Par Ahlem Hachicha Chaker

Dans le mélimélo courant, un élément semble constant: tout le monde veut le bien des Tunisiens.

La société civile, les partis politiques, le gouvernement, les médias, les organisations nationales. Tous autant qu'ils sont, ils veulent notre bien. Nous en avons de la chance !

Cela suppose-t-il que nos besoins ont été définis? Tout ce beau monde sait donc ce que veulent les Tunisiens?

Cette bonne foi remplit les déclarations depuis des années. Au vu du cafouillage continu, on est en droit de nous demander si ces samaritains ont bien cerné la question. Savent-ils ce qui est bon pour nous? Savent-ils ce dont nous avons besoin? L'impression est plutôt qu'ils voudraient nous dire ce dont nous avons besoin.

Donc, soyons directs. On n'est jamais mieux servis que par soi-même. Je me permets donc de faire une petite liste. On ne sait jamais. Ça peut être utile. Ils pourraient même la lire….

Voici mon inventaire à la Prévert.

J'aurais besoin d'une société civile qui serve la société, qui défende des valeurs morales et humaines, qui encadre l'action sociale, qui enrichisse la culture, qui renforce le leadership des jeunes, qui fasse la promotion des femmes, qui finance la recherche scientifique, qui soutienne des initiatives citoyennes. Je précise que les campagnes électorales ne sont pas des initiatives citoyennes.

J'aurais besoin d'un gouvernement qui serve les intérêts des citoyens, qui gère avec pragmatisme les fonds publics, qui fasse respecter la loi, qui ne dépense pas la plus grande partie de nos impôts pour se payer lui-même. J'aurais besoin d'un gouvernement qui favorise la création de richesse économique, qui protège les acquis sociaux, qui garantisse les droits et libertés, et se souvienne qu'il travaille pour nous.

J'aurais besoin de pouvoir respecter nos institutions, nos élus, nos fonctionnaires, nos forces de l'ordre. J'aurais besoin de pouvoir remercier nos enseignants, nos médecins, nos agents de propreté.

J'aurais besoin d'un système scolaire qui produise des citoyens équilibrés, instruits, cultivés. J'aurais besoin d'un système scolaire qui offre aux apprenants des compétences utiles dans la vie, qui leur offre des opportunités d'emploi, qui leur permette d'apporter une valeur économique au pays, qui leur apporte une culture générale, qui les équipe pour la vie dans le monde d'aujourd'hui et surtout celui de demain.

J'aurais besoin d'un système de santé basé sur la prévention, la solidarité, la compassion. J'aurais besoin d'un système de santé où une femme peut accoucher à moins de 20 km de chez elle, où les soins seraient gratuits pour les enfants de moins de 3 ans, où le patient a accès aux services de santé en complémentarité entre le public et le privé. J'aurais vraiment besoin d'un système de santé où la CNAM rembourse les mastectomies effectuées dans le privé  de même qu'elle rembourse les autres actes médicaux.

J'aurais besoin d'une société où on consacre plus d'argent à l'éducation qu'au foot. J'aurais besoin d'une société où chacun est libre de choisir ses vêtements, où chacun peut être ce qu'il/elle a envie d'être. J'aurais besoin d'une société qui garantisse un toit et un repas à chaque citoyen, tous les jours. J'aurais besoin d'une société qui ne juge pas ma valeur selon mes attributs physiques.

J'aurais besoin de partis politiques riches de compétences, reflétant la société dans sa diversité, financés de manière transparente par l'Etat, qui ne font pas que survivre d'une élection à l'autre. J'aurais besoin de partis politiques à l'écoute du pays, ouverts aux acteurs économiques et sociaux, conscients des enjeux sociétaux, ancrés dans l'avenir.

J'aurais besoin de médias consciencieux, transparents, insolents, incorruptibles, incisifs. J'aurais besoin de médias qui m'informent, m'éduquent, me sensibilisent, m'alertent, me forcent à me poser des questions, me font réfléchir. J'aurais besoin de médias qui ne fabriquent pas de faux héros, qui ne mettent pas en avant des idiots pour faire le buzz. J'aurais besoin de pouvoir juger la valeur ajoutée que m'apporte une émission ou un article, me dire que j'en sais plus après qu'avant.

J'aurais besoin de pouvoir me déplacer en ville ou entre les villes sans que cela prenne l'allure d'une expédition au Tibet.

J'aurais besoin qu'un livre, dont ma fille a besoin pour ses études, ne coûte pas 20% du SMIG.

J'aurais besoin qu'un loyer ne coûte pas 60% du salaire.

J'aurais besoin de rues propres, de chaussées correctes, de trottoirs praticables, de zones vertes, de loisirs autres que les cafés.

J'aurais besoin qu'un jeune à Nebeur puisse posséder la terre qu'il cultive.

J'aurais besoin que les ouvriers ne soient pas obligés de travailler au noir parce qu'ils préfèrent payer les cours supplémentaires à leurs enfants plutôt que la CNSS.

J'aurais besoin qu'il ne coûte pas moins cher à un étudiant de fumer que de manger.

J'aurais besoin de ne plus voir des caméléons pendouiller au bout d'une perche au bord de l'autoroute.

J'aurais besoin que les accidents de la route ne causent pas une hécatombe dans mon pays.

J'aurais besoin qu'internet soit un service public constant et fiable, un vecteur de développement, un véhicule de culture. Parce que l'option internet en dents de scie, on a essayé et ça ne marche pas.

J'aurais besoin de ne plus faire le coursier pour les administrations publiques.

J'aurais besoin de culture dans les régions, d'emplois pour les jeunes, de rêves pour les enfants, d'espoir pour l'avenir.

J'aurais besoin de vivre en 2018, parce qu'on est en 2018.

Et vous?