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Plaidoyer pour un Code du travail 2.0 !
19/07/2017 | 20:15
7 min
Plaidoyer pour un Code du travail 2.0 !

La Tunisie d’après la révolution passe par des mutations politiques et économiques profondes. Les chantiers de réformes se multiplient et touchent tous les secteurs. Certes la Tunisie a une nouvelle constitution, mais un bon nombre de lois et de codes sont devenus archaïques, pour ne pas dire désuets et incompatibles avec la réalité tunisienne. C’est le cas du Code de travail, qui a 50 ans, et qui ne répond plus aux besoins de notre pays et aux nouveaux enjeux.

 

 

C’est dans ce cadre que l’Institut tunisien des études stratégiques a commandé une étude au professeur universitaire et expert international, Hatem Kotrane, livrée sous forme d’un ouvrage de 147 pages intitulé "50 ans après ! Plaidoyer pour un nouveau Code du travail !", et qui est disponible en ligne. Focus.

 

Les conclusions de Hatem Kotrane sont sans appel ! L’actuel Code du travail est décevant et n’est pas à la hauteur des ambitions de notre pays. C’est un amas de dispositions disparates, sans cohérence d’ensemble, difficiles à lire et à comprendre, et donc à appliquer, même par les personnes rompues aux discussions et aux techniques juridiques.

L’auteur appelle, donc, à engager le débat nécessaire portant, non pas sur les fondements propres du Code du travail dans son ensemble, mais sur son contenu et son degré d’adaptation aux changements politiques, économiques et sociaux et aux nouvelles réalités mouvantes du monde du travail.

Plus qu’un lifting, M. Kotrane revendique une refonte totale de ce code, en le recentrant sur les valeurs se rapportant aux droits fondamentaux de l’Homme au travail, tels que proclamés dans la Constitution de 2014, et en redonnant un sens aux valeurs de liberté, d’égalité et de citoyenneté en tant que noyau irréductible de tout système qui entend associer les relations du travail à la réalisation d’un modèle de cohésion sociale. En parallèle, il estime que le droit du travail, appelé à renouveler ses techniques et ses méthodes de représentation de la doctrine des relations de travail, doit relever un double défi : Mettre en place un cadre juridique adapté permettant d’encadrer les relations collectives du travail, en vue d’apaiser les tensions sociales et de mieux asseoir le dialogue social, et moderniser le cadre juridique applicable aux relations individuelles du travail l’adaptant aux nouvelles réalités du monde du travail.

 

Hatem Kotrane est conscient que la question de la législation du travail revêt une importance stratégique dans notre pays, où la politique sociale a toujours présenté la caractéristique d’une politique assez volontariste, marquée par les phases d’interventionnisme de l’Etat qui ont influencé durablement la législation comme l’attitude des différents acteurs.

Ainsi, la politique de travail d’après l’indépendance a été plutôt consensuelle, gérée par les conventions collectives, cadres et sectorielles approuvées par les trois parties clés de cette époque : Etat, UGTT et UTICA. Mais, il est évident pour lui que cette configuration n’est plus possible et que l’intervention de l’Etat doit être redéfinie.

 

Dans la vision présentée, l’auteur pense que la Tunisie gagnerait à engager, dans le cadre d’un large dialogue national entre le gouvernement et l’ensemble des organisations représentatives des travailleurs et des employeurs, ainsi que les autres composantes de la société civile, y compris les organisations de la jeunesse, une réflexion profonde en vue d’adapter la législation du travail  aux  nouvelles réalités.

L’objectif est de parvenir à un nouveau Code du travail alliant concision et rigueur méthodologique, et qui se limiterait idéalement à 150 articles. Pour tout le reste, tout ce qui a trait à la portée des engagements contractuels et aux droits et obligations respectives des parties, le législateur devrait se limiter à poser des règles générales : les données techniques seront renvoyées à l’action conjointe des partenaires sociaux en matière de qualification des situations nouvelles, de définition des tâches et des compétences et d’adaptation des conditions d'emploi et de rémunération aux besoins spécifiques des différents secteurs d’activité et aux réalités mouvantes des entreprises et de l’emploi.

 

M. Kotrane considère qu’une nouvelle réforme du Code du travail touchant tout à la fois les formes juridiques d’emploi et le régime du licenciement, s’avère nécessaire. Pour lui, il faut clarifier le régime du contrat de travail à durée déterminée (CDD) et exiger la rédaction d’un écrit dès la phase de recrutement du salarié sous cette forme, avec obligation d’y insérer des mentions obligatoires sur la durée du contrat, le salaire et les autres conditions du travail.

Autre point, il encourage à faire du CDD un contrat plus attractif, notamment en réduisant les écarts entre cette formule d’emploi non protégée et celle du contrat de travail à durée indéterminée (CDI) qui est une formule d'emploi protégée. Il appelle, aussi, à l’abrogation du régime d’exception relatif aux zones franches économiques qui constitue, à elle seule, une négation des garanties légales essentielles, voire une forme de dumping social, en totale opposition aux principes majeurs du droit du travail, tant en Tunisie que dans la plupart des autres systèmes juridiques qui prêtent à comparaison.

Il estime, aussi, qu’il faut réglementer les diverses formes de travail temporaire ou intérimaire ainsi que l’activité des bureaux de placement privés afin de concilier normes et pratiques professionnelles, conformément aux instruments internationaux de protection, tout en améliorant le régime juridique du contrat de travail à temps partiel et en faire un contrat plus attractif.

Autre chantier à reconsidérer, selon l’auteur, le régime juridique du licenciement pour motif personnel. Il recommande de limiter l'intervention du législateur au minimum, de déterminer les dommages-intérêts en cas de licenciement abusif suivant un système à protection progressive. La définition des conditions de bénéfice doit ainsi être confiée à l'action conjointe des acteurs collectifs qui y procéderaient, secteur par secteur, selon les réalités propres à chacun d'eux : la taille de l’entreprise et l’ancienneté du salarié. L’auteur préconise par ailleurs de supprimer l'institution du conseil de discipline. Il en est de même pour le régime juridique du licenciement pour des raisons économiques ou technologiques, ainsi que l'organe administratif compétent en matière de contrôle du licenciement pour motif économique qui devrait être confié, selon lui, à des organes compétents et spécialisés dans l'analyse du marché de l'emploi et de ses réalités.

 

 

Hatem Kotrane souligne, aussi, l’importance de favoriser une plus grande capacité de mobilité interne du travail et d'adaptation des tâches et des compétences. Pour lui, il est primordial de reconsidérer le régime légal et conventionnel de la mobilité fonctionnelle, en précisant, les conditions essentielles et déterminantes du contrat de travail. Celles-ci ne peuvent être modifiées qu'avec l'accord du salarié, à savoir la rémunération, la qualification, le poste et le grade, les responsabilités et les attributions, la durée du travail, le type de contrat de travail, et le lieu de travail, s’il emporte modification du secteur géographique.

Le tout, en déterminant ce qui entre dans le pouvoir de direction de l'employeur et s'impose au salarié, y compris notamment le pouvoir de l’employeur de procéder à la réorganisation des tâches et des responsabilités confiées à un salarié, dès lors qu'elles sont conformes à sa qualification et sa classification et sa rémunération restent inchangées.

 

L’assistance qui a pris part à la présentation de ces travaux lors d’une conférence tenue, ce mercredi 19 juillet 2017 au palais de Dar Dhiafa à Carthage, ont globalement partagé la vision de l’auteur et parfois l’ont étayée par des exemples concrets de leur quotidien. Ceci dit, l’absence des principaux acteurs économiques concernés par cette réforme a été très remarquée et assimilée à une volonté de garder ce code archaïque.

Intervenant au nom de la Conect, Tarek Cherif a estimé que l’actuel Code du travail bloque les investissements, par certains de ses aspects. Il a évoqué, dans ce cadre, l’hypocrisie que les entreprises vivent chaque jour, le marchandage au prudhomme, etc. Il estime que les entreprises ont besoin de législation claire, pour que chaque partie sache à quoi s’en tenir. Pour lui, il y a un manque de volonté pour opérer les changements qui s’imposent.

Sadek Haj Hassine estime qu’après « le cyclone constitutionnel qui rend ce code inconstitutionnel », il faudra lancer une initiative pour le réviser. Il pense aussi que le Code du travail souffre d’un problème énorme : on mêle le social au politique. Pour lui, il ne faut pas mêler le monde du travail aux tractations politiques.

 

L’actuel Code du travail a montré ses limites. Outre le fait qu’il est devenu carrément inconstitutionnel, il représente aujourd’hui un frein aux ambitions de la Tunisie et une entrave aux investissements ainsi qu’au développement des entreprises. Le remettre au diapason international est primordial pour la Tunisie de demain.

 

Imen NOUIRA

19/07/2017 | 20:15
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