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Chroniques
Sommes-nous protégés ?
Par Inès Oueslati
30/06/2015 | 16:01
7 min
Sommes-nous protégés ?



Il y a quelques semaines, lors d’un déjeuner organisé en l’honneur du sauvetage du tourisme tunisien, le journaliste français Laurent Joffrin m’avait posé une question à laquelle je n’avais pas hésité à répondre par la négative. « N’avez-vous pas peur ? »
« Pas plus que vous journalistes français après la tuerie de Charlie Hebdo », avais-je alors répliqué, remplie d’un orgueil patriotiquement justifié. « Oui, mais êtes-vous protégés ? Nous, depuis l’attaque, sommes protégés, au quotidien », a rétorqué l’éditorialiste français. Faute de réponse positive, j’avais préféré changer de sujet.
Cette bribe d’un échange sur fond de menace terroriste mondiale m’est revenue à l’esprit après l’attentat de la semaine dernière à Sousse. « Sommes-nous protégés ? » J’hésiterai, désormais, avant de répondre.

 

Un témoignage au lendemain du drame de l’Imperial Marhaba a permis d’en savoir davantage sur les dessous de cette attaque sanglante. Selon un Tunisien présent sur les lieux du « crime », les forces de l’ordre auraient eu peur d’intervenir. Une vidéo est venue illustrer ces propos que Mohamed Ali Laroui, porte parole du ministère de l’Intérieur, aurait volontiers démentis. On y entendait des personnes appeler les agents de l’ordre à intervenir en leur présentant l’argument pour : « Venez, venez, il n’a plus de cartouches ! ».

 

Les médias étrangers n’ont pas manqué de saluer le courage de nos concitoyens présents sur le lieu du drame. Ils ont été nombreux à assaillir le terroriste et à essayer de protéger les touristes ciblés par cet extrémiste en pleine démonstration de sauvagerie. 39 tués et probablement deux fois plus de coups tirés. Des dizaines de minutes écoulées avant que l’assaillant ne soit achevé. Il avait eu le temps de finir sa mission, de faire un tour dans tout l’hôtel et d’en ressortir. Sans dérangement aucun, hormis l’intervention de quelques « civils » courageux.

 

Les ministres de l’Intérieur de la France, de l’Allemagne et de la Grande Bretagne étaient présents hier en Tunisie pour un hommage aux victimes et pour un soutien à la Tunisie. Il a été annoncé que des agents britanniques enquêteront sur le dossier. Le but est d’amener une réponse aux familles britanniques endeuillées par la mort d’un proche dans cet événement tragique. Une réponse pour faire un deuil, c’est important, c’est primordial. La famille de Chokri Belaïd en sait quelque chose. C’est la raison pour laquelle plus de deux ans après, elle mène encore un combat politique, judiciaire et au niveau de l’opinion publique. Son dernier épisode en date s’est déroulé ce matin au tribunal de Tunis.

 

Des morts par dizaines, c’est le bilan des actes terroristes qu’a connus la Tunisie depuis sa révolution. Agents de l’ordre, hommes politiques, étrangers, ils ont été la victime d’un fléau international. A leurs familles, on doit probablement encore une réponse. Cette même réponse que chercheront à trouver les agents britanniques. Cette réponse qu’a amenée le témoignage du Tunisien présent au moment de la tuerie. La réponse que laisse entendre la voix d’u maçon jetant des briques sur le tueur à partir d’une terrasse. La réponse que donne la voix criant aux « autorités » : Venez il n’a plus de cartouches !

 

La réponse est incontestablement celle que j’aurais pu donner à Laurent Joffrin un jour à Sidi Bousaïd. La dignité affichée faisait cette inconscience feinte. Le danger, nous le voyions tous venir. A chaque entrée d’un centre commercial où des agents de sécurité ne regardent même pas dans les sacs qu’ils sont censés fouiller. A chaque portique de sécurité installé qui sonne sans que l’agent parfois au téléphone au moment de votre passage ne s’inquiète. A chaque anecdote que vous rapporte votre entourage concernant l’absence de surveillance à l’entrée d’églises, d’événements nationaux, de ministères et même des Palais de Carthage ou de la Kasbah.

 

Sommes-nous protégés ? NON ! Même si quelque part nous le sommes par les terroristes eux-mêmes. Ce qui nous protège c’est un brin de scrupules ridicule ne faisant décider nos pieux meurtriers à tirer sur la gâchette que face à l’impie. Ce qui nous sauvera c’est le fait de n’être ni touristes, ni agents des forces de l’ordre. Autrement, personne n’est à l’abri ! Surtout pas ces touristes que nous avions invités à venir en Tunisie, d’une manière insistante, au moyen de campagnes publicitaires tous supports, sans avoir rien prévu pour les protéger.

 

Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a déclaré ce matin au micro d’ElKabbach sur Europe 1 que nous avons été surpris pas une attaque sur une plage et que la concentration de notre action sécuritaire devait commencer le 1er juillet. Pouvons-nous encore parler de surprise dans un pays qui a été frappé trois étés de suite et qui demeure impuissant devant une bande de bandits retranchés à la montagne ? Le dernier homme politique à avoir parlé de surprise fait encore l’objet de blagues en tous genres, c’était Ali Laârayedh qui en parlant de l’attaque de l’ambassade américaine avait déclaré qu’alors qu’on les attendait par devant, les assaillants étaient venus par derrière. Depuis, un nouveau gouvernement a pris place, un nouveau parti a pris les choses en main et un nouveau ministre de l’Intérieur règne à l’Avenue Bourguiba.

 

L’argument « surprise » est tristement hilarant. Un dispositif sécuritaire bien défini aurait pu être mis en place, calqué en miniature même sur le plan vigipirate français par exemple. Dans le cahier de charges régissant le secteur hôtelier l’installation de caméras de surveillance aurait pu être obligatoire. Embaucher des agents de sécurité en nombre concordant avec la taille de l’hôtel et sa capacité d’accueil aurait pu être imposé. Mettre en place un dispositif d’urgence pouvant permettre aux employés d’alerter au plus vite la police et pouvant permettre à la police de réagir et d’intervenir dans des délais courts, auraient été un minimum à prévoir… Une réflexion s’impose, à coup sûr ! Et pour réfléchir, il faudrait d’abord se débarrasser de l’argumentaire fataliste et de celui faussement rassurant.

 

Dans une interview accordée à l’Express, Michael Béchir Ayari, expert de l'International Crisis Group pour la Tunisie, a déclaré que « Aujourd'hui, il n'y a tout simplement pas de politique publique sécuritaire ; les services de sécurité sont désorganisés, dénués de stratégie ». Une assertion que viennent confirmer les témoignages des personnes présentes à l’Impérial Marhaba le jour du drame et tous les dysfonctionnements relevés ou qui le seront dans les prochains jours. Entretemps des décisions ont été prises. Un volet d’entre elles concerne le ministère de l’Intérieur et un deuxième se rattache au secteur touristique. Fermeture de mosquées, serrage de boulons au niveau de certaines associations religieuses, possibilité de dissolution du parti Ettahrir… Trop tard trop peu, a-t-on répliqué en chœur à la suite des annonces faites par le chef du gouvernement Habib Essid. Annulation de la taxe d’entrée, réduction du taux de TVA de 12% à 8%, report du remboursement des prêts pour les années 2015 et 2016… Trop couteux, trop décalé, lit-on au lendemain de la conférence de presse de Selma Elloumi, ministre du Tourisme.

 

39 morts, encore, 39 "pourquoi" dits en anglais essentiellement. Près de onze millions de Tunisiens abasourdis, quelques dizaines d’hommes politiques surpris. Et aucune réponse qui puisse satisfaire, convaincre et permettre de faire le deuil. J’aurais toutefois pour ma part une réponse claire, pragmatique mais diplomatiquement incorrecte à la question « Etes vous protégés ? », « Non, nous ne le sommes pas ! ».

 

Nous ne pouvons encore l’être car le terrorisme devenu phénomène mené par des individualités n’a pas de limites pouvant situer géographiquement l’ennemi et cibler en fonction l’action. Nous ne sommes pas protégés tant que nos services de renseignement resteront hésitants entre les notions de démocratie qu’on essaie de mettre en place et les résidus de tyrannie qu’on essaie de gommer. Nous ne sommes pas protégés tant que nos collaborations avec les services de renseignement étrangers relèvent du protocolaire et que l’action réelle se limite aux clichés pris et aux mains serrés devant les caméras. Nous ne sommes pas protégés tant que des agents de l’ordre ne prendront pas au sérieux les menaces et géreront mal les alertes leur parvenant. Nous ne serons pas protégés tant qu’on dérogera aux consignes sécuritaires à la tête du client ou à la valeur de la petite monnaie filée. Nous ne serons pas en sécurité tant qu’il y aura du laxisme dans ce pays.

 

Alors oui nous ne sommes pas protégés mais nous n’avons pas peur. Nous sommes remplis de courage pour affronter ce qui vient, décidés à aller de l'avant malgré la difficulté, convaincus que la première chose à faire est de réveiller ces gouvernants censés veiller sur nous et que nous devons rester debout pour faire face aux ennemis, celui connu et celui qui se cache. Comme c’était le cas la semaine passée dans un hôtel de Sousse, nous serons debout pour leur faire bloc. Et dans cette bataille loin d’être surprenante, nous ne céderons pas, nous ne céderons sur rien, même pas sur nos états d'âme!

 

Par Inès Oueslati
30/06/2015 | 16:01
7 min
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Commentaires (27)

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oeil du tigre
| 02-07-2015 22:50
en effet les morts ne parlent plus et pour qu'on soit certain qu'ils ne parleront plus jamais, on les jettent à la mer.

Tu es suffisamment intelligent pour comprendre qui est ton ennemi.


La main qui te donne c'est celle qui te reprend...
Celui qui cherche à te protéger c'est celui qui te tuera..

Partage avec moi ta vidéo, elle m'intéresse, je ne veux pas mourir idiot.
Bien à toi...

el Qat'
| 02-07-2015 11:14
Nous ne pouvons qu'espérer qu'aucune autre attaque ne viendra remplir 'à nouveau' les plateaux télé de beaux parleurs et de couillons dits politi'chiens' et 'zexperts politiques' venir analyser et donner des conseils à ceux qui sont censés nous gouverner...

dadilesage
| 02-07-2015 09:26
I am an American citizen and they can kiss my ass.If they do anything to me,Obama will kick their ass right away.They have betrayed my country by allowing a looser terrorist to kill so many people because of their stupidity oof their fucking baana republic.I am so MAD.

dadilesage
| 02-07-2015 09:20
Wallahi Tunis remains MAHROUSA. In spite of the terror groups and their evil plans to reek havoc. They are lucky in that we have an incompetent nhahdaoui minister of the interior,he is a traitor ad not qualified to be a minister ,because he failed to secure the country.Bring back the ministers of Be Ali,they know how to kick ass of the terrorists,but all those traitors of the country,they should get the hell out.

odin
| 01-07-2015 20:37
Ce que je voulais démontrer,preuves à l'appuie qu'il n'avait plus de cartouches(munitions).Donc désarmé et ne représente plus de danger.Alors pourquoi le transformer en passoire au moment ou on pouvait le capturer et le faire parler ?c'est vrai,les morts ne parlent plus !!!

odin
| 01-07-2015 16:33
J'ai une remarque à faire sur cette vidéo.Je l'ai vu et revu sur Itelé.Elle était sous-titrée,et ce qui m'a choqué c'est la traduction de la phrase la plus importante:venez..venez vous pouvez l'attraper,"il n'a plus de cartouches",mais sur l'écran c'est traduit par :"ou sont les armes".C'est curieux non ?
Je ne crois même pas qu'ils l'ont corrigé.Je sais que l'enquête ne se base dessus..mais quand même..
Je suppose que le traducteur est diplômé en LEA ET SURTOUT UN sacré plouc ou..ou...autre.
ps:vous pouvez verifier...

la passante des Sans-Soucis
| 01-07-2015 14:23
ah, ivresse, vous n'avez pas songé, que le stratège Semir, l'homme emmuré, vous suggérait le mur du çon, un mur si solide et si haut qu'il monte au septième ciel ?

ivresse et bonheur
| 01-07-2015 14:04
25 septembre 2015 : explosion d une ogive atomique via missile sur une ville tunisienne, debut de l invasion daéchiste, Carthage Tombe, 1 million de pirates se reveillent...

scenario propable pour les naifs qui pensent construire un mur pour se proteger comme en guerre 14-18

De Thala
| 01-07-2015 12:36
D ou sont orginaires 85% des composants des forces de l ordre ? Evidemment pas des ghettos huppés ou resident 85% des classes regionalistes qui ont ruiné les regions de
l interieur et le sud du pays ? En effet ils sont originaires de ces dernieres regions. Pourquoi voudriez donc qu ils sacrifient leur vies et leurs familles et les miettes attribués afin que les classes politiques et economiques qui les ont
exploité , opprimé et méprisé
puissent réetablir leur dictature regionaliste . Croyez vous vraiment que vus serez protégé grace a la matraque alors que la junte militaire
algérienne,ni les americains non plus
n ont réussi a le faire malgre
leur immenses ressources et experiences? Non madame vous avez évoqué tout sauf l essentiel soit l unité de tous les tunisiens pour mettre fin au terrorisme
et qui fera qu aucun jeune tunisien ne songera a devenir terroriste: Un projet societal ou regne justice economique et sociale, ou regne le partage équitable des richesses et des chances entre les regions et les citoyens etc etc...Vous serez protégé lorsque la classe de vautours voraces et rapaces qui confisquent 80% des richesse du peuple acceptera cette nouvelle Tunisie , Croyez vous qu elle le fera ? J en doute ? En attendant que Dieu vous et nous protege !

Zakir Houssein
| 01-07-2015 11:57
Chère Journaliste éditrice de l'article,

bien écrit, mais j'aimerais passer un message à notre cher ministre de l'intérieur; qu'attendez vous Monsieur pour démissionner de votre poste, vous avez échoué dans votre mission, vous avez ruiné le pays, ayez le courage de laisser votre place à d'autres personnes.

Merci