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Tunisie – Ennahdha fait le forcing pour constitutionnaliser un Conseil de l'Islam
31/01/2013 | 1
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Tunisie – Ennahdha fait le forcing pour constitutionnaliser un Conseil de l'Islam
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L’Assemblée nationale constituante s’est penchée, jusqu’à hier 30 janvier 2013, sur le chapitre des Instances constitutionnelles, troisième partie débattue en plénière, après celle des Droits et libertés et, en octobre dernier, celle du Préambule et des principes fondamentaux. Les deux premières parties de ce débat général avaient permis à certains députés, majoritairement d’Ennahdha, de remettre sur le tapis des questions polémiques et délicates.
Ainsi, de la criminalisation de la normalisation avec l’Etat d’Israël à la criminalisation du sacré, en passant par la non-neutralité politique des mosquées ou encore, pour les plus va-t-en-guerre des élus du peuple, l’apologie du jihad en tant que partie intégrante des principes islamiques à inscrire dans la Constitution, la religion est au cœur des débats. Pour ce troisième volet, les élus d’Ennahdha reviendront à la charge en défendant massivement la création d’un Conseil supérieur de l’Islam.

L’Assemblée constituante, par le biais de la commission qui en a la charge, a décidé d’inscrire dans la Constitution, la création d’un certain nombre d’instances constitutionnelles, des instances indépendantes, autonomes financièrement et administrativement et qui seront « élues », selon le deuxième avant-projet de la Constitution aujourd’hui débattu, par la prochaine Assemblée du peuple. Ainsi, plusieurs propositions d’instances ont été émises et la commission en a retenu cinq, à savoir une instance électorale, une instance de l’information, une instance des droits de l’Homme, une pour le développement durable et la protection des droits des générations futures et enfin, une instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption.

Durant les interventions en séance plénière, plusieurs députés des différents blocs ont formulé leurs souhaits de voir d’autres instances être constitutionnalisées, particulièrement pour les Tunisiens à l’étranger, pour la recherche scientifique, l’éducation, la culture, etc. Mais c’est la création d’un Conseil supérieur de l’Islam qui a suscité le plus de ferveur de la part des élus d’Ennahdha et le plus d’inquiétude du côté d’un nombre important des élus de l’opposition.

Ennahdha, comme lors des débats sur les précédents volets, insiste sur l’importance de la place de l’Islam dans la Constitution. Le parti islamiste considère en effet qu’en vertu de l’article 1 de la Constitution, l’Islam est la religion de l’Etat en plus d’être la religion du peuple tunisien.
Kamel Ammar, député d’Ennahdha, s’est dit étonné de l’absence de toute référence à l’Islam dans la partie des instances constitutionnelles, arguant que cela s’apparentait à une Constitution européenne, en inadéquation avec la Tunisie en tant que pays musulman.
Pour Dalila Bouain, également élue du parti islamiste, la création d’un Conseil de l’Islam est nécessaire pour constituer un garde-fou à toute tentative de réprimer les pratiquants, comme cela était le cas pendant la dictature. « Durant l’ancien régime, les Tunisiens avaient été empêchés de pratiquer leur religion, envoyés en prison ou interdits de prier dans les mosquées. On a essayé de priver le Tunisien de son identité, d’où la nécessité de constitutionnaliser cette instance, de même qu’un conseil qui aura la charge d’émettre des fatwas, afin de faire face aux extrémismes, quels qu’ils soient », a-t-elle déclaré lors de son intervention.

Les interventions des députés d’Ennahdha se suivent et se ressemblent, pour Béchir Lazzem, « le peuple est musulman et ne se soumettra pas », pour Abdelbasset Becheikh, il faut refuser les clauses inscrites dans les accords internationaux qui vont à l’encontre de « notre identité arabo-musulmane », pour Habib Khedher la création d’un Conseil supérieur de l’Islam est une demande formulée à de nombreuses reprises lors du débat national et enfin Jamel Bouajaja s’étonne du refus de créer une telle instance, affirmant qu’il ne fallait pas avoir peur de l’Islam.

Et effectivement, un certain nombre de députés de l’opposition ont fait part de leurs inquiétudes quant à la création d’une telle instance. Brahim Gassas, député du parti Nidaa Tounes, considère que ce Conseil ne servirait à rien, affirmant que la religion a été attaquée et le Coran profané sans que personne ne fasse rien et que ce n’est pas ce conseil qui empêcherait ces dérives. « Il faut être capable de protéger la religion soi-même et ne pas faire de surenchère », a-t-il déclaré en substance.

Pour Nadia Chaâbane, députée du groupe démocratique, « les doutes sont plus que légitimes quant à la nécessité d’un Conseil supérieur de l’Islam ». L’élue affirmait en effet, depuis août 2012, sur son blog, que l’argument selon lequel cette instance garantirait la non-instrumentalisation de la religion est faible, eu égard à la situation réelle qui prévaut en Tunisie :
« Lorsqu’on observe les « guerres » pour les mosquées, les groupes salafistes qui prolifèrent et exercent différents types de violences, harcèlement moral et psychologique, violence physique, rébellion contre les institutions et contre les autorités, on ne peut que se poser la question. Comment confier la gestion des affaires religieuses à une instance qui échapperait à l’exécutif et au législatif ? Comment faire confiance et rassurer quant à la volonté de défendre un projet de société réformateur et ouvert sur le monde ? », s’interroge Nadia Chaâbane.
Et de poursuivre, s’inquiétant d’une éventuelle remise en cause du caractère civil de l’Etat : « Alors que nous avons grand besoin de rassurer les Tunisiennes et les Tunisiens, on s’aperçoit que les défenseurs de ce projet risquent finalement de remettre en cause le consensus national autour de l’article 1 et du caractère civil de l’Etat en vidant le ministère des affaires relieuses de ses prérogatives pour les confier à une instance indépendante, et instaurer, par la même occasion, une sorte de « clergé » inexistant dans le sunnisme en général qui prendrait en charge le volet religieux et pourrait l’instrumentaliser à souhait ».
« Ce n’est certainement pas en rouvrant ce débat dans lequel s’engouffreront les diviseurs de tous genres que nous allons consolider les liens dans notre société », conclut-elle.

Enfin, dans un cadre plus général, plusieurs députés se sont inquiétés d’une possible existence de conflits de prérogatives entre les instances constitutionnelles et le pouvoir exécutif ou judiciaire, comme l’affirme Souad Abderrahim qui, dans son intervention en séance plénière, a fait valoir la nécessité de ne pas multiplier ces instances, particulièrement si les affaires qui les concernent sont déjà traitées par un ministère.

Au printemps 2012, la référence à la Chariâa et à l’Islam en tant que source des lois avait été abandonnée par Ennahdha à la suite des différents troubles qui étaient survenus et des polémiques que ce sujet avait suscitées. Mais avec l’inscription des « principes de l’Islam » dans le préambule, la réaffirmation de l’Islam en tant que religion d’Etat et non en tant que religion de la majorité, les pressions exercées afin de criminaliser l’atteinte au sacré et le blasphème ou encore la création de Conseil de l’Islam ou de la Fatwa, ce recul semble fallacieux, risquant, selon les députés opposés à ce projet, de mettre en péril la civilité de l’Etat en faveur d’un Etat théocratique.

Monia Ben Hamadi
31/01/2013 | 1
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