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Stoufida
13/06/2011 |
min
Stoufida
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Par Nizar BAHLOUL


Stoufida est un célèbre terme du dialecte tunisien signifiant un rapport de délation remis à la police.
Pas une dénonciation, au sens civique, puisque le mot sémantiquement, renvoie vers une dénonciation par vengeance, par intérêt ou par vilénie. Le mot tire ses origines de la langue arabe du verbe « istéfédà » signifiant tirer de l’intérêt de quelque chose.
La stoufida sert à remplir un rapport de police qui, lui-même, servira à remplir la fiche confidentielle de renseignements à propos d’une personne.
Sous Ben Ali, et très probablement sous Bourguiba, plus votre fiche est noircie, moins vous avez de chances d’être nommé à un poste de responsabilité dans l’administration, à obtenir un visa pour une publication, à obtenir un privilège quelconque même si vous y aviez droit. Au contraire, plus votre fiche est blanche (ou violette), plus vous avez de chances de créer votre propre télé, devenir PDG, ministre…
Dans une stoufida, il y a le sujet et le rédacteur. Plus le rédacteur est proche du sujet objet de délation, plus la stoufida est crédible et le degré de crédibilité est toujours indiqué dans le rapport.
Pas une nomination ne se fait sans que le politique ne jette un coup d’œil sur la stoufida de la personne à nommer.
Et cela est, je suppose, encore de mise aujourd’hui. On imagine mal Caïd Essebsi - en bon ancien ministre de l’Intérieur - désigner un PDG, un gouverneur ou un quelconque haut responsable sans avoir lu sa fiche confidentielle.
Ceci pour le sujet. Reste le rédacteur. Et toute la question est là. Qui, donc, remplit nos fameuses fiches soigneusement archivées au ministère de l’Intérieur ?
La police politique ? Faux ! La police politique ne fait que centraliser les fiches et ordonner, au cas échéant les rapports.

Depuis le 14 janvier, les voix s’élèvent pour dénoncer la présence des corrompus et des RCDistes parmi nous. Pas un secteur n’y échappe. Les magistrats, la police, les journalistes, les militants de partis politiques, tous dénoncent la présence des anciens « agents » de Ben Ali qui exécutaient les ordres et sans qui l’ancien président n’aurait jamais été aussi puissant.
C’est que dans chaque secteur on connaît, ou plutôt on soupçonne fortement, ceux qui s’occupaient de rédiger les stoufida.
Il se trouve que depuis quelques semaines, ce sont ceux-là mêmes qui s’occupaient de rédiger des rapports sur leurs collègues qu’on voit sur les plateaux télé, qu’on voit désignés dans les instances supérieures (nommés par Mohamed Ghannouchi qui n’a pas eu la présence d’esprit de jeter un coup d’œil sur les stoufida des personnes qu’il a désignées), qui appellent à la protection de la révolution, qui appellent à la vigilance.
Et ces rédacteurs de stoufida trouvent de l’écho auprès de la grande foule et notamment auprès des jeunes sincèrement révolutionnaires.
C’est que les rédacteurs de stoufida, contrairement à leurs sujets, n’avaient pas besoin de crier « vive Ben Ali » et d’une carte RCD pour obtenir des privilèges. Ils sont en contact avec le cœur-même de la machine.
Certains font même de la diversion en jouant, de temps à autre, aux opposants farouches le jour et s’appliquent, la nuit, à rédiger des rapports sur leurs collègues, camarades, confrères, amis.

Ces rédacteurs de stoufida se permettent aujourd’hui de jouer aux héros et de dénoncer (une habitude) leurs adversaires politiques ou dans leur secteur d’activité, tout en trouvant de l’écho.
Mieux (ou pire), ces délateurs demandent à ce qu’on établisse des listes noires de ces « anciens du régime » pour qu’ils soient vilipendés, écartés de toute vie publique.
L’idée est à creuser. Mais la révolution mérite qu’on fasse les choses proprement, en toute transparence et publiquement.
Ce n’est pas aux « néo-révolutionnaires » d’aujourd’hui de dresser des listes, mais aux services compétents du ministère de l’Intérieur.
Que le ministère de l’Intérieur nous sorte nos « stoufida » et les noms des délateurs qui les ont remplis. Qu’on lave notre linge en public pour que le lavage soit juste et le rinçage efficace.

Je suis curieux de voir la stoufida des meneurs de grève de Tunisie Telecom qui menacent le plus grand investisseur étranger du pays. Je suis curieux de voir la stoufida de ces douaniers qui ont dit « dégage » à leur nouveau PDG.
Je suis curieux de voir la stoufida de plusieurs magistrats, avocats et politiques qu’on voit régulièrement à la télé.
Je suis curieux de voir combien était rémunéré ce confrère (soudain plus blanc que blanc) par l’ATCE ou le ministère de l’Intérieur. Ce même confrère qui créchait des heures durant dans le bureau d’Oussama Romdhani et de quelques diplomates américains et qui, aujourd’hui, nous parle de vigilance, de propreté, de révolution et de listes noires. Je suis curieux de voir ses délations, mais aussi de voir les délations dont il a fait l’objet.

Beaucoup, parmi les rédacteurs de stoufida, étaient payés par l’Intérieur, mais aussi par des organismes étrangers. Certains en pétro-dollars, d’autres en dollars et d’autres en francs français puis en euros.
Qui sont ces gens-là ? Que faisaient-ils ? Quel était leur rôle sous Ben Ali ? Quelles étaient leurs missions avec les organismes étrangers ?
Les vieux de chaque secteur reconnaissent les leurs. Mais dans cette Tunisie post-révolutionnaire, il y a aussi les jeunes. Les jeunes à qui l’on ment. Il est bien du droit de ces jeunes de connaître le véritable historique de tel « révolutionnaire », de tel « héros » et de tel « opposant » !
Ces jeunes, hélas, aiment le travail mâché et prennent pour de l’argent comptant ce qu’ils lisent sur Facebook et Twitter. Ils se seraient donnés la peine de se renseigner (en multipliant leurs sources d’informations) ils auraient su que tel « ostedh » est un « sabbeb », que tel « doctour » est un plagieur, et que tel autre « grand journaliste » n’est autre qu’un publi-rédacteur qui utilisait des pseudos pour rédiger des articles anonymes contre Bagga et Ben Sedrine.

Œil pour œil, dent pour dent. A ce rythme, on sera tous aveugles pour construire la nouvelle Tunisie.
Mais puisque les néo-révolutionnaires veulent des listes noires, allons-y, mais que ces listes ne soient pas noires, mais transparentes et que la première pierre soit jetée par celui qui n’a jamais péché.
Cinq mois après la révolution, nous en sommes encore là. Le monde nous regarde, nous observe de près, mais les pseudo-révolutionnaires cherchent la division au lieu de l’union. Les grèves et les « dégage » au lieu du travail et la réconciliation. Les règlements de comptes au lieu de la concorde.
Un dicton tunisien dit « le chien, quand il ne trouve pas qui mordre, finit par mordre sa queue ».
Tout le danger est là, que la révolution tunisienne finisse par avaler les Tunisiens à cause de quelques aveugles parmi les magistrats, les syndicalistes, les politiques ou les journalistes.
13/06/2011 |
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