sur laquelle, il semblerait que l’Europe ne fera pas de concessions.

Le statut de partenaire privilégié était une jolie invention d’Angela Merkel, chancelière allemande. Se trouvant entre le marteau du refus de l’Europe de l’adhésion de la Turquie à l’Union et l’enclume de la Turquie qui mettait un point d’honneur à insister sur la reconnaissance de son adhésion, la première femme à être devenue chancelière du gouvernement allemand a pioché le concept de partenaire privilégié. Alors que le chef de la diplomatie allemande ne connait ni ne reconnaît le contenu du statut avancé. D’ailleurs, un des membres du gouvernement allemand avait même déclaré à l'époque « qu’il n’y a ni partenaire, ni privilégié. »

Les avis demeurent mitigés sur le statut du partenaire privilégié. Cinq années d’engagement, des feuilles de routes en cours d’élaboration, des traits d’horizon pas suffisamment clairs, et point d’orgue : la situation politique, économique et sociale en Tunisie est encore embrouillée. Le moment était-il alors, réellement opportun pour la signature de cet accord ? En tous cas, s’il s’avère que le gouvernement provisoire actuel aurait commis une bourde à travers cet accord, il ne sera pas évident qu'il réponde de ses actes. 

Nadya B’CHIR
20/11/2012 | 1
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