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Tunisie - Les querelles byzantines font toujours rage sur la scène politique
15/11/2011 | 1
min
Tunisie - Les querelles byzantines font toujours rage sur la scène politique
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A défaut d’une topographie claire, le paysage politique tunisien, comme dans les plus grandes démocraties du monde, est dévasté par des bourrasques médiatiques qui donnent du fil à retordre aux politiciens, nourrissent les feuilles de choux, alimentent les discussions enfiévrées dans les salons feutrés des beaux quartiers et laissent complètement indifférent le père de famille qui tient le diable par la queue.
Le clivage conservateurs/ progressistes ou droite/ gauche initié, par la révolution anglaise, généralisé par la révolution française et qui façonne la quasi-totalité des démocraties occidentales a été jugé obsolète par nos leaders locaux. La campagne électorale a été animée, donc, par les attaques, contre-attaques des démocrates éclairés contre les obscurantistes enturbannés, qui eux-mêmes préfèrent prendre la posture des gardiens de la Révolution luttant contre les forces cachées de la contre-révolution.
C’est dire l’esbroufe qui règne depuis onze mois entre les coalitions bâtardes. Des querelles byzantines stériles relayées par les médias de masse, gonflées par les réseaux sociaux, qui jusqu’à preuve du contraire ont très peu influé le résultat des urnes, mais qui semblent perdurer.


Les Tunisiens ont vécu dans une bulle, un black-out médiatique savamment orchestré par le défunt ministère de l’Information. Wikileaks et les réseaux sociaux ont provoqué la première fissure dans cette chape de plomb. Parler de révolution Facebook serait une insulte à la mémoire de tous ceux qui ont bravé les balles réelles. Mais il est certain que ce réseau social a été le catalyseur d’une colère et d’un ras-le-bol qui cuvaient depuis un certain temps dans la société.
Par contre, même si Facebook a été une arme contre le régime de Ben Ali, on ne peut pas dire qu’il a favorisé le débat démocratique par la suite. De source alternative d’information, il s’est transformé en principal véhicule de l’intox, la rumeur, la calomnie et les coups bas contre les adversaires politiques.

Deuxième nouveauté : la culture du buzz. Une phrase, une déclaration, une expression coupée, sortie de son contexte, diffusée avec un titre fracassant, accompagnée d’une musique de film d’épouvante, et c’est tout de suite la paranoïa qui s’installe. On oublie les priorités du moment et on se permet une petite évasion métaphysico-comico-politique.
Dernier délire en date : le 6ème califat éclairé version Hamadi Jebali. Le futur chef du gouvernement, pour attiser le moral de ses troupes, fait le rapprochement entre Ennahdha et le calife Omeyade Omar Ben Abdelaziz. Quand on connait la couleur et la rhétorique islamisantes du parti et l’image de justice et d’humilité accordée à ce personnage dans l’imaginaire collectif arabe, rien de choquant. Mais l’inquiétude monte d’un cran quand on se rappelle le jeu trouble du parti pendant la campagne, ses relents populistes et sa manière cynique de manipuler ses sympathisants.
Tollé général, condamnations sans appel, attaques venimeuses, florilège de blagues sous le registre de la dérision et de l’humour noir (grande spécialité locale depuis le 14 janvier). Exercices de contorsionnistes et enculage de mouche pour les leaders d’Ennahdha qui encaissent sans trop broncher.

Nous ne connaîtrons la composition du gouvernement qu’un mois après la tenue des élections d’une Constituante qui devra achever son travail en une seule année. C’est dire que nous avons du pain sur la planche. Mais rien n’empêche de bouder le plaisir d’une petite récréation autour d’un débat de haut vol. Un débat censé affaiblir les horribles barbus et renforcer les gentils démocrates débarquant tout droit du monde de Oui-Oui.
Un goût de déjà vu, rappelez-vous les débats sur la laïcité, le film de Nadia EL Fani, l’affaire Persépolis, les scandales qui suivaient la moindre déclaration de Rached Ghannouchi. A chaque fois, le même scénario : une grande faculté des « modernistes » à s’offusquer et les leaders islamistes qui tendent presque la joue gauche laissant le soin à leur base surexcitée de faire le show contre les « infidèles ». Le résultat est sans appel : la diabolisation et les attaques sans répit contre Ennahdha en ont fait une « victime » et le grand gagnant des élections.
Les partis qui ont fait leur beurre de l’opposition frontale aux islamistes comme le PDP et le PDM passent pour les ennemis de l’Islam.

Visiblement, la leçon n’a pas encore été admise et retenue. Les réactions disproportionnées fusent, encore, au profit de ceux qu’elles condamnent, nous l’affirmons sans trop de risque. Le peuple de Facebook, les cénacles du pouvoir, même après la débâcle du 23 octobre se croient encore représentatifs de la Tunisie profonde, de ses préoccupations, de ses attentes…
Pendant des mois, le premier sujet de discussion sur les forums était le passé opaque de Slim Riahi et le coût outrancier de sa campagne. Une rumeur de démission à Afek a affolé la communauté Twitter toute une soirée. Beaucoup de profils Facebook arboraient fièrement l’étoile du Pôle les quelques jours précédant le jour des élections. Résultat des courses : un siège pour l’UPL, quatre sièges pour Afek, cinq sièges pour le PDM, et 26 sièges pour la Pétition Populaire.
L’inénarrable Hachmi Hamdi, que tout le monde prenait de haut, promettait des soins gratuits et une prime de chômage immédiats, pendant qu’à Tunis le débat sur la liberté de pensée faisait rage.

Une année haute tension attend la Tunisie. Des dossiers et des réformes brûlantes attendent la nouvelle administration ne disposant que d’une année (a priori) avant les prochaines échéances électorales. Une ambiance studieuse devrait régner au sein de notre classe politique. Mais le Premier ministre n’a pas encore été adoubé que les bisbilles et les déclarations incendiaires pour s’accaparer les principaux portefeuilles fusent. On joue du sensationnel pour gagner la sympathie du Tunisien moyen.
Farhat Rajhi, nourrissant quelques velléités politiques et première star télévisuelle post-révolution, avait tenté le même coup il y a quelques mois. Des déclarations tonitruantes qui ont partagé le pays en deux, un certain moment, mais qui ne lui ont jamais permis de se mesurer aux bêtes politiques locales.
Abdelfattah Mourou, avec sa jovialité de griot africain, a squatté pendant un moment les plateaux télé, provoquant quelques débats enflammés mais sans pour autant réussir à capitaliser sur cette image. Son fiasco électoral prouve, si besoin, les limites des médias.

C’est peut être l’enseignement principal de ces élections. On n’accapare pas l’intérêt de l’électeur en brassant de l’air sur les plateaux télé et dans les vidéos Facebook mais en allant à sa rencontre, en prêtant oreille à ses préoccupations et en lui proposant un programme qui y répond. Plus facile à dire qu’à faire, apparemment.

Crédit photo : Tunivisions
15/11/2011 | 1
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