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Tunisie – L'intérêt supérieur de l'enfant, urgence ou dada ?
12/05/2013 | 1
min
Tunisie – L'intérêt supérieur de l'enfant, urgence ou dada ?
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Au regard de la crise politique actuelle, les droits de l’enfance n’apparaissent pas comme une urgence. L’enfant est un citoyen silencieux. Il ne sait pas s’exprimer, ni défendre ses droits, il ne sort pas manifester dans la rue et reste tributaire du cadre de vie, des opinions et des combats des adultes. L’enfant ne vote pas, il n’intéresse donc pas les politiques et n’attise pas de débats houleux au sein d’un hémicycle déchaîné. Loin de là !

Et pourtant, au cœur du bouillonnement de cette période de construction transitionnelle, de nombreux textes sur la protection de l’enfance devront être votés. Tout est à faire aujourd’hui. Dans une Constitution dans laquelle l’enfant devra trouver sa place, mais aussi au sein d’une instance de régulation des médias, la HAICA, qui devra se doter des mécanismes nécessaires pour une presse responsable et au-dessus de tout sensationnalisme au détriment des enfants. A travers ces deux questions, devra être consacrée la notion d’ « intérêt supérieur de l’enfant ».

La Tunisie a ratifié en 1992 la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 89. Un code de protection de l’enfance a également été promulgué en 1996. Le troisième avant-projet de la Constitution tunisienne consacre un article aux droits de l’enfant. L’article 45 stipule que : « l’enfant a le droit d’avoir de ses parents et de l'Etat la garantie de la dignité, des soins, de l’éducation, de l’enseignement et de la santé. L’État doit assurer la protection juridique, sociale, matérielle et morale pour tous les enfants sans discrimination ». Une première en Tunisie.
 
Cet article est un excellent début dans la Tunisie transitionnelle, fait remarquer Claire Brisset, ancienne journaliste au Figaro, au Monde et au Monde diplomatique, directrice de l’information à l’Unicef et également défenseur des enfants au Conseil des ministres français.

Mais ce n’est qu’un début. Si l’article annonce les principaux droits fondamentaux des enfants, à savoir, le droit à la santé, à l’éducation, à la famille, à la protection et à la non-discrimination, et engage à la fois la responsabilité de l’Etat et celle de la famille, il reste cependant insuffisant et mérite d’être amélioré conformément aux obligations internationales.

Mokhtar Dhahri, représentant de l'Unicef en Tunisie, souligne qu’il ne suffit pas de mentionner les droits de l'enfant dans la Constitution, qui devra reconnaître l'enfant en tant que sujet de droits et non objet de droits. L’Etat devra également s’engager à les appliquer, insiste-t-il, tout en rappelant le rôle historique de la société civile en matière de protection des droits de l’enfance.

Il est important aujourd’hui d’avoir une culture de protection de l’enfance à tous les niveaux, aussi bien associatif, politique que médiatique.

Les journalistes ont, eux-aussi, leur part de responsabilité dans la banalisation de la place de l’enfance sur la scène médiatique. Les thèmes liés à l’enfant restent prisonniers de la sphère du fait divers en Tunisie. On remarquera, à titre d’exemple, que les thèmes liés à l’enfant n’ont surgi sur le devant de la scène que dans le cadre de scandales et de faits divers. On se rappellera tous de l’affaire sordide du viol de la petite fille de 3ans dans un jardin d’enfants illégal de la Marsa. Un viol dont on accuse le gardien de l’établissement d’être le responsable et la directrice d’en couvrir les faits.

Cette affaire, médiatiquement traitée de la manière la plus incorrecte et la plus traumatisante pour l’enfant, a suscité un véritable tapage médiatique et a été diffusée en reportage exclusif sur certaines chaînes Tv et journaux, avides de sensationnalisme. La petite fille a été interrogée par des animateurs, dans le cadre d’émission de téléréalité, sans le moindre recours à des professionnels de l’enfance ou de la considération pour sa vie privée et pour le traumatisme vécu.

Exposition médiatique des enfants victimes, utilisation de leur image à des fins sensationnalistes sans le moindre respect du b.a.-ba des règles journalistiques imposant confidentialité des données personnelles et respect de la vie privée. Tous ces dérapages feront que les drames, subis par les enfants, se transformeront en stigmates qui les poursuivront toute leur vie.

Mais les retombées de cette affaire, qui devait servir d’électrochoc auprès de la société civile et de la classe politique, ont rapidement fondu, dans la mémoire collective, comme neige au soleil sans que les bonnes questions n’aient été posées.

Les institutions dans lesquelles sont placés les enfants sont-elles suffisamment contrôlées ? Au lieu de stigmatiser les victimes, ne fallait-il pas, au contraire, désigner les responsables afin d’éviter que ce genre d’affaire ne se répète de nouveau ? Quelles sont les mesures prises par le ministère de la Femme et de l’Enfance pour la protection des enfants dans les crèches, jardins d’enfants et écoles ? Qui sont les fonctionnaires de ces établissements et comment les recruter ? Comment protéger les autres enfants des retombées d’une telle affaire ?

Force est de reconnaitre qu’il n’existe pas de culture de protection de l’enfance en Tunisie. Lors des funérailles du défunt Chokri Belaïd, ses enfants ont, eux-aussi, été surmédiatisés et ont servi de tremplin de popularité à certains politiciens soucieux de redorer leurs images vis-à-vis des masses.

Les médias font du sensationnalisme au détriment des enfants et certains parents, non-avertis, sont complices de cette surexposition médiatique.

Partout, dans le monde, les instances de régulation des médias ont leur mot à dire, et contribuent énormément, à la garantie des droits de l’enfant. Qu’en sera-t-il de la HAICA ?  A l’heure où les débats autour des membres de la future Instance pour l’Information et la Communication Audiovisuelle s’annoncent houleux, rien ne laisse présager qu’elle se dotera des mécanismes nécessaires pour garantir aux enfants un minimum de décence dans les médias.

Les droits de l’enfance devront faire partie des droits de base des journalistes, qui au-delà d’une spécialisation, doivent s’infiltrer dans la formation de base de tout enseignement journalistique. Le rôle de la HAICA est aussi primordial, à son niveau, visant à pallier à certains dérapages. Enfin, un corpus de règles devra également se construire autour de  la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. La constitutionnalisation en est le pilier. Ceci est un bon début, mais existe-t-il une réelle conscience et une volonté de bien faire ?

 
Synda TAJINE
12/05/2013 | 1
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