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Traite des personnes : les "esclaves" noires chez les riches de Tunisie
22/07/2016 | 19:59
11 min
Traite des personnes : les

 

La Tunisie qui, pour la quatrième année consécutive, a été classée au niveau 2 sur la liste de surveillance du département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique incriminant la traite des personnes a adopté hier, jeudi 21 juillet 2016, le projet de loi tant attendu qui met en place les instruments juridiques nécessaires pour contrer cette criminalité organisée. Ce fléau qui revêt l’une des formes les plus inacceptables de corruption par la voie de réseaux tentaculaires globalisés contrevient, en effet, aux valeurs les plus fondamentales des droits de l’Homme, notamment le respect de la dignité humaine.

C’est en coopération avec l’Organisation internationale pour les migrations en Tunisie (OIM) qui a tiré la sonnette d’alarme sur 78 cas recensés que Business News a enquêté sur ce phénomène sociétal secret, tabou et encore méconnu du public.

  

Le 1er juillet 2016, le père blanc Jean Fontaine qui réside en Tunisie écrivait un statut sur son compte Facebook pour alerter les citoyens tunisiens sur le cas d’une jeune fille ivoirienne travaillant en tant que domestique dans une famille sfaxienne où le père est médecin. Victime de la traite des personnes, cette jeune fille, à qui on a confisqué son passeport, a réussi à s’échapper de la famille en question pour se rendre d’abord chez le père blanc puis à l’OIM qui lui a prodigué l’assistance juridique pour quitter le territoire tunisien. Des cas d’esclavage moderne comme celui-ci, il en existe en Tunisie et ce phénomène fait l’objet d’un trafic tentaculaire impliquant des passeurs tunisiens et étrangers ainsi que des familles tunisiennes de grande renommée détenant un pouvoir financier considérable. La traite des personnes est cette forme de corruption dont on ne parle pas…

 

Rappelons, tout d’abord, que la traite transnationale des personnes est définie par l’article 3 du Protocole de Palerme de 2000, ratifié par la Tunisie, comme étant : « Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements (…) pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ». Juridiquement, la traite des personnes comprend 3 éléments principaux : le caractère forcé d’une activité faite de manière coercitive en l’absence de libre consentement de la victime et planifié de manière répétitive dans la durée.

  

L’OMI, située aux Berges du Lac à Tunis, a dénombré 78 cas de traite depuis 2012 dans son travail de recensement des personnes victimes de la traite des personnes. Parmi ces victimes, 57 viennent de la Côte d’Ivoire et 9 du Nigéria. D’autres nationalités ont été détectées : Mali, Congo, Cameroun, Ghana, Sénégal, Philippines et Colombie. Géographiquement, la traite des personnes en Tunisie se concentre principalement dans les villes de Gabès, Sousse, Sfax et Tunis et se pratique au sein de familles tunisiennes riches et puissantes. L’OMI a également identifié deux victimes tunisiennes de la traite des personnes exploitées  au Libéria et aux Emirats arabes unis essentiellement dans la prostitution et les services forcés de la restauration.

L’instance précise les types d’exploitation en jeu. Parmi les 78 cas recensés, 69 concernent la servitude domestique, 7 concernent l’exploitation dans le travail forcé, 1 cas concerne l’exploitation sexuelle et le travail forcé et 1 cas d’exploitation sexuelle pure. Ces victimes sont majoritairement des femmes adultes âgées de 18 à 52 ans. 5 victimes ont, quant à elle, moins de 18 ans. Ces femmes sont en général célibataires, mères célibataires ou veuves.  Des hommes sont aussi concernés par la traite. Quelques cas ont été identifiés dans le domaine du travail forcé dans l’agriculture et le gardiennage. Ces hommes âgés de 30 à 35 ans se localisent géographiquement dans les villes de Nabeul et Sfax. Ils se nourrissent d’un œuf par jour, indique l’OIM.

L’instance ajoute que, d’après les témoignages de ces femmes, les chefs de famille ont une attitude plus ou moins correcte vis à vis de ces jeunes femmes d’origine subsaharienne mais que ce sont leurs épouses qui pratiquent la réalité de la traite des personnes en imposant des rituels peu communs et en agissant en véritables tortionnaires. En effet, difficile de parler de la traite des personnes sans parler de psychologie humaine et de goût avéré pour le sadisme en général et la haine raciale en particulier.

  

La législation sur le droit des étrangers en Tunisie énonce que les personnes étrangères sur le territoire de la République disposent d’un visa de séjour gratuit valable 3 mois soit 90 jours. Ce délai dépassé, la Loi de finances 2014 indique que l’Etat dispose, souverainement, de droits de chancellerie de 20 dinars par semaine de dépassement du délai légal. Il est à noter que l’Etat tunisien ne pratique l’expulsion du territoire que dans le cas de trouble à l’ordre public. La personne devenue clandestine en Tunisie se retrouve piégée sur le territoire tunisien devenu ainsi une véritable prison à ciel ouvert. La majorité de ces victimes apprennent, d’ailleurs,  l’existence des droits de chancellerie à l’Aéroport Tunis-Carthage une fois le billet acheté, ayant presque atteint leur objectif de quitter le territoire, elles apprennent qu’elles sont dans l’illégalité la plus totale.

Ne pouvant payer les frais de chancellerie accumulés depuis plusieurs mois et n’étant pas expulsées du territoire tunisien, ces personnes chavirent comme un bateau ivre au gré du vent et des vagues. Aucune information relative à ces droits de chancellerie n’est communiquée à ces personnes comme l’indique l’OIM qui reçoit tous les jours un nombre important de personnes venues s’informer sur ces pénalités. En détresse totale, profondément esseulées, dans un environnement hostile, en perte de confiance, sans le sous, ayant ruiné leurs santés dans le labeur esclavagiste, ces personnes vivent une véritable tragédie. Certaines décèdent même des suites de leurs souffrances et sont enterrées en Tunisie… d’autres se résignent comme affectées par le syndrome de Stockholm. Aucune des victimes ne porte plainte.  En effet, l’omerta règne en maître et les familles prédatrices sont puissantes et ont des relations… les victimes le savent.

  

Alors quand et comment la traite des personnes s’exerce-t-elle et à partir de quel moment peut-on parler de criminalité en bande organisée à travers un réseau de trafic de personnes ?

 

Une jeune malienne que nous nommerons K a bien voulu témoigner de ce qu’elle a vécu en 2010 dans une famille très puissante et fortunée de Gabès. K et une autre jeune fille de la même nationalité que nous nommerons N ont réussi à quitter le territoire tunisien après s’être rebellées contre la famille en question. Arrivées au Mali, ces deux jeunes filles ont fait la lumière sur ce qui leur était arrivé. A noter que N est aujourd’hui sourde et non voyante.

Le témoignage est précis, chronologique et poignant. Il est disponible sur Youtube en langue malienne.

K et N ont quitté le Mali en 2010 pensant venir travailler en Tunisie dans le milieu médical. Avant de quitter le Mali, une personne que nous nommerons Z a facilité le transfert de ces personnes en Tunisie en achetant les billets d’avion et en prenant en charge toutes les procédures administratives et financières pour leur arrivée en Tunisie dans la famille gabésienne.

 

K explique qu’une fois arrivées en Tunisie, le chef de famille fortuné qui les a recrutées a commencé par confisquer leurs passeports. Etape 1 dans le processus d’esclavage moderne.

Arrivées dans la ville de Gabès où la famille réside, K et N ont découvert qu’elles ne travailleraient pas dans le domaine médical mais en tant que femmes de ménage dans la demeure de la famille en question. K explique que la demeure était truffée de caméras, et que 9 mois durant elles ont été emprisonnées et n’ont pas vu le soleil au grand jour. K raconte de quelle manière, pendant toute la période où elle travaillait dans cette famille, elle a été obligée de marcher pieds nus, été comme hiver, jour et nuit. Elle relate les souffrances alimentaires extrêmement poussés dont elle a été victime avec N (elles ont été obligées de ne manger que de la peau de poulet avec du riz à tous les repas), les travaux harassants de 5h du matin à  1h du matin le lendemain, les exactions en tout genre, les intimidations et surtout les rituels étranges auxquels s’adonnaient les familles en question au niveau de l’hygiène de vie (N et K ont été appelées de manière récurrente à laver des personnes juste après que ces dernières aient fait leurs besoins). Elle explique sa docilité provisoire par la peur des représailles de la part de cette famille qui détient un grand pouvoir au sein de la société tunisienne. Puis la décision de se rebeller grâce au soutien de sa directrice d’école au Mali avec laquelle elle a toujours gardé des liens. K et N décident donc de s’enfuir et y parviennent. Elles se rendent à l’ambassade du Mali à Tunis. Elles y sont prises en charge. Elles découvrent alors les pénalités qu’elles doivent payer à l’Etat tunisien par semaine de clandestinité en Tunisie.

 

Leurs situations sont régularisées grâce à l’aide de la directrice d’école et de l’ambassade. Le 19 août 2010, K et N prennent l’avion direction Bamako. A Bamako, K décide de ne pas en rester là. Elle veut retrouver son passeur Z, celui qui lui a permis de partir en Tunisie avec N. Elle le cherche et investigue pour exorciser son mal.

 

Z se révèle être un député de l’Assemblée nationale malienne. K et N poursuivent Z à la brigade des mœurs. Après enquête,  Z révèle avoir organisé cette traite des personnes en contrepartie d’un grand service effectué par la famille gabésienne, service d’une valeur de 15.000 euros. C’est pour rembourser cette somme que les 2 maliennes ont été recrutées puis manipulées, pour payer une dette qui n’est pas la leur… L’affaire de K et N est encore en cours au Mali et un réseau de corruption au niveau étatique et de trafic d’organe entre la Tunisie et le Mali a été découvert. Le procès stagne et les autorités compétentes sont crispées.

  

Le rapport 2016 contre la traite des personnes ("TIP Report 2016") qui est élaboré annuellement par le Département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique, indique que la Tunisie se positionne au niveau 2 sur la liste de surveillance du département américain et que notre pays pourrait réellement mieux faire. Ce dernier adresse un certain nombre des recommandations à la Tunisie pour lui permettre de lutter au mieux contre le fléau de la traite des personnes. Ce rapport édicte que la Tunisie doit s’intéresser avant tout à la mendicité des enfants des rues, aux domestiques étrangères et aux prostituées pour lutter efficacement contre la traite des personnes. Il appelle l’Etat tunisien à former de hauts fonctionnaires pour identifier les victimes de la traite. L’idée est que si la Tunisie souhaite améliorer sa note sur l’échelle établie par le bureau américain, il lui faut mettre en place un service de protection des victimes adéquat mais surtout légiférer en faveur d’une répression effective des exploitants. D’autres recommandations énoncent qu’un budget spécifique pour la protection des victimes de trafic doit être dédié à cette problématique. D’un autre coté, le bureau américain salue les efforts entrepris par le ministère des Affaires sociales dans la construction de centres pour personnes vulnérables. Ces centres ont permis de sauver 11 enfants tunisiens victimes d'exploitation sexuelle et une autre victime de prière obligatoire zélée et d’endoctrinement religieux.

  

Aujourd’hui, le gouvernement tunisien semble saisir l’importance de légiférer en la matière et c’est dans ce contexte que le projet de loi organique N°29/2015 relatif à la prévention et la lutte contre la traite des personnes a été voté hier jeudi 21 juillet 2016 en séance plénière à l’ARP, avec 127 voix pour. A cette occasion, le ministre de la Justice, Omar Mansour s’est félicité de l’adoption de cette loi "qui protège les droits de l’Homme et sa dignité", tout en mettant l’accent sur "le souci de la Tunisie d’être, (enfin),  en conformité avec les lois et les conventions internationales qu’elle a ratifiées en matière de respect des droits de l’Homme". Il a précisé que cette loi revêt un côté répressif en sanctionnant les auteurs de la traite par des peines carcérales pouvant aller jusqu’à dix ans de prison et des amendes pouvant atteindre 100.000 dinars selon la gravité du délit.

 

Les 66 articles du projet de loi que la commission des Droits et des Libertés et des Relations extérieures (CDLRE) avait approuvé le 30 juin 2016 dernier et que voici

seront donc appliqués de façon effective.

 

L’arsenal juridique qui vient d’être mis en place grâce à l’adoption de ce projet de loi organique N°29/2015 va permettre à la Tunisie de se mettre à niveau avec les standards internationaux. Cependant, ce n’est que grâce à une prise de conscience collective que la lutte contre la traite transnationale et nationale des personnes sera effective.

 

Le recrutement des petites filles tunisiennes de 14 ans nécessite cette même prise de conscience car, en effet, beaucoup des auteurs d’esclavage moderne agissent sans avoir conscience de la gravité de cette exaction.  

 

 

 

 

 

Khawla Hamed

22/07/2016 | 19:59
11 min
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Commentaires (25)

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Moha
| 21-08-2016 14:32
Je croix que la plupart des tunisiens font l'amalgame entre bourgeois (ould el ayala) et les nouveaux riches

Sissi
| 20-08-2016 22:38
Franchement je trouve que cet article est exagéré. Moi j'ai recruté une femme d'Abidjan et elle était méchante avec les enfants paresseuse et menteuse et elle m'a traité d'esclavagiste et comme quoi je veux la tuer elle refusait pratiquement toutes les tâches de ménages à savoir repassage cuisine etc . Et a la fin elle m'a menacé pour récupérer son passeport qui était chez moi car j'avais payé 6mois d'avance et finalement elle n'a travailler que 3 mois. Donc cet article je le crois qu'à moitié.

TeTeM
| 12-08-2016 14:36
Le Tunisien moyen est raciste et n'aime pas les noirs. Inutile de le nier, c'est une réalité!

Le Tunisien riche imagine qu'il peut tout s'offrir avec l'argent...

Le Tunisien moyen riche... trouve normal d'acheter une personne pour faire le ménage et + si affinité...

Nourbr
| 28-07-2016 11:47
..Donc cette ivoirienne de l'esclavage moderne des grandes familles citadines, en particulier voire de la pseudo bourgeoise...se sauve des griffes de ses chacals et trouve refuge et protection digne chez un père blanc c d'ailleurs comme d'habitude le refuge humaniste non chez des Imams mais bien chez des prêtres catholiques, bref. "Mas3ouda" voire "Barg ellil", une coutume usuelle de traitement de personnes de "catégorie inférieur", comme le pensent ces êtres d'une noblesse débridée" déjà depuis de chez les monarques et encore inconsciemment en état république et à ce jour, ..Monsieur et Madame les petits bourgeois de la société tunisienne, ils ravirent ces traitements de personnes et les mettent tout bas de l'échelle pour bien se servir ..un fantasme déloyale, une pratique d'usage non encadrée, contrôlée ....qui doit être dénoncé avec des campagnes d'informations de la part des responsables élus pour servir la nation et des médias distrayaient jouant un rôle pour meubler..et bouches trous, et ça marche! Informer, éduquer la société serait un meilleur profil citoyen.

Fehri
| 25-07-2016 22:42
FAUT! oui, elles aiment bien visiter la famille. Qu'est-ce qui leur fait dire cela? Pas de passeport, pas d'argent et pas de visa de travail. Quand on est dans l'illegalite et soumises on dit cela. Dans leur contract la visite de la famille est mentionnee, mais qui detient ce contrat? Je veux la preuve qu'elles sont libres. Vous en avez la preuve?

Django
| 24-07-2016 18:17
Un membre de la famille qui fait le ménage, la cuisine, la vaisselle et qui sort les poubelles, nettoie les chiottes et fait une gâterie à son "père" ... il a le droit à une petite caresse sur la tête le soir avant de rentrer dans sa niche? Sous prétexte que c'est pire dans son pays subsaharien? Vous n'avez pas honte de dire ça? Certains esclavagistes du sud des états-unis disaient la même chose il y a quelques siècles!
Marre de cette mentalité d'abruti. Il faut dénoncer ceux qui abusent, les traîner en prison, quant aux autres ils devraient alors prouver qu'ils ont rémunéré ces escl... ah non pardon leurs "enfants" qui ont travaillé pour eux en tant que personnel domestique hein?
Il faut dénoncer ces familles rapidement !

Oscar Pfouma
| 24-07-2016 13:28
Les Noirs en ont raz le cul de devoir continuer à subir l'esclavagisme, le racisme et les humiliations, de la part des Arabes. Ca ne va peut-être pas tarder à exploser !...

Moi
| 24-07-2016 08:07
Je connais 3 familles qui ont depuis plus de 4 ans des aides ménagères malienne . Ces dernières ne veulent même pas rentrer chez elles pendant les vacances ! Et pour cause elles sont traités comme des membres de la famille a part entière . alors svp arrêtons de généralisé le bon et le mauvais existe partout

Tounsi
| 23-07-2016 21:37
Pourquoi généraliser bon sang !!! Les imbéciles sont partout et occuper vous plutôt des dizaines de milliers de femmes de ménage tunisiennes exerçant dans les foyers tunisiens et qui ne sont pas nécessairement maltraitées . Bien au contraire , des milliers de familles tunisiennes considèrent que les aides ménagères sont des membres de leur propre famille et accompagnent les jeunes et les assistent meme jusqu'à leur mariages !!!!

Fedia
| 23-07-2016 20:30
OMI ? OIM ou IOM