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Tunisie - Inquiétudes et controverses autour du préambule de la Constitution
30/10/2012 | 1
min
Tunisie - Inquiétudes et controverses autour du préambule de la Constitution
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Un an jour pour jour après l’élection de l’Assemblée constituante, les élus ont été appelés à débattre sur le préambule et les principes fondamentaux de la Constitution tunisienne. La commission en charge de sa rédaction étant l’une des seules à avoir achevé ses travaux. De l’avis de plusieurs élus, cette décision n’a été prise que pour permettre au président de l’Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaâfar, de donner l’impression aux Tunisiens que les débats au sein des commissions étaient terminés et, comme il l’avait promis, le 23 octobre débuterait le débat en séance plénière.
Or il n’en est rien. La commission mixte bute encore sur les prérogatives du pouvoir exécutif et les réunions des commissions sont annulées à cause des plénières. En ce mardi 30 octobre 2012, soit une semaine d’un débat qui n’aurait pas dû avoir lieu avant la rédaction complète du projet de Constitution à soumettre en plénière, tous les élus ont eu l’occasion d’intervenir pour donner leurs recommandations, propositions et critiques d’un préambule controversé.


L’esprit du préambule

Si de nombreux élus ont salué le travail exceptionnel de la commission en charge de la rédaction du préambule et des principes fondamentaux de la Constitution, d’autres ont préféré axer sur ses limites. Dans une déclaration passionnée et remarquée pour sa sincérité, Mabrouka Mbarek, membre de ladite commission, met le doigt sur l’absence d’âme dans le texte du préambule. « Où est l’âme de la révolution ? Pourquoi ne ressentons-nous pas, dans ce préambule, la révolte d’un peuple qui s’est soulevé pour sa liberté ? Pourquoi n’y a-t-il pas l’âme de ceux qui se sont sacrifié pour cette liberté ? », s’est indignée la députée CPR. Mabrouka Mbarek profitant de son temps de parole pour s’interroger sur les raisons d’un tel débat. Elleaffirme, en effet, que sans la participation des Tunisiens, la prise en compte des propositions de la société civile et la participation des citoyens, cette Constitution ne pourrait être rédigée pour le peuple dans son ensemble. « A quoi sert de parler de démocratie participative, dans la Constitution, si nous ne faisons pas participer les citoyens ? Autant l’enlever si elle n’est pas réellement appliquée », souligne-t-elle.

L’universalité des droits de l’Homme

Alors que les qualificatifs d’universalité et de globalité, apposés aux droits de l’Homme, avaient fait l’objet d’un cafouillage au sein de la commission mixte, et d’un rejet au sein de la commission du préambule, les interventions des élus, de tous bords, laissent entendre que cette décision pourrait être revue. Si Fadhel Moussa a fait valoir une régression par rapport à la Constitution de 1959, Maya Jribi affirme que les droits de l’Homme sont universels ou ne sont pas, soulignant que s’il y avait une possibilité d’une mauvaise interprétation, l’aspect « universel » des droits de l’Homme ne s’oppose à aucun autre principe et devrait, par conséquent, pouvoir être inscrit. Plusieurs élus d’Ennahdha sont également allés dans ce sens, ajoutant que l’Islam consacrait lui-même, l’universalité des droits de l’Homme, dans leur globalité.

Etat religieux contre Etat civil
L’un des points qui a suscité le plus d’inquiétude est l’aspect civil de l’Etat. Si la nature « civile » de l’Etat est bel et bien inscrite dans ce projet de préambule, et qu’il s’agit d’un point qu’il est impossible de modifier, comme le stipule la partie « révision de la Constitution » du projet, de nombreux élus de l’opposition ont mis l’accent sur le fait que cette référence n’était pas suffisamment mise en exergue et que la religion domine l’esprit du préambule. Ainsi, il a été proposé d’inscrire le caractère civil de l’Etat dans l’article 1 des principes fondamentaux. Ce à quoi Sahbi Atig et d’autres élus islamistes ont répondu négativement, affirmant que cet article faisant l’objet d’un large consensus auprès des citoyens, il était hors de question de le modifier. Répondant à Sahbi Atig, Selma Baccar s’interrogera sur ce refus, faisant remarquer que si tout le monde était d’accord sur l’aspect civil de l’Etat, et de l’impossibilité de réviser cette disposition, il n’y avait aucune raison de ne pas l’inscrire dans le 1er article de la Constitution. Face à ces déclarations, certains députés d’Ennahdha sont allés jusqu’à menacer de remettre la Chariâa sur la table des négociations, d’autres ont demandé à ce que l’article 1 soit supérieur aux autres articles. Exception qui confirme la règle, Zied Laâdhari était le seul élu d’Ennahdha ayant proposé une modification d’un article « sacralisé » par la grande majorité des islamistes.
Souhir Dardouri, députée CPR, a, quant à elle, mis l’accent sur les dangers de l’inscription de principes vagues, tels que les « objectifs de l’Islam », qui pourraient être interprétés par l’instauration de la Chariâa.
D’un autre côté, la neutralité des mosquées a, elle-même, été remise en question par des députés d’Ennahdha, s’inquiétant de la limite que cela pourrait engendrer pour le discours des Imams et l’impossibilité pour eux de prêcher pour la prière du vendredi.
Le préambule actuel prévoyant l’interdiction de discours partisans mais non de discours politique, un clivage s’est dégagé au cours des débats et la question sera certainement tranchée ultérieurement.

La consécration de l’égalité Homme/Femmes et controverse sur la notion de Famille
Après la polémique sur la complémentarité entre l’homme et la femme, article finalement supprimé du projet de Constitution, un consensus quasi généralisé s’est dégagé sur le principe d’égalité entre l’Homme et la femme, en droits et en devoirs, leur égalité devant la loi, et l’égalité des chances. Une fois n’est pas coutume, le discours féministe viendra de plusieurs députées d’Ennahdha, dont Yamina Zoghlami, qui défendra non seulement l’égalité mais insistera surtout sur la notion de parité qui, selon elle, doit être constitutionnalisée.
La notion de famille, par contre, fait l’objet d’une forte résistance de la part des députés islamistes. Ces derniers se sont indignés du fait que l’article sur la famille en tant que noyau naturel de la société, dans lequel le rôle des époux est complémentaire et qui ne peut être formée que par le mariage, ait été supprimé, revendiquant en sus, la garantie par l’Etat des moyens permettant aux citoyens de se marier. D’autres élus insisteront quant à eux sur la nécessité de définir le mariage et les rôles au sein de la famille, faisant planer la « menace » du mariage homosexuel.

« Tous les Tunisiens sont musulmans » ou le rejet des minorités
Si le préambule et les principes fondamentaux du projet de Constitution donnent une supériorité manifeste à l’Islam, au fait religieux, et à l’identité arabo-musulmane, plusieurs élus se sont étonnés du fait que le projet ne fasse, à aucun moment, référence aux minorités. Répondant à ce type d’interrogations, Sahbi Atig répètera, à plusieurs reprises et avec conviction, « tous les Tunisiens sont musulmans », ce à quoi Mabrouka Mbarek rétorquera, sur son compte twitter, que M. Atig est dans le « déni ». Ce rejet d’une partie des Tunisiens, aussi minoritaires soient-ils, a été relevé par plusieurs élus de l’opposition, sans que cela n’émeuve les élus islamistes, qui n’auront de cesse de répéter le caractère islamique du peuple et son attachement à l’Islam et à son identité arabo-musulmane. S’ils défendent avec force la cause palestinienne ou la criminalisation de la normalisation avec Israël, ils ne feront pas grand cas de certains de leurs concitoyens, allant jusqu’à nier leur existence.

Si le projet de préambule tel que présenté par la commission qui en avait la charge et les débats qui se sont déroulés ces derniers jours, ont dégagé des avancées certaines en faveur d’une Constitution consacrant la liberté, l’égalité, la Justice et la démocratie, le préambule consacre également l’exclusion d’une partie des citoyens tunisiens qui ne correspondraient pas à la définition que les « élus du peuple » leur ont imposée, créant ainsi une catégorie de sous-citoyens dont les droits ne sont pas garantis.

Monia Ben Hamadi
30/10/2012 | 1
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