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Tribunes
Préparer les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord aux emplois de demain
20/12/2018 | 15:05
8 min
Préparer les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord aux emplois de demain

Par Ferid Belhaj*

 

Au rythme actuel de sa croissance démographique, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) va devoir créer plus de 300 millions d’emplois à l’horizon 2050. Un horizon bien moins lointain qu’il n’y paraît. Cette urgence est plus aiguë encore. La région doit impérativement créer dans l’immédiat plus de 10 millions d’emplois par an pour pouvoir absorber la poussée démographique que connaît la région. Il lui faut pour cela disposer d’une dynamique économique capable de convertir l’énergie de cette jeunesse en croissance génératrice d’opportunités et d’emplois.

 

D’où pourront provenir ces emplois et à quoi ressembleront-ils ? Afin d’aborder ces questions essentielles, le gouvernement tunisien et la Banque mondiale coorganisent cette semaine à Tunis un événement qui réunira décideurs publics et représentants de la société civile et du secteur privé de la région, notamment du Maghreb. J’invite tout le monde, et les jeunes en particulier, à participer aux débats et à nous faire part de leur point de vue sur la manière dont la région peut préparer l’avenir. C’est pour cela que j’ai voulu que l’événement bénéficie d’une diffusion en ligne et d’une large couverture sur les réseaux sociaux.

 

Je souhaite d’abord revenir en arrière, en 1963, l’année où la Tunisie marque l’histoire en convaincant la Banque mondiale de l’aider à développer et promouvoir son système d’éducation, menant rapidement d’autres pays à suivre l’exemple. Cinquante-cinq ans plus tard, le modèle éducatif prévalent dans la région est à bout de souffle. Un déclin que les pays de la région reconnaissent. Et ils sont maintenant nombreux à se porter volontaires pour s’associer avec la Banque mondiale au sein du Projet de Capital Humain – un effort collectif pour investir de manière intelligente et décisive dans la ressource la plus précieuse de la région, ses hommes, ses femmes, et ses jeunes.

Nombre des enfants d’Iraq, du Maroc ou de Tunisie qui entrent en primaire aujourd’hui exerceront plus tard un métier dont nous ignorons encore aujourd’hui les contours.  Les technologies numériques évoluent à toute vitesse, créant de nouveaux modèles d’entreprises et transformant rapidement la nature du travail. Pour les pays de la région MENA comme ailleurs dans le monde, tout l’enjeu est de s’adapter à cette nouvelle donne, d’exploiter le potentiel du numérique et de faire en sorte que les nouvelles générations puissent se saisir des opportunités qui en découleront.

 

 Selon le Rapport sur le développement dans le monde 2019 de la Banque mondiale, consacré aux mutations du travail, les nouvelles technologies peuvent être une source d’innovation autant que d’automatisation et servir de moteur à une croissance rapide. La presse cite parfois la menace que les robots et les nouvelles technologies font planer sur les travailleurs manuels d’aujourd’hui. La véritable menace, en réalité, serait de passer à côté de cette nouvelle révolution économique. L’enjeu véritable pour l’avenir est d’associer les nouvelles technologies aux secteurs productifs tels que le transport, l’agriculture, la médecine, ou la banque, et il nous incombe d‎’y travailler sans relâche. 

Proche de nous, aux Émirats arabes unis, la start-up à l’origine de l’application Careem, qui permet de réserver un véhicule avec chauffeur, vaut désormais un milliard de dollars de chiffre d’affaires et a créé des milliers d’emplois dans la région. Les exemples sont légion, du Maroc à la Palestine, qui prouvent que la région dispose de nombreux atouts en termes de créativité et d’innovation. Le lieu d’implantation des entreprises numériques n’est plus un facteur majeur : avec sa poignée d’employés et ses rares actifs physiques, une start-up peut tout à fait se développer rapidement en dehors des zones industrielles. Pour les jeunes femmes et les jeunes hommes de la région et d’ailleurs, dont la créativité ne demande qu’à s’exprimer, les perspectives sont innombrables.

 

Certes, les métiers manuels impliquant des tâches répétitives peuvent sembler menacés par la technologie. Il est cependant évident que les jeunes de la région qui ont fait des études ont d’autres ambitions que d’exercer un travail à la chaîne. Il importe donc plus que jamais de leur impartir les compétences dont a besoin l’économie numérique, comme la capacité à travailler en équipe et à résoudre des problèmes - celle-là même que l’intelligence artificielle peut difficilement reproduire.

 

Le monde évolue et les systèmes d’éducation doivent s’adapter, et ce, de façon urgente ! Trop longtemps, ils ont conduit les jeunes à courir derrière des diplômes qui ne répondent pas aux attentes du monde moderne, au lieu de les préparer à l’économies de marché dans laquelle nous vivons.

Selon le récent rapport de la Banque mondiale sur l’éducation, Ambitions et Aspirations, les pays de la région MENA ne pourront pas faire l’économie d’une réforme en profondeur de leurs systèmes éducatifs. Ce vaste chantier doit commencer par l’enseignement élémentaire ; 30 % seulement des enfants de la région y sont actuellement inscrits, alors même que les recherches démontrent que c’est bien à cet âge-là que le cerveau est le mieux capable d’absorber rapidement de nouvelles connaissances. Il faut également refondre les manuels et programmes scolaires pour s’affranchir d’un enseignement daté et empreint d’idéologie, et privilégier tout ce qui peut encourager l’esprit critique et familiariser très tôt les jeunes avec l’informatique. Un apprentissage continu tout au long de la vie permettra de faire face aux changements rapides, donnant à chacun l’agilité d’acquérir de nouvelles compétences pour s’adapter. Par exemple, la Tunisie a mis en place une filière entrepreneuriale qui aide les étudiants à se réorienter vers le secteur privé avec un programme alliant formation commerciale et coaching personnel.

 

Selon le nouvel indice du capital humain, mis au point par la Banque mondiale pour mesurer les investissements des pays dans la santé et l’éducation de leur population et leurs effets sur leur productivité future, la région affiche des performances inférieures à celles des autres régions, et le Maghreb n’échappe pas à la règle. Les jeunes de la région auront une productivité inférieure de moitié au niveau qu’ils auraient pu atteindre s’ils avaient bénéficié de conditions de santé optimales et d’une éducation complète et de bonne qualité. Les pays du Maghreb et de l’ensemble de la région doivent se mettre en ordre de marche pour remédier à ces disparités, en s’engageant à accroître et améliorer leurs investissements dans le renforcement du capital humain. Les discussions qui se tiendront cette semaine à Tunis se pencheront sur les mesures concrètes qui doivent accompagner ces engagements.

 

En plus des investissements dans la santé et l’éducation destinés à renforcer le capital humain, les pays vont devoir étoffer leur capital physique. Alors que la téléphonie mobile est omniprésente, la région affiche l’un des taux d’accès au haut débit les plus faibles du monde, avec une bande passante limitée. Une réalité qui bride sérieusement l’innovation et la volonté de créer des entreprises numériques. Or, le haut débit constitue une condition nécessaire à l’éclosion et au développement de cette nouvelle économie. Dès lors, les pays de la région doivent faire de l’accès universel à l’internet l’une de leurs priorités majeures.

Ce développement doit aller de pair avec des réformes réglementaires agiles et adaptables pour permettre le paiement dématérialisé. Contrairement au déficit en haut débit, il y a plus d’abonnements à la téléphonie mobile que d’habitants dans la région. En accédant au haut débit et aux paiements dématérialisés, bon nombre d’usagers pourront faire de leur terminal un vecteur de croissance et un outil productif et non plus une simple porte d’accès aux réseaux sociaux.

 

Au fur et à mesure que les nouvelles technologies perturberont les emplois d’hier et en feront émerger de nouveaux, nombreux seront ceux qui connaîtront des périodes de chômage ou de transition, voire de rupture. Ils auront certes la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences, mais il faudra les aider à passer le cap. D’où la nécessité d’assouplir les systèmes de sécurité sociale qui ne peuvent plus être liés à un emploi spécifique. D’autant que, du fait de la place du secteur informel dans la région, un grand nombre de travailleurs n’ont pas de contrat, et a fortiori pas de couverture sociale. La réforme des systèmes de sécurité sociale permettra de combler ces lacunes et de préparer la population active à l’environnement professionnel de demain. Nous travaillerons avec les pays de la région à développer ces nouveaux systèmes de couverture sociale de manière à établir un équilibre vital entre innovation, transition économique et la sécurité due à tous les citoyens. 

 

La jeunesse du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord nourrit d’immenses ambitions et aspirations. La Banque mondiale s’engage à œuvrer à ses côtés, à tous les niveaux, pour éliminer les barrières à cette énergie créatrice. Avec les gouvernements, les décideurs et tous les membres de la société, nous continuerons à chercher des solutions pour libérer ce potentiel. Car nous sommes convaincus qu’avec les technologies d’aujourd’hui et de demain, les jeunes de la région sauront trouver de nouveaux vecteurs de croissance et de nouvelles sources d’espérance.

 

 *Ferid Belhaj est vice-président de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

 

 

 

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