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Chroniques
Soudain, Rached Ghannouchi est redevenu infréquentable
22/01/2018 | 15:59
5 min

Sigma Conseil a tenu samedi dernier son Open annuel durant lequel il a présenté les principaux chiffres économico-socio-médiatico-politiques de la Tunisie durant l’année 2017 et les perspectives de l’année 2018. Cette grand-messe réunit un grand nombre de personnes d’influence dans le pays pour qui l’événement est incontournable et qui considèrent les prévisions et les chiffres de  Hassen Zargouni, patron de Sigma, comme de la science infuse.

Un des principaux messages envoyés par M. Zargouni est ce penchant du Tunisien à s’autodétruire et s’auto-dénigrer, s’auto-flageller. Rien ne nous plait, rien ne nous satisfait, nous minimisons tout exploit, nous brisons toute initiative. Et quand il y a un succès, qu’il soit sportif, culturel ou économique, on cherche systématiquement une « excuse » pour le réduire. Si untel a réussi, c’est qu’il a triché, qu’il a volé, qu’il est corrompu ou vendu. C’est toute une culture que nous avons héritée (et améliorée) de la culture française.

Il n’y a pas que Hassen Zargouni qui établit ce constat, c’est l’image que nous donnons nous-mêmes à l’extérieur. L’éminent économiste franco-béninois Lionel Zinsou était l’invité de la Biat la semaine dernière pour une conférence de haute facture et il nous l’a dit clairement haut et fort : « Tunisiens, arrêtez de vous auto-flageller ! ».

A la sortie de l’Open Sigma, on a rapidement obtenu confirmation des constats de Zargouni, ce dernier a eu droit à une salve d’injures et de critiques sur les réseaux sociaux.  « Le succès est en nous », a l’habitude de dire Hassen Zargouni et il est peut-être temps de regarder un peu nos propres succès, de quitter notre spirale négative et d’adopter une positive attitude. C’est notre rôle à tous et en premier lieu nous autres médias. Business News a lancé depuis quelques mois la rubrique Success Story qui présente, chaque dimanche, une réussite tunisienne. Express FM l’a déjà fait depuis quelques années. Boubaker Ben Akecha a entamé l’expérience il y a quelques semaines sur Attessia et Hamza Belloumi va le faire bientôt sur El Hiwar.

 

Béji Caïd Essebsi devait partir à Davos cette semaine pour participer au Forum économique mondial. La participation a été annoncée officiellement, mais il se trouve que le président de la République a préféré se faire remplacer à la dernière minute par son ministre des Affaires étrangères. On va donc compter sur Khemaïes Jhinaoui pour faire le lobbying de la Tunisie dans l’un des plus importants événements planétaires de l’année, celui-là même qui n’a pas pu empêcher les ministres européens de la Finance de placer la Tunisie dans la liste noire des paradis fiscaux.

Officiellement, on ne sait pas pourquoi le président de la République a annulé son voyage. La présidence estime qu’on n’a pas besoin de savoir, en quoi cela nous regarde-t-il d’ailleurs ? Officieusement, et ceci n’a pas été démenti, c’est parce que le Forum de Davos a invité Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha. Béji Caïd Essebsi n’a pas apprécié, parait-il, cette entorse protocolaire. On ne pouvait pas les mettre sur le même piédestal, Ghannouchi et lui.

 

Il y a deux semaines, Nidaa a officialisé son divorce avec Ennahdha. Le parti fondé par le président de la République a annoncé vouloir désormais contrer le projet islamiste d’Ennahdha. Ils se sont acoquinés pendant trois ans, au grand dam de leurs électeurs, et voilà maintenant qu’ils annoncent une séparation, quelques mois à peine avant les élections municipales. On nous prendrait pour des imbéciles qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

C’est un peu l’ambiance que nous avons vécue en 2013-2014 lorsque tout sympathisant de Nidaa (ou de BCE) qui se respecte rappelait à cor et à cri que Ghannouchi est un sanguinaire. Après les élections, et le fameux vote utile destiné à contrer la menace islamiste, Nidaa a annoncé le mariage avec Ghannouchi, devenu gentil, sous prétexte que l’on ne pouvait pas faire autrement, que l’unité du pays est primordiale et que cette alliance est nécessaire pour faire passer les lois à l’Assemblée. Trois ans après, donc, Nidaa annonce la rupture pour pouvoir attaquer les Municipales. BCE suit « son » parti et laisse entendre qu’il ne veut plus s’afficher avec Ghannouchi. Officiellement, il est le président de tous les Tunisiens et il est à équidistance de tous les partis. Officieusement, il ne s’affiche pas avec les « méchants islamiteux ». Concrètement, il a trois ou quatre parmi ses conseillers attitrés qui participent aux Municipales. Avant les élections, Ghannouchi était un sanguinaire infréquentable. Après les élections, Ghannouchi est un partenaire incontournable. Ça s’appelle de la real politik, on nous ressert une soupe amèrement consommée et nous sommes priés de la gober sans broncher.

 

Le frustrant dans tout cela est que nous allons bien consommer cette soupe puisqu’il n’y a pas d’alternative convaincante à Nidaa. Les derniers sondages sont sans appel et tous les instituts s’accordent à dire que Nidaa devance de loin les partis modernistes. Ces mêmes sondages s’accordent également à dire qu’Ennahdha se positionne deuxième, quelle que soit la configuration du paysage politique avec plus d’un million de voix.

C’est une vérité et elle s’impose à nous tous. Le parti islamiste possède un million de voix et il va falloir composer avec. Que Nidaa divorce d’Ennahdha, que BCE boycotte Davos, le million d’électeurs islamistes est là et ils ne sont pas moins (ou plus) tunisiens que les autres. Non seulement ils sont présents dans le paysage politique, mais ils sont également présents dans l’administration à des postes de direction et décisionnels stratégiques.

 

Pointer les islamistes du doigt et les déclarer persona non grata, cela se conçoit politiquement, mais à condition que ce soit une politique réelle qui s’inscrit dans la durée et non épisodique qu’on affiche en période électorale seulement. Ce jeu de boycott et de diabolisation d’Ennahdha et des islamistes est dangereux, si on les utilise uniquement comme épouvantail, car ils tiennent déjà les rouages de l’Etat quoi qu’on en dise. Soit BCE adopte une stratégie hostile et sincère contre les islamistes et il aurait dû, depuis 2015, agir en conséquence en les écartant des postes clés de l’administration et de l’Etat. Soit, il poursuit la normalisation, comme il a commencé à le faire depuis 2015 en considérant les islamistes comme des partenaires incontournables.

En agissant de la sorte, Nidaa et BCE envoient un double signal négatif. Ils perdent la confiance de leurs électeurs avec leur bipolarité comportementale et celle de leur « partenaire-adversaire » dont la capacité de nuisance est incommensurable puisqu’on lui a offert sur un plateau des sièges importants au gouvernement et des postes stratégiques dans l’administration. 

22/01/2018 | 15:59
5 min
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Commentaires (42)

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Maxula
| 23-01-2018 17:55
"plus élégant et plus "adulte""

Vous pensez ce que vous voulez...mais les faits sont têtus...
Ne jamais faire partie d'un gouvernement quelconque qui compterait dans ses rangs...un islamiste, ne serait-ce qu'un insignifiant "secrétaire d'Etat"...assis sur un strapontin ! Point.
La reste n'est que littérature...et point de vue islamiste !
Maxula.

Mohamed 1
| 23-01-2018 17:35
Je pense qu'il était plus élégant et plus "adulte" d'assumer ses erreurs que de nier les faits.

Zohra
| 23-01-2018 16:53
Je me suis calmée, là je vous répond calmement, c'est parce-que vous êtes inquiet pour le pays ? je doute très fort. Si vous êtes inquiet comme vous vous prétendez, alors il y a qu'une solution Monsieur c'est l'union pour sortir le pays de l'impasse.

Votre problème c'est la place et la division nauséabonde, vous êtes le meilleur pour sortir le pays

"bonnet blanc, blanc bonnet" je vous le répète.

Que ça vous déplaise ou pas bajbouj est encore là, laissez le finir, ou alors êtes pressé ?

Maxula
| 23-01-2018 16:32
"que je n'avait"...oups !
(Maxula | 23-01-2018 15:57)

Que je n'avais...bien sûr !

Maxula
| 23-01-2018 16:28
J'ai bien relu les deux articles référencés...et je maintiens que le FP n'a posé comme condition préalable et SINE QUA NON, "QUE" l'absence de tout islamiste du gouvernement...
Les deux autres pseudo-conditions que vous semblez tenir pour "irrévocables" ne sont en fait que subsidiaires(*)...et se trouvaient toutes les deux incarnées par un seul homme (Essid)....qui n'a d'ailleurs pas tardé à atteindre ses limites...et le principe de Peter...

Conclusion : c'est tout à l'honneur du Front Populaire d'avoir refusé de faire partie d'un gouvernement...qui n'excluait pas la présence des islamistes en son sein...
Maxula.
(*) Discuter entre partis, d'un programme minimum est la norme communément admise...et ne pouvait constituer à lui seul un hiatus rédhibitoire...à moins de chercher à exclure la gauche sous des motifs fallacieux...

Maxula
| 23-01-2018 15:57
Je vous cite :
"le scrutin majoritaire à deux tours, c'est très important, comme à la présidentielle."

Je suis tellement d'accord avec vous...que je n'avait pas dit autre chose...


Je vous cite encore :
"organiser un référendum après les Municipales pour supprimer le régime parlementaire et instaurer le régime présidentiel"

Encore une fois je suis tout à fait d'accord....
Et je n'ai JAMAIS changé d'avis, en criant même "casse-cou" ici-même, dès l'instauration par les islamistes (avant qu'ils ne quittent la pouvoir en 2013) du maudit "scrutin de liste"...qui ne pouvait en aucun cas les exclure du jeu...C'est d'ailleurs bien pour ça qu'ils avaient opté pour des législatives à la proportionnelle...et laissé "la présidentielle" (presque comme lot de consolation, croyaient-ils) à leurs adversaires...
Nous sommes donc bien d'accord là-dessus...ayant toujours été "contre" un système bâtard à l'italienne...et "pour" un système à la française...
Maxula.

Mohamed 1
| 23-01-2018 15:57
Les trois conditions de nahdha, annocées après une attente interminable:
1- Pas de nahdha au gouvernement
2- Pas de membres de l'ancien régime également
3- Je crois, programme économique conforme aux désirs du FP.
Après avoir posé les conditions, ils se sont éclipsés alors qu'ils ont commencé à discuter. Bref le FP a tout fait pour que nahdha soit au gouvernement.

http://www.businessnews.com.tn/saida-garra--le-front-populaire-etait-contre-la-participation-dennahdha-au-gouvernement,520,53319,3

http://www.businessnews.com.tn/front-populaire--habib-essid-a-ete-nomme-ef-du-gouvernement-pour-contenter-ennahdha,520,52591,3

Mohamed 1
| 23-01-2018 15:05
Voilà c'est ça: pour juste être au pouvoir ils acceptent que leur pays soit arriéré.

kameleon78
| 23-01-2018 13:02
Je n'ai pas comparé la Nahda avec le SPD au niveau idéologique en Allemagne, j'ai parlé des difficultés à constituer une majorité dans un régime parlementaire comme en Allemagne, oui je connais les problèmes avec les libéraux bavarois qui peuvent aller d'un côté ou d'un autre ou les Verts (côté CDU ou côté SPD), Merkel doit trouver la quadrature du cercle en essayant de convaincre tout le monde (drapeau jamaïcain, plusieurs couleurs des partis qui doivent faire partie de la coalition). Elle a convaincu le dernier wwek-end mais cela ne tiendra pas longtemps, à mon avis sa coalition est très fragile et on se dirigerait vers des élections générales en 2019 (c'est mon avis).

kameleon78
| 23-01-2018 12:51
Ce n'est pas exactement le régime présidentiel pour être plus précis mais le scrutin majoritaire à deux tours, c'est très important, comme à la présidentielle.

Je vous donne un exemple simple, si le scrutin à la proportionnelle était en vigueur en France, Marine le Pen avec ses 11 millions de voix pourrait faire partie du gouvernement, puisque elle est deuxième, elle serait incontournable, elle aurait demandé des ministres à Macron, mais le système majoritaire l'élimine à coup sûr.

Donc si le scrutin était majoritaire en Tunisie, les islamistes de la Nahda ne pourraient jamais gouverner car ils sont minoritaires dans l'opinion. (33% votent islamiste).

Le scrutin majoritaire a été installé en France pour éliminer les extrémistes, mais souvenez-vous c'est la Nahda qui a insisté en 2011 pour installer le système à la proportionnelle, c'est pour s'incruster dans le jeu politique.