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Interview de Mongi Hamdi : Des projets d'une valeur de 4 milliards de dollars bloqués à cause de la bureaucratie
14/09/2014 | 1
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Interview de Mongi Hamdi : Des projets d'une valeur de 4 milliards de dollars bloqués à cause de la bureaucratie
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C’est un homme discret et pragmatique qui nous a reçues dans son bureau dans la matinée du vendredi 12 septembre. Malgré un agenda chargé, le ministre des Affaires étrangères tunisien nous accorda un long entretien dans lequel il livra, à cœur ouvert mais avec une certaine diplomatie, son approche ainsi que sa vision pour ses successeurs, à qui il cédera la place à la fin de l’année. La diplomatie tunisienne, se démarquant nettement de la « philosophie » prônée par la présidence de la République, a connu différentes réussites et autres problématiques au cours de ces huit derniers mois. Interview.


Après avoir effectué les deux tiers de la période de gouvernance, comment évaluez-vous ce passage ? Votre mission se passe- t- elle comme vous vous y attendiez ?
Mon passage a été plus facile que ce que j’imaginais. A mon arrivée, il y avait plusieurs défis à relever, notamment sécuritaires et économiques. Mais jusqu’à présent, tout se passe bien grâce à la collaboration des cadres du ministère qui se distinguent par un très haut niveau professionnel et un sens élevé de la responsabilité. Dès le départ, j’ai tout fait pour motiver les employés et les cadres, car toute réussite est l’œuvre de toute une équipe. J’ai donc essayé d’écouter tout le monde, du simple agent au plus haut cadre, et nous avons travaillé à résoudre leurs différentes problématiques internes.

Concernant notre approche d’action, nous avons mis en place une vision stratégique consistant à subdiviser le travail en différents volets, en l’occurrence, la diplomatie « économique » et celle sécuritaire. En effet, la diplomatie « économique », volet jusque là inexistant dans le département, consiste à promouvoir l’image de la Tunisie vis-à-vis des investisseurs étrangers, ainsi que la recherche de nouveaux partenariats entre les hommes et les femmes d’affaires tunisiens, d’un côté, et la « business community », de l’autre. Aussi, nous avons redoublé d’efforts pour la promotion de l’image des produits tunisiens dédiés à l’exportation, en faisant impliquer les hommes d’affaires lors des visites rendues par plusieurs ministres d’Affaires étrangères chez nous et lors des visites que nous entreprenons à l’étranger.

Quant au volet de la diplomatie «  sécuritaire », il revêt une importance capitale au vu de la conjoncture délicate actuelle. C’est pour cela que j’ai jugé obligatoire de rétablir les relations diplomatiques avec l’Egypte et d’asseoir avec ce pays une coordination étroite. Aussi, faut-il le rappeler, nous avons misé, également et surtout, sur nos relations avec l’Algérie et le Maroc, nos premières visites à ces pays en sont le principal témoin.


Qu’en est-il des relations de la Tunisie avec des pays comme l’Algérie et l’Egypte ? La reprise des relations diplomatiques avec la Syrie est-elle au programme ?
Pour les relations avec les pays frères et amis, je dois mentionner le cas des changements intervenus en Egypte dans le sens où j’ai refusé de les condamner comme voulaient l’imposer certains élus à l’ANC.  Pour l’Algérie, il faut savoir que notre avenir est étroitement lié à ce pays voisin, sur les plans économique et sécuritaire d’où la nécessité d’une coordination au quotidien. Ceci est crucial pour l’avenir de la Tunisie.

Quant à la Libye, le problème est encore plus épineux car la crise dans ce pays risque de durer encore des années, d’où notre position de neutralité positive, car si on prend position, on ne pourra plus avoir aucun rôle de modérateur ou de médiateur puisque notre crédibilité serait sérieusement entamée. Le problème libyen qui exige une solution pacifique et politique et le problème de la présence de Tunisiens en Syrie et en Irak et dont l’éventuel retour au pays peut causer des situations complexes et compliquées.

Avec la Syrie, il y a une communication au niveau consulaire avec la communauté tunisienne. Notre devoir est de fournir les services nécessaires aux 6.000 Tunisiens se trouvant en Syrie, et quant à l’éventuel rétablissement des relations diplomatiques avec ce pays, il n’est pas prévu actuellement mais le sera en temps opportun. Ma devise étant « zéro problème avec les pays amis et voisins ».


Des divergences semblent exister entre la présidence de la République et le ministère des Affaires étrangères, notamment lors du dernier mouvement dans le corps diplomatique. Qu’en est-il au juste ?
Je dirais plutôt qu’il y a des approches différentes, mais pas de divergences, puisque, finalement, nous avons les mêmes objectifs, et c’est le plus important. Ainsi, nous avons eu des discussions lors du mouvement dans le corps des ambassadeurs. Finalement, nous avons pu résoudre tous les différends à propos des nominations politiques. Même le cas de l’ambassadeur en Arabie Saoudite, il a été résolu en le mutant au Yémen.


Le journaliste tunisien Mahmoud Bouneb est retenu au Qatar et privé de rentrer en Tunisie depuis plus de deux ans. Son dossier est-il une priorité pour vous ?
Concernant le cas de Mahmoud Bouneb, je tiens à dire que j’ai, personnellement, écrit aux autorités qataries pour les sensibiliser et leur signifier que l’affaire a pris des relents politiques, même si, officiellement, elle est du ressort des compétences judiciaires.

Expliquez-nous comment s’est déroulée la libération des deux diplomates tunisiens Laâroussi Gantassi et Mohamed Ben Cheikh ?
La libération des deux diplomates tunisiens retenus en Libye constitue une grande réussite pour la diplomatie tunisienne. Elle a été obtenue sans la conclusion du moindre marché, mais grâce au concours de l’ancien ministre libyen de l’Intérieur et du consul libyen à Tunis. En voici les différentes péripéties.

J’ai invité ledit ministre libyen de l’Intérieur à venir en Tunisie ainsi que le père de l’un des prisonniers libyens dans notre pays où il a pu voir son fils et discuter avec lui. J’ai proposé, également, de traiter gratuitement le même père, gravement atteint du cancer, dans les établissements sanitaires tunisiens. Je leur ai fait comprendre que plus l’affaire se prolonge, plus la tension et les clivages s’accentueraient pour les ressortissants Libyens se trouvant en Tunisie.
Et j’ai fini par les convaincre sachant qu’ils ont été hautement touchés par les gestes humanitaires effectués de notre part au point que le frère d’un des prisonniers, ayant des contacts avec certains groupes libyens, a accepté de collaborer avec nous en jouant les intermédiaires. Et le résultat fut la libération des deux diplomates tunisiens sans marché ni rançon.
C’est un épisode qui m’a marqué et je considère qu’il s’agit d’une des plus grandes réalisations réussies de notre diplomatie. Nous avons d’ailleurs été félicités pour cette réussite par de nombreux pays étrangers.


Votre visite en Russie constitue, certes, une réussite, mais il semble qu’il existe certains obstacles au déboursement du prêt russe de 500 millions de dollars. De quoi s’agit-il ?
Le marché russe, fort de 160 millions d’habitants, constitue une belle opportunité et entre dans le cadre de notre prospection dans des régions telles que les pays du Golfe, l’Afrique et la Chine. Et suite à la décision de Moscou de boycotter plusieurs produits en provenance d’Europe, nous avons saisi l’occasion pour lui proposer notre huile d’olive, nos produits halieutiques et même les pâtes et les poulets.
Concernant le déboursement du prêt, il s’est avéré qu’il existe un reliquat impayé d’un ancien crédit de 190 mille dollars. Or la loi russe interdit l’octroi d’un nouveau prêt s’il y a des impayés. En tous les cas, les démarches nécessaires ont été effectuées auprès de notre Banque centrale qui a donné son accord pour régler ce montant dérisoire comparé à celui du prêt consenti.


Après la Russie, quelles visite avez-vous prévu d'effectuer?
Je viens de rentrer de La Haye aux Pays-Bas où nous avons conclu des accords de coopération triangulaire dont notamment une action impliquant le Yémen pour des projets en matière de planning familial. Les Pays-Bas se chargeant des fonds et la Tunisie fournissant les compétences humaines.
Je dois relever que le ministre des Affaires étrangères hollandais, un ami personnel, est devenu le numéro deux de la Commission européenne. Il m’a personnellement promis de promouvoir la Tunisie auprès de l’Union Européenne.
Lors de cette visite j’ai profité de mon auditoire pour rappeler que, alors que la Grèce a bénéficié d’une aide de 100 milliards d’euros, la Tunisie n’en a pas obtenu le centième alors qu’elle doit faire face à des défis stratégiques pour la région, à savoir, la lutte contre le terrorisme et contre l’immigration clandestine.
La Tunisie doit aujourd’hui constituer un exemple dans la région, pour sa crédibilité pour sa modération, pour sa démocratie mais aussi pour sa croissance économique.

Aujourd'hui, un nouveau modèle de développement devra être mis en place en Tunisie. Il s’agit d’un modèle inclusif qui bénéficie à toutes les régions et toutes les franges de la société. Il faut dire, qu’avant la révolution, la Tunisie réalisait des taux de croissance respectables entre 5 et 7% mais elle ne profitait pas équitablement aux régions. Les plus riches s’enrichissaient davantage et les pauvres persistaient dans leurs mauvaises conditions. Le nouveau gouvernement devra veiller à appliquer ce modèle et à donner leurs chances aux régions défavorisées.
Or, le nœud qui bloque tout en Tunisie est cette bureaucratie qui freine, à cause de problèmes fonciers notamment, entre 500 et 600 projets, soit entre 20 et 30 projets par gouvernorat et qui pourraient générer une enveloppe de 4 milliards de dollars qui peuvent créer 120 mille postes d’emploi.


Il existe un sérieux problème d’énergie en Tunisie et plusieurs contrats avec des investisseurs étrangers sont critiqués, car jugés inéquitables. Qu’en pensez-vous ?
Même si je ne suis pas spécialiste en matière d’énergie, je peux dire qu’étant donné que le plus gros déficit de la balance commerciale est dû à ce secteur, il est temps de résoudre certains litiges liés à cette question. En Tunisie, nous n’avons pas encore de loi régissant les énergies nouvelles et renouvelables et plusieurs projets de loi sont encore bloqués au sein de l’Assemblée Nationale Constituante. Ceci peut entraver l’avancement de plusieurs projets dans le domaine de l’énergie, sans oublier les clivages à propos du gaz de schiste, pourtant largement utilisé aux USA sans retombées négatives. Son exploitation pourrait cependant permettre à la Tunisie de limiter l’importation énergétique qui alourdit le budget de l’Etat.


Quelles sont les retombées concrètes d’une manifestation telle la Conférence Investir en Tunisie ?
Cette manifestation a, d’abord, un impact moral à savoir l’envoi de messages et de signaux forts dénotant la confiance de la communauté internationale en l’expérience tunisienne. Ainsi, elle pourra  donc l’encourager dans l’instauration d’une bonne gouvernance et d’une croissance inclusive.
Au niveau pratique et concret, cette Conférence a permis aux investisseurs étrangers de constater de visu le climat des affaires et les opportunités à saisir dans un esprit de gagnant-gagnant.


Plusieurs pays ont montré leur disposition à aider la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme à travers des aides logistiques. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
Il y a un mois, lors d’une visite aux Etats-Unis, j’ai pu m’entretenir avec le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, le vice-président Joe Biden, mais aussi le président Barack Obama qui a donné ses ordres aux autorités américaines pour nous apporter l’aide et l’assistance nécessaire pour lutter contre le terrorisme en Tunisie. 10 jours après cette visite, plusieurs équipements ont été livrés et une deuxième tranche arrivera bientôt.
J’ai aussi demandé  à certaines ambassades, telles que celle d’Italie et de France, des aides logistiques. L’Italie a répondu positivement pour des assistances militaires et  existe accord préliminaire a été conclu afin d’aider la Tunisie à assurer la surveillance de ses frontières et à lutter contre le terrorisme. Ce phénomène étant nouveau chez nous et la Tunisie n’ayant pas l’expérience et les moyens nécessaires pour le combattre.


A l’approche de votre départ du gouvernement, peut-on parler d’une stratégie que vous avez léguée à votre successeur ?
Malgré son caractère provisoire, notre gouvernement a établi une vision stratégique en nous inspirant des modèles de la Malaisie et de la Turquie. Ainsi convaincus de la nécessité de la continuité de l’Etat, nos avons mis au point et planifié de nombreux projets que le prochain gouvernement appréciera à leur juste valeur. Pour faire des projections sur l’avenir, je voudrais mettre l’accent d’abord sur l’importance de la réussite de la gouvernance électronique, encore embryonnaire chez nous. Et je répète qu’il y a 4 milliards de dollars en attente à cause, justement, de ce casse-tête administratif.
Ensuite, je lance un appel pour faire de la propreté dans les lieux publics du pays une priorité absolue car vous ne pouvez pas imaginer l’importance accordée par les étrangers à ce volet qui est, en fin de compte, la responsabilité de tous, en l’occurrence services publics et citoyens.
Je fais appel, également et surtout, au travail avec conscience professionnelle, discipline et motivation.

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