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Interview de Mustapha Ben Jaâfar : Par respect, je redoute tous les candidats !
19/09/2014 | 1
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Interview de Mustapha Ben Jaâfar : Par respect, je redoute tous les candidats !
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Accompagné de ses chargés de communication et membres de son parti, Mustapha Ben Jaâfar, actuel président de l’Assemblée nationale constituante, nous a reçus au local du parti Ettakatol jeudi 18 septembre 2014. Candidat au scrutin, c’est un président « rassembleur et modérateur » qui devra, selon Mustapha Ben Jaâfar, accéder à la magistrature suprême. Des qualités qu’il estime avoir, en tant que président de l’ANC. Interview de celui qui se présente comme l’une des rares personnes à « comprendre la Constitution et la mettre en application ».


Vous êtes l'un des rares candidats à la présidentielle qui va se présenter avec un bilan, comment estimeriez vous votre passage à la tête de l'ANC?
Il faut beaucoup de temps pour énumérer tout ce que nous avons fait. D’abord, nous avons finalisé la Constitution.  Ceci a permis de mettre en place l’essentiel des institutions qui doivent gérer ce processus de transition. Néanmoins, je crois que la mission essentielle de l’ANC a été de stabiliser la situation politique et, comme tout le monde sait, une transition démocratique est très difficile, telle qu’en témoigne l’Histoire dans le monde entier. Il s’agit d’une période d’instabilité, d’insécurité, de problèmes économiques et sociaux. Nous avons connu deux événements politiques tragiques que sont les deux assassinats politiques, mais aussi  les victimes du terrorisme dans les rangs de l’Armée et des forces de sécurité. Dans cette période, nous pouvons dire que l’ANC a été le pilier de la légitimité, même si cette légitimité a été contestée par une frange de l’opposition. Cette légitimité reste non moins discutable puisqu’elle émane des urnes et que les résultats de ces dernières n’ont été contestés par personne de sérieux. Aujourd’hui, nous avons une belle Constitution, nous avons mis en place des institutions et une loi électorale et nous sommes à la veille d’élections pluralistes et, nous l’espérons, démocratiques qui ne seront mises en doute par qui que ce soit. Je pense que, de ce fait, ce bilan ne peut être considéré autrement que comme positif.


Vous vous êtes engagé à démissionner de l’Assemblée nationale constituante si vous étiez candidat à la présidentielle. Vous y avez renoncé aujourd’hui, pourquoi cette décision ?
Il n’existe aucun article ni dans la loi électorale, ni même dans la Constitution, qui imposerait à un candidat à la présidentielle de démissionner de son poste à l’Assemblée nationale. En avril, j’ai fait une déclaration d’intention où j’ai annoncé que je renoncerai à ma responsabilité à la tête de l’ANC si je me présente à la présidentielle, et ce, pour assurer une sorte d’égalité des chances entre les compétiteurs. Cependant, au jour d’aujourd’hui, je pense que quitter mon poste de président à l’ANC met en danger le processus électoral lui-même. Cela risque de déstabiliser l’institution et de jeter le trouble alors que nous sommes à quelques encablures des élections, bien que j’aurais été plus à l’aise si je n’étais pas président de l’ANC pour m’occuper plutôt de ma campagne.


Vous ne pensez pas que votre casquette de président de l’ANC peut prendre le dessus de celle du candidat à la présidentielle ?

Aujourd’hui le fait que je sois à la tête de l’ANC constitue pour moi et pour le parti un handicap majeur en termes de campagne électorale, mais aussi, de projet du parti. Vous savez, j’ai des représentants d’organes de presse à ma porte tous les jours et pourtant, je ne fais pas de déclarations à tout va. Mes apparitions dans les médias restent rares hormis à quelques moments importants où des informations doivent être communiquées. J’ai donc évité justement qu’il y ait la moindre confusion entre les deux casquettes et, quelque part, j’ai négligé le parti qui en a payé le prix.


Seriez-vous le fameux candidat consensuel d’Ennahdha ?

Non, nous avons dit de manière très claire, pas dans ce cadre là présenté par Ennahdha. Je suis le candidat d’Ettakatol et cette idée n’a jamais été mise en question. Evidemment, nous espérons qu’après les législatives, il y ait un soutien de la part des partis avec lesquels nous avons engagé un dialogue ces derniers mois, et qui représentent cette force du centre démocrate et social. Nous verrons, au second tour, nous appellerons à voter à celui qui ne sera plus le candidat d’Ettakatol mais qui aspire à être le chef de l’Etat qui rassemble et qui continue à jouer le rôle que j’ai joué à la tête de l’ANC. Je suis le candidat de tous les citoyens tunisiens, de toutes sensibilités confondues.

Quels sont les candidats que vous redoutez le plus ? Que pensez-vous de certaines candidatures fantaisistes ?

Par respect, je redoute tout le monde. Moi je voudrais commenter plutôt la multitude des candidatures qui risque de rendre la tâche du citoyen plus difficile que ce qu’elle aurait pu être s’il y avait un nombre réduit de candidats avec des profils politiques précis et des projets différents. C’est tout ce qu’on peut regretter d’un point de vue logique.


Pensez-vous qu'on devrait réviser les conditions de candidature ?

Elles le seront probablement. Il y a eu un débat à l’ANC sur les freins à établir pour éviter justement cette multiplicité qui a été à mon sens le mal essentiel des dernières élections de 2011 qui a fait que près 1.300.000 voix ont été perdues. Ceci a permis de n’avoir aucune  représentation au sein de l’ANC et c’est regrettable. Cette multitude de candidatures devra être régularisée au niveau des législatives et les futurs députés amenderont certainement la loi électorale actuelle pour limiter ces dérapages et ces dépassements.


A votre avis, le candidat à la présidentielle doit-il présenter un certificat médical ?
Je suis trop respectueux des lois et des institutions de l’Etat de droit. Une fois la loi adoptée, je ne discute plus. Il est vrai qu’il m’arrive de diverger un peu, mais je ne discuterai pas la loi pour imposer des mesures exceptionnelles. Tout le reste n’est que polémique et politique. Pour ma part, je me porte bien et je ne présenterai pas de certificat médical. Pourquoi ferais-je de la surenchère uniquement pour faire le fanfaron ?  Nous sommes en campagne électorale et je comprends qu’un candidat va chercher un aspect qui le distinguera des autres dans un but tout à fait légitime.


Quel est votre objectif en termes de pourcentage ?
J’envisage d’atteindre au premier tour plus de 20%. En-dessous de ce score, nous aurons de faibles chances de passer au deuxième tour sauf si évidemment il y aura beaucoup de candidats.


Et si vous obtenez moins de 20%, est-ce que vous quitteriez la politique comme l’a déclaré Ahmed Néjib Chebbi ?

Pour moi, la politique n’a jamais été une profession, autrement, je n’aurai pas résisté plus de 40 ans.  Non, je ne quitterai pas la politique, je continuerai à être Mustapha Ben Jaâfar, le militant. Evidemment, comme dans tous les partis démocratiques, il y aura une alternance, on passera la main et on soutiendra les jeunes pour qu’ils prennent le relai. Mais il n’est pas question de se désintéresser parce que l’on a échoué à une étape et j’aimerai que les responsables politiques fassent de même.





Pourriez-vous nous exposer les grandes lignes de votre programme électoral?
Notre programme est en cours d’élaboration. Je sais ce que l’on attend de moi et j’ai déposé ma candidature en tant que militant et ancien opposant à la dictature. Aujourd’hui, les objectifs sont clairs, il s’agit essentiellement de rompre avec les pratiques de l’ancien système qui a été pendant une longue période l’Etat-parti. Il faut rompre avec un régime autoritaire ayant conduit à un Etat soumis et corrompu et cela est à mon avis le premier objectif et la première tâche que devraient adopter les responsables.
Durant ces trois dernières années nous avons essayé de mettre en place un socle démocratique, nous savons tous que nous n’y sommes pas encore parvenus totalement et que nous avons des soucis pour l’avenir, adopter une Constitution est une chose, la mettre en pratique, en est une autre.
Compte tenu de la contribution directe que j’ai apportée à la Constitution, il est certain, je pense, que je serai parmi ceux, pour ne pas dire le seul, qui saura le mieux la comprendre et la mettre en application de manière beaucoup plus efficace que d’autres. Ensuite, je pense qu’aujourd’hui après toutes les crises majeures, les tiraillements et les soubresauts que nous avons traversé,  le pays a besoin d’un modérateur et d’un rassembleur. A ce niveau, tout le monde connait le rôle que j’ai joué durant les moments les plus aigus et les plus tragiques pour rapprocher les points de vue, chercher le consensus aussi bien au sein de l’ANC que dans le cadre du dialogue national.
Pour le reste, tout le monde connait mes orientations politiques, économiques et sociales pour un nouveau modèle de développement. Nous pensons que le modèle qui a été pratiqué jusque-là a montré ses limites pour ne pas dire ses défaillances puisque nous avons vécu une révolution et que la raison principale de celle-ci est justement la situation sociale, les disparités entre les régions de l’intérieur et de la cote et le chômage qui a pris des proportions importantes parmi les jeunes diplômés surtout.
Evidemment, nous avons des propositions concrètes le cas échéant même si le rôle d’un futur président de la République ne doit pas être lié à la conjoncture. Le président devra établir un équilibre entre les différentes têtes de l’exécutif et du législatif, qui est une mission très délicate. Contrairement à ce que l’ont croit, le chef de l’Etat n’a pas de prérogatives limitées aujourd’hui, il a un champ qui lui est réservé : Défense, Diplomatie et Affaires étrangères. Ainsi, il  peut présider tous les conseils de ministres qu’il veut, même si je pense qu’il ne doit pas le faire mais intervenir uniquement quand il est nécessaire de le faire. Le président devra être le garant de la Constitution et des libertés mais non pas empiéter ou mettre des freins à l’action du gouvernement.


Est-ce que ceci a été observé tout au long de ces trois dernières années  de la part de l’actuel président de la République?
D’abord la répartition des tâches n’est pas celle prévue dans l’organisation provisoire des pouvoirs publics, il ne s’agit pas des mêmes textes. Le futur chef de l’Etat peut intervenir désormais et dissoudre l’Assemblée, il a une autorité morale issue d’un suffrage universel qui lui permet d’intervenir sur les grandes questions nationales. Il faut savoir qu’il ne faut pas rester piégé dans les textes de loi. Ce qui compte pour l’avenir, c’est la capacité du futur président à respecter les lois, les institutions et la Constitution. S’il a  des prérogatives plus larges, il doit veiller à ce que celles-ci ne gênent pas  le fonctionnement des institutions de l’Etat. Je pense sincèrement avec l’expérience que j’ai, que je suis capable d’assumer cette responsabilité dans les meilleures conditions qui soient : faire que l’Etat soit juste, et veiller à ce que les fruits de la croissance économique soient répartis équitablement entre les régions. En un mot : essayer d’instaurer l’Etat citoyen après l’Etat prédateur.

Si vous êtes élu président, quelles seraient vos premières décisions?

Prêter serment sera la première chose que je ferai. Pendant la campagne, je détaillerai les mesures concrètes à mettre en œuvre. Contrairement à ce qu’on pense, la diplomatie et la sécurité sont des éléments essentiels pour le développement. Sans sécurité on ne pourra parler ni d’investissement ni de développement. Nous savons tous que notre armée a besoin d’être modernisée et que notre système de sécurité a besoin d’être réformé en vue de plus d’efficacité. Il est important aussi d’établir une coordination plus efficace entre les différents corps de la sécurité du pays. Par ailleurs, la diplomatie peut être mise au service du développement alors qu’elle ne l’est pas aujourd’hui et au niveau de son organisation structurelle, il y a beaucoup de choses à faire.    

Quelles sont les sources de financement de votre campagne et avez-vous arrêté un budget précis ?
Des budgets prévisionnels, ne valent pas plus que des déclarations d’intention. En réalité, nous comptons sur nos propres moyens intrinsèques  avec lesquels nous avons toujours fonctionné. Par ailleurs, plus nous aurons une visibilité et plus les sources de financement seront plus faciles à venir. Ce sont des sympathisants, des militants, des hommes d’affaires, d’autres exerçant des professions libérales. En somme, les mêmes que pour les élections d’octobre 2011. Nous précisons que les deux campagnes, législatives et présidentielle, sont tout à fait séparées sur les deux niveaux.


Combien d’adhérents compte Ettakatol aujourd’hui, notamment après les démissions en masse enregistrées depuis les élections de 2011 ?
Nous avons environ 20 mille adhérents à Ettakatol, mais je ne connais pas le chiffre exact car ce n’est pas moi qui m’occupe des structures du parti. Au début de sa création, Ettakatol comptait quelques centaines de membres. En 2011 et à la veille des élections du 23-Octobre, le nombre d’adhérents n’était pas loin de celui que nous avons aujourd’hui. Certains cadres ont certes quitté Ettakatol, n’ayant pas compris sa stratégie ou ayant peu apprécié ce qu’ils ont communément appelé « le rapprochement avec Ennahdha », mais surtout notre participation au gouvernement de la coalition.
Aujourd’hui, certains de ces cadres sont  en train de revenir car ils ont compris nos choix. Nous avons tenu un congrès pour opérer une restructuration au niveau des régions et nous pouvons dire que la situation est en train de revenir à la normale encore une fois. Le grand élan a été connu après l’adoption de la Constitution, c’est là où il y a eu un petit choc salvateur auprès d’un certain nombre de nos militants. Cela étant, il n’y a jamais eu  de vague de démission en masse au sein d’Ettakatol et nous n’avons jamais vu dans la presse des listes de démissionnaires. Certains de nos militants ont démissionné, ce que nous regrettons étant donné que nous les avons vus vivre dans l’enthousiasme et la construction du parti.


Vous parlez sans doute de Karim Baklouti, Khemaïes Ksila, et Zied Milad ?
Oui, mais je ne les mets pas dans le même sac. Il faut aller au cas par cas, certains sont restés jusqu’au bout, d’autres, n’ayant pas été convaincus par les choix du parti, ont préféré partir. Parfois courtoisement, d’autres de manière peu élégante, mais c’est tout à fait leur choix.



Comment voyez-vous la composition du prochain Parlement ?
Difficile à dire. Je pense qu’il y aura une nouvelle composition, car il y a de nouvelles sensibilités qui n’étaient pas organisées en 2011. Ce qu’il y a de positif, c’est qu’il y a une tendance de rapprochement et de rassemblement entre différentes sensibilités et c’est utile pour faciliter le choix du citoyen. Malheureusement, le nombre des listes reste toujours très important et excessif, ceci peut engendrer l’éparpillement des voix. Autre chose qui pourra changer la donne, c’est le fait que des citoyens restent chez eux et n’aillent pas voter. Et là je pense que les médias ont à ce niveau un rôle majeur à jouer pour faire intéresser le citoyen à la chose politique et publique et aux élections, en dénigrant un peu moins tout ce qui peut se trouver dans l’axe du champ politique.


En une phrase, pourquoi on voterait pour vous? 
Je dois écrire un livre sur le sujet ! Je vous dis sincèrement s’il y a une chose qui pourrait me placer au dessus des autres c’est que nous avons réussi une Constitution qui, de l’avis du monde, est bonne. Cette Constitution est démocratique dans sa philosophie, sa culture et sa pratique. Sincèrement, je ne vois pas beaucoup de candidats qui pourraient aujourd’hui avancer des preuves qu’ils ont été démocrates sur 20, 30 et 40 ans. Pour le reste, tout le monde se déclarera démocrate mais je crois que les gens vont faire la différence sur les itinéraires, la constance et les positions et encore une fois le pouvoir de rassembler.
    

Entretien mené par Nizar Bahloul, Synda Tajine et Marouen Achouri

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